C’est l’un des secrets les mieux gardés du Parti communiste français (PCF) : qu’a donc fait Fabien Roussel pour le député qui l’employait, à plein temps et sur fonds publics, de 2009 à 2014 ? Mediapart a cherché à le savoir, et le résultat n’est guère convaincant pour le candidat communiste à la présidentielle, qui promet dans son programme de garantir la vertu des élus.
Malgré de nombreuses sollicitations (voir notre Boîte noire), le chef de file du PCF, qui a pris les rênes du parti en 2018, n’a pas été en mesure de produire le moindre élément matériel permettant de retracer ses activités d’assistant parlementaire pendant cinq ans. Même chose pour l’ancien député du Nord Jean-Jacques Candelier, qui l’a salarié de mai 2009 à juin 2014.
Pire : plusieurs documents et témoignages recueillis par Mediapart accréditent l’idée que Fabien Roussel a été rémunéré pendant toutes ces années sur des fonds de l’Assemblée alors qu’il travaillait en réalité pour son parti.
Issu d’une famille communiste, Fabien Roussel a commencé à militer en 1985, à l’âge de 16 ans, avant de gravir les échelons du PCF. En juin 2010, il prend la tête de la puissante fédération du Nord, qui compte alors 7 600 adhérent·es et plusieurs permanents, succédant au député Alain Bocquet, son mentor en politique.
À l’époque, Fabien Roussel, qui n’a pas de mandat national, fixe les priorités de sa fédération : il faut « reconquérir le monde du travail » et renforcer la « formation et le renouvellement » des militant·es. Il mobilise ses troupes contre la réforme des retraites du gouvernement Fillon, multiplie les interventions dans la presse et s’implante à Saint-Amand-les-Eaux (dans la 20e circonscription du Nord), ville dirigée par Alain Bocquet depuis 1995.
Le dirigeant communiste tire à cette période ses revenus d’un emploi à temps plein, dont il ne parle pas dans les archives de presse locale consultées par Mediapart, auprès de Jean-Jacques Candelier, député communiste de la 16e circonscription du Nord.
Fabien Roussel explique aussi qu’il exerçait parallèlement ses responsabilités au PCF « à titre militant et bénévole ».
Réputé proche du « pôle de renaissance communiste de France », une tendance minoritaire du PCF, Candelier est une figure respectée du bassin minier, mais reste peu impliqué dans les instances dirigeantes du parti. Fabien Roussel bénéficie auprès de lui d’un salaire mensuel de 3 000 euros net par mois, soit près d’un tiers de l’enveloppe dévolue au député pour rémunérer son équipe.
Questionné sur ses missions exactes dans l’équipe parlementaire, le candidat communiste a expliqué à Mediapart qu’il remplissait un « rôle très politique » auprès de Jean-Jacques Candelier.
« J’irriguais ses travaux, ses discours, ses questions au gouvernement de mon travail avec les acteurs sociaux et politiques du département et de sa circonscription. Je me déplaçais sur les lieux de lutte, rencontrais les militants politiques, syndicaux, associatifs et les salariés afin de nourrir l’action et l’ancrage de terrain de mon député », a-t-il indiqué.
Fabien Roussel explique aussi qu’il exerçait parallèlement ses responsabilités au PCF « à titre militant et bénévole », en dehors de ses horaires de travail pour le député donc (voir l’intégralité de sa réponse en annexes), alors que les archives de la presse regorgent d’articles sur son activité en tant que secrétaire fédéral.
En 2013, un an après l’élection de François Hollande, Fabien Roussel multiplie, par exemple, les apparitions médiatiques en lançant avec le PCF une campagne pour alerter sur la situation de l’emploi dans le Valenciennois. Il fonde un collectif, L’Appel du Valenciennois, adossé à un site internet spécialement créé pour l’occasion, et recueille à partir du mois de juin près de 3 000 signatures de soutien. Quatre mois plus tard, c’est la consécration : une représentation de dix élus communistes est invitée à l’Élysée, le 22 octobre 2013.
Le député qui le salarie, Jean-Jacques Candelier, n’est pas de la délégation reçue par le président de la République. Et pour cause : le territoire pour lequel s’active tant Fabien Roussel recouvre, certes, le canton de Saint-Amand-les-Eaux, où il réside et se présentera aux élections municipales un an plus tard, mais pas la circonscription de son député.
Malgré plusieurs relances depuis le jeudi 10 février, l’ancien collaborateur ne nous a pas fourni le moindre document (une note, un mail ou un SMS, par exemple) attestant de ses cinq années de travail aux côtés de Jean-Jacques Candelier. Également sollicité, ce dernier ne nous a pas, lui non plus, montré d’élément concret.
Au téléphone, l’ancien député, aujourd’hui âgé de 76 ans, a toutefois assuré que Fabien Roussel « travaillait sur les dossiers importants de l’Assemblée nationale ». Sur quel sujet exactement ? Les réponses demeurent générales : « Il a fait son boulot », « C’était un conseiller politique », « Il m’a bien aidé dans ma tâche ».
Jean-Jacques Candelier peine aussi à définir les lieux où il retrouvait son assistant pour travailler. Tour à tour, il cite la mairie de Bruille-lez-Marchiennes, commune qu’il dirige depuis 1977, ou la permanence à Somain, mais « le soir ». Plus loin dans l’entretien, l’ancien député, qui soutient Fabien Roussel pour la présidentielle, indique : « C’était un peu la course, on se téléphonait souvent. » Jean-Jacques Candelier ajoute qu’il pouvait aussi voir Fabien Roussel à Paris, tout en précisant dans la même phrase que son collaborateur « venait à Paris en tant que responsable du parti »…
Parlementaire particulièrement travailleur, Jean-Jacques Candelier a toujours eu « l’habitude de beaucoup écrire », ainsi qu’il le reconnaît au cours de l’interview. « J’écris beaucoup, je note », insiste-t-il dans un premier temps, ce que nous ont confirmé plusieurs de ses proches. Peut-il donc nous transmettre des écrits issus de ses réunions de travail avec Fabien Roussel ? « Non, je ne note pas tout, se dédit-il, avant de mettre un terme à notre échange. On va arrêter là. »
L’ancien député n’a pas toujours été aussi catégorique sur le fait que Fabien Roussel avait bien travaillé pour lui au Parlement. Un an après avoir quitté l’Assemblée nationale en 2017, il a même reconnu, au cours d’une discussion dont il reste une trace, que la situation de Fabien Roussel « n’était pas trop nette ».
Au cours de cette conversation, Jean-Jacques Candelier ajoutait que le fait de faire passer des salaires de permanents du parti sur des enveloppes dédiées aux collaborateurs parlementaires aurait alors été monnaie courante. « Ça s’est toujours fait, dans tous les partis, indiquait-il. C’était des habitudes. »
Il précisait aussi qu’il avait « bien fait d’arrêter » son contrat avec Fabien Roussel en 2014, alors que les affaires des assistants parlementaires du Front national et du MoDem ont surgi ensuite.
Dans ces deux affaires, toujours en cours d’instruction, les juges soupçonnent les partis d’extrême droite et du centre d’avoir rémunéré plusieurs assistants européens alors qu’ils travaillaient essentiellement pour leur parti, ce qui s’apparenterait à des détournements de fonds publics.
Questionné par Mediapart sur ces déclarations, Jean-Jacques Candelier n’a pas répondu.
Plusieurs anciens assistants du député n’ont pas été en mesure de nous dire quelles étaient les fonctions de Fabien Roussel, qui n’assistait pas aux réunions d’équipe hebdomadaires, le lundi, à la permanence de Somain.
Un ancien collaborateur explique ainsi, dans des termes vagues, que Fabien Roussel travaillait sur des « dossiers d’envergure nationale ». Membre de la commission de la défense nationale, Jean-Jacques Candelier, qui ne disposait pas d’équipe à Paris, était un député à l’activité prolifique, étant connu de tous ses collègues pour battre des records de questions écrites déposées (plusieurs centaines) chaque année.
Fabien Roussel en rédigeait-il pour son député ? « Non, c’était plutôt nous, ça », répond l’ancien collaborateur pré-cité, avant d’écourter la discussion.
Même gêne chez cette autre collaboratrice de Jean-Jacques Candelier, membre de son équipe parlementaire en même temps que Fabien Roussel. Tout en se disant « fière aujourd’hui de le voir à la télévision et d’avoir travaillé avec lui », l’ancienne salariée se montre hésitante quand on lui demande quelles étaient les tâches précises de son collègue. Elle « ne se souvient plus » et botte finalement en touche : « Il était assistant. »
Interrogée sur la possibilité que Fabien Roussel ait rédigé des questions écrites, elle se montre catégorique, avec une formule troublante : « Non, c’étaient les assistants en général. »
« Fabien Roussel a toujours été un permanent du parti », tranche pour sa part Éric Renaud, ancien salarié du PCF dans le Nord jusqu’en 2015, en guerre ouverte avec le candidat communiste depuis plusieurs années.
Le témoignage d’une autre personne ayant travaillé pour Jean-Jacques Candelier en même temps que l’embauche de Fabien Roussel va dans le même sens. « On ne le voyait pas, on ne travaillait pas avec lui », indique formellement cette personne, en précisant le rôle de chaque membre de l’équipe.
En février 2010, neuf mois après son embauche par l’Assemblée, le nom de Fabien Roussel n’apparaît pas dans la présentation de l’équipe du député sur son site internet, à la différence des autres collaborateurs alors sous contrat, comme le montre une archive consultée par Mediapart (voir ci-dessous). La page a ensuite été supprimée, la composition de l’équipe de Jean-Jacques Candelier n’étant plus détaillée sur son site internet.
L’identité du candidat à la présidentielle n’apparaît pas non plus dans un fichier, édité en septembre 2012, au début de la XIVe législature, par le secrétariat général du groupe GDR (Gauche démocrate et républicaine) et dont Mediapart a aussi pu prendre connaissance. Ce document référence les contacts des députés communistes qui siègent à l’Assemblée.
Dans la case correspondant à Jean-Jacques Candelier sont recensés trois noms, ceux des collaborateurs qui travaillent à la permanence de Somain, accompagnés de leurs coordonnées téléphoniques. Pas de trace, en revanche, de Fabien Roussel.
Sollicitée par Mediapart, la secrétaire générale du groupe parlementaire, à qui nous avons envoyé des extraits du document, n’a pas pu « attester que ce document vient du groupe ».
Jamais nous n’avons évoqué de dossier que Fabien Roussel aurait suivi dans les cinq années précédentes.
Après les élections municipales de 2014, Jean-Jacques Candelier perd la présidence de la communauté de communes Cœur d’Ostrevent, qu’il présidait depuis plus de 30 ans et où était salarié un de ses fidèles conseillers politiques.
Le député souhaite réorganiser son équipe parlementaire, dans un contexte où les noms des collaborateurs sont désormais publiés dans des déclarations d’intérêts, ainsi que le prévoient les lois sur la transparence votées en 2013 après l’affaire Cahuzac.
Fabien Roussel apparaît publiquement dans la liste des collaborateurs officiels de Jean-Jacques Candelier sur sa déclaration approuvée le 25 janvier 2014, que Mediapart a pu consulter. Cinq mois plus tard, il quitte ses fonctions.
« Nous avons alors l’un et l’autre convenu que notre collaboration nous avait apporté à chacun tout ce que nous en attendions et qu’il était temps d’écrire un nouveau chapitre », explique Fabien Roussel pour justifier son départ. « Il voulait se consacrer à ses tâches politiques à 100 % », déclare, de son côté, Jean-Jacques Candelier.
« Tous les lundis, on se réunissait pour faire le point, préparer les textes à l’Assemblée, évoquer ce qu’il se passait au niveau des mouvements sociaux, éplucher les dossiers locaux. Jamais nous n’avons évoqué de dossier que Fabien Roussel aurait suivi dans les cinq années précédentes, or ce sont des dossiers au long cours », appuie cet ancien collaborateur, par ailleurs soucieux de rappeler l’importance de l’activité de Jean-Jacques Candelier à l’Assemblée. « Avec lui, ça ne chômait pas. Il avait personnellement à cœur de montrer à la population du Douaisis qu’il travaillait énormément, qu’il défendait les intérêts des travailleurs », tient à rappeler son ancien salarié.
Le collaborateur raconte aussi que le député ne travaille pas avec ses équipes à distance, ce qui va à l’encontre des explications fournies par Fabien Roussel. Un souvenir surgit alors : « Quand je suis entré au cabinet à Somain [en 2015], j’habitais en banlieue lilloise [à une cinquantaine de kilomètres]. J’ai demandé si je pouvais faire ne serait-ce qu’une journée de télétravail par semaine. Cela a été obtenu à l’arrachée. »
« Il ne veut pas avoir ses collaborateurs loin de lui, par crainte que le travail ne soit pas fait », ajoute l’ancien assistant, « il ne parlait d’ailleurs pas de télétravail, mais de ‘télé-télé’ avec un sourire en coin. »