1944 :
Saving Private Ryan (1998)
1939-1945 :
Schindler's List (1993)
Dans un vieux texte écrit pour l'ancienne version du site, j'avais déjà rapproché les deux films mais les enchaîner au sein de cette rétrospective particulière m'a fait apparaître d'autres similitudes assez parlantes.
Les deux films s'inspirent en grande partie de témoignages, d'anecdotes, souvent incroyables, et épousent alors une structure atypique, surtout
La Liste de Schindler, qui ne respecte aucun découpage en actes et s'avère pourtant redoutablement digeste et efficace. L'action du premier se situe sur quelques jours tandis le second s'étale sur quelques années, le premier suit des personnages fictifs tandis que le second suit des personnes ayant réellement existé mais les deux font office de morceaux d'Histoire, d'aperçus de la guerre chroniqués avec la même véracité. Et je ne parle pas que de mise en scène, même si les deux films marquent indéniablement, via la rencontre avec Kaminski, la transition du Spielberg d'avant avec le Spielberg d'après, la mise en scène de reporter de guerre du débarquement trouvant ses origines dans la mise en scène documentaire de la liquidation du ghetto de Cracovie.
C'est assez cocasse d'enchaîner la farce grotesque qu'est
1941, qui clôt alors un cycle "la Guerre tournée en dérision" entamé par les
Indiana Jones, avec ces deux films montrant comment la guerre fait naître chez l'individu l'humilité et la responsabilité envers son prochain. Tout du long, les membres du commando spécialement dispatché pour trouver et ramener le soldat Ryan chez lui remettent en question la logique de leur mission et donc la notion même de sacrifice. Le Capitaine Miller rationalise la mort de ses hommes en la contrebalançant avec le nombre de vies potentiellement sauvées en conséquence sauf que cette fois
"the mission is a man". La citation du Talmud à la fin de
La Liste de Schindler - qui sauve une vie sauve l'humanité toute entière - me semblait être une réponse suffisante à cette interrogation mais le propos final d'
Il faut sauver le soldat Ryan est autre :
"Mérite-le".
Bon attention, je suis pas en train de faire un amalgame impliquant que tous les juifs de Schindler doivent désormais mériter d'avoir été sauvés
.
Non, s'il y a un rapprochement à faire, il est entre les deux personnages qui donnent leurs titres aux films : Schindler et Ryan. Ce n'est pas un hasard si les deux films se terminent avec ces protagonistes s'interrogeant sur leurs accomplissements. Ryan s'effondre en demandant à sa femme s'il a été un homme bon et Schindler s'effondre en assurant qu'il aurait pu en faire davantage.
Schindler et Ryan, c'est Spielberg lui-même. Traitant la guerre à la rigolade jusqu'alors, celle-ci lui a finalement apporté l'humilité et fait naître en lui une responsabilité. Comme je le disais concernant
Pentagon Papers, c'est cette responsabilité en tant que réalisateur le plus célèbre de communiquer à son peuple, son public, des histoires importantes.
Bon sinon,
Ryan est un film que j'aime de plus en plus à chaque vision, pour la beauté de son protagoniste, ses petits détails de caractérisation hollywoodienne, son côté "chronique du combat"...j'ai longtemps été pas totalement pris par le film mais ce sentiment s'estompe de plus en plus...
Par contre,
Schindler... C'était déjà parfait la première fois et ça continue de m'épater. L'audace d'infuser autant le film d'humour est aussi terrassante que tous les autres parti-pris du film. Et cet humour est tellement à-propos dans un film qui traite, parfois par l'absurde, de l'horrible aspect bureaucratique de l'Holocauste. Il est intéressant d'ailleurs de voir que le film s'intitule
La Liste de Schindler là où le livre qu'il adapte s'appelle
L'Arche de Schindler. Quand il fait
Rencontres du 3ème type et
E.T., Spielberg épouse l'analogie divine. Ici, il s'en démarque. Il fait même dire à Amon Goeth,
"Who are you? Moses?" quand Schindler commence à vouloir sauver des juifs. Le titre du film embrasse cette approche administrative. Dans un monde où les juifs sont vus par les nazis comme une masse d'individus anonymes que l'on peut abattre sans état d'âme, réduits à l'état de numéros se suivant dans de longues files d'attente, Schindler leur redonne leurs noms et retourne la bureaucratie contre les nazis en faisant d'une liste un synonyme de vie.
Chef-d'oeuvre.