en 1976, le procès pour 3 braquages et 2 meurtres crapuleux du demi-frère de jean-jacques - un 'juif gauchiste' au charisme impressionnant et à la faconde exceptionnelle.
comme toute personne sensée, je ne me laisse plus avoir par aucun échos cannois - la tendance historique et collective aux excès d'emballement ou de détestation s'étant encore aggravée avec la nécessité de surenchère de superlatifs sur les réseaux sociaux pour faire émerger son opinion. mais, féru de films de procès et d'affaires judiciaires, le champ lexical associé au film m'avait quand même titillé et j'arrivais chaud bouillant.
j'avais raison.
pour commencer par l'évidence : la présence de deux films de procès purs et durs à cannes la même année, alors que le genre est assez moribond, est cocasse - mais il n'y a pas eu d'injustice majeure. anatomie d'une chute est mille fois plus riche, dense, profond, universel... ce procès goldman pourrait être un téléfilm d'arte, ou un épisode d'une série de téléfilms d'arte sur des procès marquants. ce n'est pas négatif : ce serait une série incroyable, et on dirait "ça aurait eu sa place au cinéma !!". il n'en demeure pas moins qu'on est dans la reconstitution pure et dure d'un procès marquant, que révèle des choses de son époque, mais on ne touche du doigt aucune vérité fondamentale sur quoi que ce soit.
ceci étant dit, le film a d'immenses qualités. je vais commencer par l'aspect visuel, qui m'a terrassé. je vis des heures difficiles parce que je trouve 65% des films contemporains vraiment moches, je n'aime pas les caméras modernes, je trouve les étalonnages numériques souvent dégueux, je trouve qu'il y a un manque de créativité sur la direction artistique systématique en dehors des films d'époque... alors tomber sur un film visuellement aussi splendide, c'est une émotion. malgré les commentaires constamment négatifs de m. jinn, le 4/3 est un format parmi d'autres - mais qui permet des cadres d'une beauté quasi systématique. et ici, ils sont souvent extraordinaires. on ajoute à ça la texture de l'image, le soin apporté à la reconstitution, aux couleurs, à l'effort constant pour proposer des plans différents, signifiants à l'intérieur du cadre contraint de la ce tribunal... une splendeur visuelle. j'ai adoré.
et évidemment, le film vaut pour cette affaire marquante, la personnalité hors du commun de l'accusé. ce procès était une pièce de théâtre, il est fort naturel de l'immortaliser comme telle, et c'est un spectacle passionnant. c'est remarquablement écrit, reconstitué. le travail sur la langue m'a particulièrement plu également : c'était un orateur formidable et sa langue racée (parfois amphigourique) est incroyable - mais le français que parle tout le monde correspond à celui de l'époque - les gens aux postes de pouvoir emploient du passé simple, mais même les personnes plus simples utilisent un français soigné. c'est vraiment un travail remarquable. et à l'intérieur de ce petit tribunal, tout le travail de reconstitution est formidable, il a vraiment compris l'époque qu'il filmait et tous les figurants sont bien choisis, chaque détail évoque quelque chose. le film évoque autant l'époque où les braquages étaient le problème de sécurité publique numéro 1 (les quelques vieillards encore en prison aujourd'hui pour cause de perpétuité réelle sont des braqueurs condamnés dans les années 70 - quand les violeurs prenaient 3-4 ans maximum...). il parle aussi de ce moment particulier de l’extrême gauche, qui avait à la fois le vent en poupe tout en étant structurellement minoritaire - rien de particulier n'est dit là dessus mais c'est intéressant à voir.
et puis il y a arieh worthalter. absolument stupéfiant et extraordinaire. (alors que je l'avais trouvé aussi nul que tout le monde dans bowling saturne). il donne naissance à un être humain absolument unique, dont il incarne toute la richesse et la complexité, il joue à la fois la conviction de son innocence tout en ne donnant aucune prise pour savoir si elle est sincère, simulée, auto-persuadée... seule l'absence de curiosité des membres de l'académie et le fait qu'il ne sache pas raconter les anecdotes pendant les cocktails pourraient expliquer qu'il n'ait pas le césar. quel bonheur de voir les immenses acteurs qu'on peut avoir en france, et les prestations superbes qu'ils peuvent offrir - pour peu qu'on caste quelqu'un d'autre que romain duris gilles lellouche vincent cassel pio marmai ou louis garrel. tout la distribition est au diapason, avec une mention spéciale pour nicolas briancon, toujours excellent. intéressant de faire la comparaison avec le procureur de anatomie, qui était affreux mais légitime, celui là est juste affreux. c'est une petite facilité, mais efficace.
le film questionne forcément la notion de culpabilité judiciaire dans les affaires où il y a un doute - rien de totalement inédit mais c'est intéressant de plonger dans une affaire datant d'avant les preuves scientifiques. sinon, les thèmes portés sont ceux induits par l'affaire. avec notamment la place de la judéité. aujourd'hui, j'ai l'impression qu'elle n'existe plus dans la vie collective que par la dénonciation de l'antisémitisme - que simplement mentionner que quelqu'un est juif est suspect. ici, elle est partout. elle définit les êtres, les rapports sociaux, les jugements des uns sur les autres. c'est évidemment la génération qui a connu la guerre, mais c'est très intéressant de voir (sans que ce soit pour 'dénoncer') la manière dont la France a évolué vis-à-vis des juifs - il y a vraiment quantité de notions ou de dialogues qui paraissent totalement improbables aujourd'hui (par exemple ses "derniers mots", que des membres d'autres catégories sociales pourraient prononcer tels quels, mais un juif je pense pas trop - ou encore la manière dont tout le monde dit, y compris eux, "juif né en france"). je connais mal ce thème là, j'ai trouvé ça riche et intéressant. c'est aussi drôle de voir le joyeux bordel dans la salle d'audience - aujourd'hui si une mouche vole les magistrats la font arrêter et la poursuivent pour outrage, là c'est la fête du slip généralisée, c'est drôle et ça interroge cette solennité figée qui s'est imposée comme marque de respect - d'autant plus en pensant aux débats actuels sur le comportement des uns et des autres à l'assemblée.
bref, texte un peu trop long, mais excellent film. il ne faut pas trop en faire, c'est juste un excellent film, mais il faut célébrer les belles choses et c'est pour ça que je me suis appliqué à détailler tout ce qui a nécessité du travail et est réussi.
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