Art Core a écrit:
bmntmp a écrit:
Emmanuel Bove qui s’était fait une spécialité de la veulerie, la léthargie, la mollusquerie dans ses romans avec une extraordinaire acuité psychologique, a en fait pu trouver dans l’occupation le cadre idéal et le point d’orgue à ses obsessions. Je viens de lire Le Piège qui date de l’époque de sa mort en 1945 : un bout d’histoire caché dans un roman, Kafka mais sans l’emphase de l’allégorie, les pieds bien plongé dans la turpitude morale du temps. C’est très curieux, le point de vue est d’une ambiguïté extraordinaire, les notations psychologiques d’une finesse incroyable, en même temps il est le maître d’une espèce de flou artistique sur des détails sans importances : quelle saison on est, quel est l’aspect physique du couple de protagoniste principal. Dans quel roman de l’époque on a si succinctement autant de notations sur ce qui change : la France qui se dote d’une police nationale, le retour en zone occupé dont on dit qu’il est plus compliqué que l’inverse. Et tu finis le livre jusqu’à son implacable conclusion et il y a un appareil de notes de l’auteur qui vient planter un dernier clou meta dans ce véreux cercueil.
Lu Le piège donc, petit roman vraiment fascinant. Une espèce de cauchemar administratif dans la France occupée qui plus on avance, plus paraît absurde. Le personnage principal espèce de patriote médiocre participe de ce flottement total. J'aime beaucoup l'écriture "à l'os" de Bove qui ne s'appesantit sur rien, tout est très direct, sans fioritures, sans joliesse. Ca donne un style dépouillé presque mécanique décrivant précisément une mécanique incompréhensible avec comme dit plus haut une acuité psychologique d'une grande finesse mais là encore sans aucune emphase. J'ai été surpris moi même d'être ému à la fin tellement l'écriture terre à terre nous laisse à distance (faussement) des sentiments. Et en effet les notes finales, suprenantes, apportent une étrange deuxième couche au roman. Ce qui est particulièrement fort c'est que le roman est écrit en 43 au milieu de la guerre alors qu'on a le sentiment d'un roman presque postmoderne. J'ai préféré Mes amis mais super lecture (et ça se lit très rapidement), faut vraiment que j'explore plus sa bibliographie.
Content que tu l'aies lu et apprécié. Le style est très direct, dépouillé mais plein d'ambiguïtés : le gaullisme du personnage principal est présenté comme un fait évident, ses manoeuvres subséquentes auprès du gouvernement de Vichy, sa pleutrerie viennent ensuite comme démentir ça dans une espèce de vertige, avant que dans ce cheminement kafkaïen (référence obligée), il accepte, bien malgré lui, son destin.
J'avais oublié sinon que l
'Etranger de Camus avait été publié en 42-43, je pensais que c'était largement plus tardif.