Quelle affiche géniale.
Ça fait un moment que je voulais redonner une chance à ce film que j'avais trouvé bien sans plus lorsque Benjamin Parent, pour qui c'était culte, me l'avait découvrir en VF dans son studio il y a une vingtaine d'années et je réalise que je n'en gardais stric-te-ment aucun souvenir, à l'exception d'une seule réplique. Non, pas la fameuse
"Waaaarrioooors...come out to plaaayyy", mais ce moment où James Remar répond à une meuf qui dit qu'elle cherche de l'action,
"je vais t'en filer, ma salope", avec son double-sens potentiellement fortuit en français (
"je vais t'enfiler, ma salope" qui n'est qu'une version plus franche de la même phrase, déjà bien plus vulgaire que la VO :
"I'll give it to you, baby").
L'an dernier, Lin-Manuel Miranda avait annoncé que son nouveau projet scénique suivant son
Pulitzer Prize-winning Hamilton serait une adaptation en
musical du livre de Sol Yurick à l'origine du film et la semaine dernière, Spotify a lancé un compte à rebours se terminant le 18 octobre, date de la sortie du
concept album. C'était l'occasion ou jamais (et comme j'avais également
Les Rues de feu de prévu dans ma rétro
musicals, j'ai décidé de découvrir quelques Walter Hill, en commençant par le premier).
C'est marrant comme on a l'habitude de dire qu'on a
"découvert trop tard" certains classiques et films cultes mais pour certains films, ça revient aussi à les découvrir trop tôt, avant d'avoir la maturité nécessaire pour se défaire de son conditionnement cinématographique et d'apprécier des films au rythme différent, plus abstraits (oui, ça y est, je vais parler du film).
Et cette nouvelle vision du film m'a séduit d'emblée.
Enfin non, pas d'emblée. Même sans avoir vu et revu le film dans sa version d'origine, je me serais passé de cette introduction liant directement le film à l'épopée grecque dont le roman s'inspire ainsi que des transitions
freeze frame/comic bookifiées qui jurent par leur exécution à la fois trop moderne et
cheap. C'était visiblement une volonté de Hill dès 1979 mais si ça avait été pensé en amont, avec de vrais dessins d'époque, ça aurait pu effectivement avoir un délire Roy Lichtenstein.En l'état, ce n'est nullement nécessaire pour conférer au film sa nature mythique. Elle est déjà là.
Elle est déjà là dès ce premier plan de la grande roue dans l'océan nocturne, avec les lumières disparates des cabines dessinant des points blancs dans le noir, regroupés qui plus est par paires, figurant autant d'yeux perçant la nuit. Hill file l'effet en prêtant cette même personnification aux phares d'un métro dans un tunnel tout aussi sombre. L'imagerie est universelle, des contes au film d'horreur, et annonce d'entrée de jeu l'obstacle qui guette les Warriors, accusés publiquement, les regards (et pire) braqués sur eux.
Le carton situant l'action dans le futur, rajouté en 2005 également, était peut-être également dispensable mais il aide sans doute à faire passer la pilule de ce New York improbablement vide et peuplé de gangs hauts en couleurs (que, pour ma part, j'adore dans ses excès, notamment les Baseball Furies). Et il rapproche encore plus le film d'un trip post-apo à moitié halluciné, une sorte de
Mad Max piéton. On retrouve la même économie narrative dès l'introduction, qui mêle plans du trajet des différents gangs vers le rendez-vous avec de brefs échanges de membres des Warriors en guise d'exposition. J'ai trouvé ça parfait dans son simili-crescendo en
teasing du meeting. L'écriture à l'os confère au récit sa portée iconique, avec ses personnages qui ne sont même pas les archétypes de
The Driver mais vraiment juste des figures avec des surnoms (Rembrandt pour celui qui a la bombe de peinture, Ajax pour le plus belliqueux...) et pourtant, je trouve que Hill réussit ici ce qu'il ratait à mon goût dans son précédent, en radicalisant son parti-pris et en jouant davantage sur l'ambiance, avec sa BO de rock synthé dronesque horrifique et ses inévitables
wetdowns (nom de la technique pour avoir les trottoirs mouillés réfléchissants).
Le film aurait pu ne tenir que de l'exercice de style mais parvient à en dire long, déjà, bien sûr, avec le sort de Cyrus (tué par un des gangs alors qu'il appelait à l'union - des différentes minorités donc - pour se battre contre le véritable ennemi : les flics, le système, la société, au choix) mais tout du long, au gré des rencontres faites par les Warriors (les Orphelins, gang de laissés-pour-compte parmi les laissés-pour-compte). La plus belle scène à mes yeux est sans doute celle où Swan empêche Mercy de se recoiffer pour faire bonne figure devant les jeunes bien fringués et sortant de soirée. On ne se renie pas, on reste digne. C'est vraiment l'histoire de mecs qui se raccrochent à leur honneur (dans une masculinité forcément un peu toxique...mais justement, ils sont toujours trahis par leur libido exacerbée, avec ces sirènes de mythe en guise de personnages féminins) pour compenser leur provenance pauvre (cf. ce que Swan dit lorsqu'ils retrouvent leur ter-ter, le parc d'attraction vieillissant de Coney Island). Je saisis notamment ce qui a pu intéresser Miranda.
Je m'explique moins ce qui avait attiré Tony Scott, qui devait en signer le remake, une très mauvaise idée a priori tant le film brille en étant un joyau de son temps. Je n'aurais pas été contre des bastons un peu plus chiadées et un peu moins molles, mais je ne sais pas ce que le Scott formaliste du début des années 2000 aurait pu apporter d'autre comme eau à ce moulin.
En tout cas, c'était une excellente redécouverte et je suis d'autant plus chaud pour le
musical. Et pour celui de Hill,
Les Rues de feu!
J'attends tous les "ouais bah tu vas déchanteeeeyyy".