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MessagePosté: 06 Nov 2022, 22:57 
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Baptiste a écrit:
Et je trouve le titre très bien, n'en déplaise à QGJ.
Le scénario s'appelait "Les jeunes filles à la peau blanche dans la nuit" :lol:

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MessagePosté: 07 Nov 2022, 09:06 
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Faut que je me bouge, je sais même pas s'il sera encore visible à des horaires normaux après mercredi...

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MessagePosté: 07 Nov 2022, 09:48 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
Baptiste a écrit:
Et je trouve le titre très bien, n'en déplaise à QGJ.
Le scénario s'appelait "Les jeunes filles à la peau blanche dans la nuit" :lol:
Moi j'aime bien. Il y a un petit côté énigmatique et bizarre qui colle au film. En tout cas, y a pas photo par rapport au titre du scénario.


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MessagePosté: 07 Nov 2022, 13:54 
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thriller assez singulier de par sa direction d'acteurs (on a l'impression que tout le monde joue mal) et ses nombreux moments de suspension (trop appuyés peut être). Singularité qui sauve une histoire somme toute basique


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MessagePosté: 07 Nov 2022, 14:10 
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Cantal a écrit:
thriller assez singulier de par sa direction d'acteurs (on a l'impression que tout le monde joue mal)
Mouais pour ton commentaires entre parenthèses. La direction d'acteurs est effectivement particulière, mais elle est parfaitement raccord avec l'atmosphère du film, de là à dire qu'on a l'impression que tout le monde joue mal. J'aime beaucoup Arieh Worhalter qui est un acteur qui monte et qu'on voit de plus en plus (Le nouveau Pariser, Serre moi fort, Girl, Sympathie pour le diable...)


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MessagePosté: 08 Nov 2022, 12:37 
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Je suis du même avis que Lohman et Abyssin. La qualité de la photo, la précision de la mise en scène, la façon dont elle alterne silence et plages musicales, le jeu des acteurs un peu atone, tout concourt à faire du film une œuvre à la fois malsaine et fascinante. D’ailleurs, la référence à la série de Refn est plutôt bien vue.

En revanche, je trouve dommage que le scénario ne soit pas à la hauteur, notamment dans sa 2ème partie. Il y a quelque chose d’artificiel dans l’articulation des évènements, c’est un peu trop démonstratif et mécanique

la mère qui vient voir le flic pour sa fille qui se suicide, comme par hasard copine avec celle aux cheveux bleus, le repas des chasseurs et le visionnage de leurs exploits qui déclenche la folie du tueur, l’histoire d’amour avec la militant écolo, …


Cela ne nuit pas à la puissance formelle du film mais ça altère un peu la pertinence du discours sur la masculinité toxique.


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MessagePosté: 08 Nov 2022, 12:41 
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KillMunster a écrit:
En revanche, je trouve dommage que le scénario ne soit pas à la hauteur, notamment dans sa 2ème partie. Il y a quelque chose d’artificiel dans l’articulation des évènements, c’est un peu trop démonstratif et mécanique

la mère qui vient voir le flic pour sa fille qui se suicide, comme par hasard copine avec celle aux cheveux bleus, le repas des chasseurs et le visionnage de leurs exploits qui déclenche la folie du tueur, l’histoire d’amour avec la militant écolo, …

Ce sont biens les ficelles scénaristiques un peu trop voyantes que je pointe (en particulier la première que tu relèves)


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MessagePosté: 08 Nov 2022, 13:57 
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KillMunster a écrit:

En revanche, je trouve dommage que le scénario ne soit pas à la hauteur, notamment dans sa 2ème partie. Il y a quelque chose d’artificiel dans l’articulation des évènements, c’est un peu trop démonstratif et mécanique

la mère qui vient voir le flic pour sa fille qui se suicide, comme par hasard copine avec celle aux cheveux bleus, le repas des chasseurs et le visionnage de leurs exploits qui déclenche la folie du tueur, l’histoire d’amour avec la militant écolo, …

Je te rejoins sur le scénario, mais pas pour les mêmes raisons
Je trouve surtout que c'est très manichéen le discours sur l'origine de la violence, contrairement à un Cronenberg dans History of violence. Qu'est-ce qu'il faut comprendre? Le père chasseur qui lègue sa violence à sa progéniture? L'enfant qui déraille est celui qui a été considéré comme bâtard par son père? La précarité sociale?
Sinon le hasard sur la copine aux cheveux bleus, c'est effectivement gros mais ça passe très bien sur le moment...je ne pense pas que la folie du tueur soit déclenchée par la vision des exploits de chasse, vu le cadavre présent dans la camionnette, je pense qu'il est dans une spirale meurtrière où la fréquence des corps devient plus importante...l'histoire d'amour, alors oui c'est clairement un truc de scénario. Après j'ai envie de te dire que ce côté manichéen ne m'a pas gêné plus que cela à l'écran, car c'est aussi un motif pour déployer l'atmosphère, car c'est avant tout un film d'atmosphère, mais qu'effectivement je tire le même constat que toi, ça limite la portée du résultat final. J'apprécie beaucoup le film mais il y avait l'espace pour en faire un grand film et se rapprocher du niveau d'excellence du Cronenberg.


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MessagePosté: 08 Nov 2022, 18:18 
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Vous avez tout dit. J'ai été surpris par le côté polar premier degré finalement assez basique et avec son scénario tout rond et bien construit. Je crois que je m'attendais à quelque chose de plus trouble, plus bizarre. Alors ce n'est pas une déception parce que je trouve le film réussi par ailleurs mais je ne le trouve pas foncièrement original ou très singulier. Ce qui frappe c'est surtout l'ambiance, cette façon de filmer les lieux, chaque décor a quelque chose, cette boîte et son mur rouge, ce commissariat dans des coursives d'église décaties et évidemment ce bowling, coincé dans un tunnel sans issue avec l'appartement juste au-dessus. C'est d'ailleurs marrant parce que ça renvoie à la disposition des décors de Travolta & moi où l'appartement était situé juste au dessus de la boulangerie familiale.

Puis en effet, ce style Mazuy, avec toujours ce léger pas de côté dans le ton, où flirte un léger humour pince-sans-rire (le mec qui demande à la fille qui le découvre dans sa voiture "tu peux m'emmener dormir chez toi"), dans cette direction d'acteurs très raide, peu amène et cette mise en scène très précise, économe où elle aime faire durer le plan. J'aime vraiment beaucoup. La première partie est vraiment géniale, une vraie étude du mal/mâle avec ce personnage tellement fascinant d'Armand, incarné par un acteur limité mais au physique fascinant, entre la brute et l'enfant avec un constant sourire espiègle au coin des lèvres.

La deuxième partie se fait plus mécanique dans son enquête avec quelques trucs un peu con-con
le collègue qui peut pas révéler des détails de l'enquête mais dix minutes après en fait si...
toutefois j'ai trouvé le scénario assez rond (presque trop avec ce personnage d'écolo qui défend les animaux) où tout se rejoint, tout fait sens notamment dans cette thématique de la chasse, de la proie et de la tragédie familiale qui explose dans une dernière scène géniale, pour le coup vraiment trouble
le flic qui repousse la fille qui vient de le sauver, qui regarde son frère se suicider sans bouger et qui pousse un rire nerveux immédiatement honteux.
et j'adore ce genre de fin brutale, sans affect, sans épilogue.

Le rapport à Too old to die young est en effet très bien trouvé, je ne sais pas si j'y aurais pensé mais on retrouve en effet dans ses meilleurs moments ce côté nocturne lancinant, pourri de l'intérieur par une violence inarrêtable et presque mythologique. J'ai pensé aussi à Vaurien dans la première partie dans ce portrait équivoque de cet homme plein de secrets. Et peut-être que comme dit Lohmann la comparaison est fainéante mais difficile de pas faire le rapprochement avec La nuit du 12 (surtout en fait par la proximité de leurs sorties) même si le discours sur la masculinité meurtrière est moins plaqué et plus organique que dans le film de Moll.

Confirmation en tout cas que Mazuy c'est une voix unique dans le cinéma français. Que le meilleur polar de l'année soit réalisée par une femme et avec une telle radicalité c'est quand même pas rien. Faut que je rattrape Paul Sanchez et Saint-Cyr.

4.5/6

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MessagePosté: 08 Nov 2022, 18:47 
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Art Core a écrit:
Vous avez tout dit.
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MessagePosté: 08 Nov 2022, 19:04 
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J’étais convaincu que ça te plairait Art, mais ça fait tout de même plaisir d’en avoir la confirmation. Et oui je serais curieux d’avoir l’avis de Z sur le film.


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MessagePosté: 08 Nov 2022, 19:32 
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C'est incroyable comment elle fait de ce bowling un lieu vivant, organique, cinématographique, bien loin de sa fonction basique et un peu ringarde


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MessagePosté: 09 Nov 2022, 22:05 
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Votre discussion ravive mon intérêt pour le film, que j’avais laissé de côté, parce que je ne savais pas quoi en faire, quoi en penser.
Art Core a écrit:
Ce qui frappe c'est surtout l'ambiance, cette façon de filmer les lieux, chaque décor a quelque chose, cette boîte et son mur rouge, ce commissariat dans des coursives d'église décaties et évidemment ce bowling, coincé dans un tunnel sans issue avec l'appartement juste au-dessus. C'est d'ailleurs marrant parce que ça renvoie à la disposition des décors de Travolta & moi où l'appartement était situé juste au dessus de la boulangerie familiale.

Remarque très intéressante. Au mieux, les critiques ne retiennent que le Saturne du titre, et personne parle du bowling. Pourquoi un bowling ? Ca a l’air très important pourtant, puisque dans l’entretien qu’elle donne aux Cahiers, Mazuy dit que le désir de filmer un bowling est quasiment à l’origine du film.
De fait, dans mon esprit, le bowling, c’est très proche de la patinoire de "Travolta et moi" : un lieu lié à l’adolescence, à la liberté de cet âge. Un lieu d'exercice du corps ; de socialisation et de drague. Un truc lié aussi à l’Amérique, c’est-à-dire aux lointains, à l’ailleurs, un rêve et une promesse quand on naît à Châlons sur Marne comme dans "Travolta et moi".

On gagne beaucoup, je pense, à regarder le film en se dégageant des considérations morales sur le mal, sur la masculinité toxique, ce genre de trucs déjà usés par le rouleau compresseur journalistique. Mazuy n'est pas une cinéaste qui pense en termes de bien et de mal : elle pense en termes de lieux, de territoires (pour filer la métaphore cynégétique du film). Et ce qu'elle décrit dans ses films, c'est toujours un processus d'individuation, de réalisation de soi-même, tout un difficile processus d'apprentissage, de libération personnelle, qui passe par ces lieux, qui s'accomplit et se conquiert sur ces territoires. Ca marche pas toujours : ces films racontent aussi la violence, les sacrifices que cette liberté exige, dont tous les personnages ne sont pas capables.

A chaque fois donc, ses films s'organisent autour d'un lieu bien précis, qui est désirable pour le personnage parce qu'il est censé être un lieu d'émancipation, au sens fort : la patinoire dans "Travolta", l'école pour filles dans "St Cyr", le haras dans "Sport de filles", le bowling ici. Comme tu le fais remarquer pour "Travolta et moi", ce lieu en principe se distingue et même s'oppose au foyer familial : d'un côté, la maison/boulangerie, lieu du travail, de la famille, de l'ordre, de l’obéissance ; de l'autre, la patinoire, les amis, le petit copain qui lit Nietzsche et Rimbaud, c’est-à-dire la liberté et la jeunesse ; tout un programme plus stimulant que celui de tenir la caisse de la boutique.
Tout le problème dans "Bowling Saturne" vient de cette confusion entre le foyer familial et le bowling, entre le lieu de l'obéissance et celui de l'émancipation. C’était aussi le cas dans "Peaux de vaches", le film dont il se rapproche le plus : justement, les deux frères se retrouvaient dans la ferme familiale, ça tournait très mal, on frôle le pire, ils sont pas loin de s’entredévorer comme ici.

On peut parler de territoire parce que dans chacun de ces lieux règne en maître une espèce de divinité tutélaire, un grand fauve qui est le roi du lieu : Travolta à la patinoire, Mme de Maintenon à St Cyr, Bruno Ganz dans le haras de "Sport de filles", le père ici, qui règne sur le bowling comme un spectre terrifiant, à la Shakespeare. Ces personnages sont des maîtres, dans tous les sens du terme : maîtres qui promettent l'émancipation, ou qui représentent cette promesse pour le personnage. Maître que l’élève doit si bien imiter qu’à la fin, il finit par se détacher de lui, par le dépasser, pour suivre sa propre voie, comme la gamine de "Travolta" qui déchire ses posters à la fin, parce qu’elle n’a plus besoin de lui. Mais maître aussi dans un sens moins positif : le Maître peut écraser autant qu’il peut libérer, il peut condamner à l’imitation servile, à la soumission, et non à la réalisation de soi.
L’émancipation, chez Mazuy, c’est pas un exercice de contemplation : c’est un risque, un danger, un sport extrême, où on peut tout gagner ou tout perdre.

Tous ces lieux d’émancipation ont un point commun : ils se situent entre l'école et la salle de sports ; c’est toujours plus ou moins un gymnase. L'émancipation chez Mazuy n'est pas une affaire de savoir, de livres à lire, de connaissances à retenir. C'est une question beaucoup plus physique : on est davantage dans le dressage du corps que dans le processus éducatif habituel.
L’éducation comme émancipation, c’est du dressage, il en va pour les hommes comme pour les bêtes : c’est un processus par quoi on s’arrache à la nature, pour s’élever, devenir meilleur, plus fort, se tenir plus droit. Pour les filles de "St Cyr", de "Sport de filles", de "Travolta", c’est un travail sur soi par quoi s’acquièrent les techniques du corps grâce auxquelles elles prennent la mesure de ce qu’elles peuvent. C'est pourquoi les animaux tiennent une si grande place dans beaucoup de ses films : les chevaux dans "Sport de filles" et dans "St Cyr" ; les animaux de la ferme, le chien dans "Peaux de vaches" ; le lion, les animaux d’Afrique ici.
Art Core a écrit:
ce personnage tellement fascinant d'Armand, incarné par un acteur limité mais au physique fascinant, entre la brute et l'enfant avec un constant sourire espiègle au coin des lèvres.

Oui, c’est important à noter. Il ressemble à un ado. Le bowling, ça devrait être pour lui le lieu d’une domestication de ses désirs, lui qui en est encore à la branlette compulsive, qui sait pas draguer, aborder les filles, quand le film commence.

La tragédie que raconte "Bowling Saturne", selon moi, c’est celle d’une émancipation monstrueuse, qui prend cette forme totalement criminelle, presque cannibale, du seul fait que le lieu d’émancipation soit confondu avec le foyer paternel – où le Maître est en même temps le Père, et où le fils n’a pas d’autre choix que de se réaliser en imitant le Père, au lieu de s’en délivrer.
L’émancipation chez Mazuy, ça veut toujours dire : fuir la maison familiale. L’image-clé de son cinéma, c’est celle qui se trouve à la fin de "St Cyr" et à la fin de plein de westerns : partir, monter sur son cheval, aller à l’aventure, vers son destin, c’est-à-dire s’extraire du territoire familial, à la conquête de celui qui nous appartient en propre (et pas en gérance, comme le bowling ici). "Un territoire à soi" : ça pourrait être le titre de sa biographie, si elle s'appelait Patricia Wolf.

Tout le problème ici est qu’on ne sort pas de l’antre paternel, prolongement du corps paternel, sur le modèle de Saturne, qui gardait ses enfants dans son ventre, pour les empêcher de naître à eux-mêmes et de devenir rois à sa place, si on suit la piste mythique.

Si je parle d’émancipation quand même, bien qu’elle prenne ici une forme monstrueuse, c’est parce qu’au début, Armand n’est rien du tout : il bouffe son sandwich dans la rue la nuit ; il dort dans les bagnoles des autres ; il se branle sur des parkings pour des filles qui le calculent même pas ; un rien du tout, un nobody, il existe pas. Sans foyer familial, et sans territoire à lui, donc sans identité, sans existence individuelle : une ombre.
Son existence commence avec la mort du Père, l’héritage, le bowling. D’un coup, le personnage est transformé. Il met un blouson noir en python, il devient quelqu'un, il règne sur la nuit et sur le bowling. Les filles lui sourient, le remarquent, le suivent chez lui. Pour une fois, on le voit, on le remarque, on le reconnaît – lui qui a un besoin maladif, obsessionnel d’être vu, reconnu, aimé, faute de l’avoir été par son père. Transformation totale, du moins en apparence.

J’insiste là-dessus pour éviter un écueil : le couplet ennuyeux sur la bête humaine, sur le surgissement des pulsions primitives de prédation, de chasse. Pour moi, cette interprétation ne fonctionne pas, précisément parce qu’Armand n’était rien avant de devenir un chasseur : c’est dans le même mouvement qu’il s’individualise, devient qqun, et qu’il devient un être sauvage, meurtrier, un prédateur sans pitié. Sa transformation en chasseur n’est pas représentée comme une régression, mais comme un progrès, aussi monstrueux soit-il. C’est pour ça, aussi, que le film n’a pas grand-chose à voir avec des questions morales, parce que du point de vue d’Armand, ça paraît beaucoup mieux d’être un monstre que d’être un nobody.

Je parle d’émancipation monstrueuse, parce qu’elle est ici la parodie d’une libération véritable, sa version dégénérée, bâtarde (pour parler dans les termes aristocratiques qui sont ceux du cinéma de Mazuy, où il s'agit toujours de devenir un roi comme Travolta) : elle se limite à une imitation servile du Père/Maître, c’est-à-dire ici à une amplification monstrueuse des techniques de chasse. En réalité, Armand n’apprend rien au cours du film, il n’acquiert rien qui lui appartienne en propre : il manque le dressage, tout le processus de transformation de soi qui prend du temps en principe. Là, sa transformation est instantanée : nobody un jour, roi de la nuit le lendemain. Ce n’est pas une transformation authentique : c’est un changement de costume, une simple mue, un changement de peau et de non de corps. C’est son corps entier qu’il lui aurait fallu travailler et maîtriser, au lieu de simplement revêtir la peau de python du Maître.

La première scène de meurtre, ce n’est pas l’accouchement d’un tueur-né. Il n’est pas question de mal qu’il aurait dans la peau ou je ne sais pas quoi. C’est une perte de contrôle de soi (tout le contraire, précisément, de ce à quoi il faut parvenir, selon Mazuy). C’est un ado soudain débordé par ses désirs, pour qui jouir, ce serait soumettre l’autre à son désir. Ou bien c’est un chasseur débutant, mal initié, qui est soudain dépassé par la frénésie de la chasse (les manuels de chasse anciens parlent de ça, de cette fureur qui s’empare parfois du chasseur, quand il est pris, débordé par l’énergie de la meute, de la poursuite, les cris des chiens, l’excitation qui naît de la course, du sang, au point qu’il se met à tuer ses chiens ou ses compagnons).


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MessagePosté: 10 Nov 2022, 00:07 
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Passionnant comme toujours ! N’ayant vu que ses deux derniers films j’aurai bien été en peine d’en arriver aux mêmes conclusions, mais je saurai m’en souvenir lorsque je découvrirai le reste !


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MessagePosté: 10 Nov 2022, 09:31 
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Riche analyse mais bon dieu j'ai vraiment de la peine à m'y intéresser. Il y a un rapport très froid de Mazuy à la matière même du film. Le faisceau d'éléments reste invraisemblable et difficile à avaler, je n'accroche pas à la direction d'acteurs, Mazuy pose ses trucs mais ça ne s'incarne pas réellement. C'était une expérience presque désagréable.
Je garde un bon souvenir de Saint-Cyr (surtout dans le traitement historique du parlé de l'époque) mais j'ai peur de le revoir


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