flatclem a écrit:
Je ne connais pas des masses Paul Schrader, mais j'avais beaucoup aimé First Reformed et le film s'en rapproche pas mal.
Sur le fond, c'est effectivement une copie quasi conforme, doute dans les institutions (l’Église puis l'armée), le parcours de martyr vécu (voulu) par le personnage principal (Ethan Hawk qui portait un cilice, Oscar Issac qui va piquer dans l'assiette d'un co-détenu pour se faire durement corriger), la possibilité d'une rédemption suite à une rencontre inopinée (avec le fils d'un ancien tortionnaire de l'armée - Tye Sheridan, très bon - en lieu est place du jeune écolo catastrophiste de First Reformed) et son sacrifice final.
Et la forme cultive également une même tentation de l'ascétisme, relativement économe dans ses mouvements de caméras, dépouillé dans ses décors, sobriété dans le jeu des acteurs (on est évidemment assez éloigné du non-jeu des
modèles bressoniens, mais la figure tutélaire est bel et bien celle-là).
Et pourtant, autant j'avais peu gouté son précédent (qui avait pour moi comme principal défaut de n'avoir pas su se démarquer suffisamment de sa référence), autant j'ai été bien plus convaincu par celui-ci. Prestation vraiment bluffante d'Oscar Isaac (qui arbore la plus énigmatique des poker face pour mieux laisser exploser sa rage et sa détresse de manière totalement impromptue), meilleure intégration des apartés (je me souviens encore des séquences purement grotesques de First Reformed, dont le corollaire serait ici l'irruption dans les couloirs d'Abou Ghraib - pareillement grotesque mais terriblement réel - mais aussi ce moment absolument magique où le couple William Tell - La Linda déambule dans les allées d'un parc illuminé comme s'ils étaient au jardin d'Eden), et une partition musicale que j'ai trouvé dans l'ensemble de très bonne tenue (pour le coup je n'en ai pas souvenir, est-ce qu'il y avait de la musique extradiégétique dans First Reformed ?).
Et puis, alors que la mise en parallèle de deux mondes aussi distincts pourrait sembler de prime abord extrêmement casse gueule, Schrader réussit à tisser une vraie proximité entre la mentalité du tortionnaire que fut Tell et le joueur professionnel qu'il est devenu (les deux qualités essentielles d'un joueur de poker étant de savoir déterminer les cotes de sa main à chaque moment de la partie et de décrypter la psychologie de ses adversaires tout en restant soit même impassible). Parce que sur ce dernier point, j'ai rarement vu le jeu traité de manière aussi pertinente tout en étant parfaitement économe dans ses effets. D'ailleurs il n'y a qu'une main de Hold'em qui nous est totalement révélée, et je peux imaginer la perplexité de certains devant sa conclusion (l'adversaire de Tell couchant ce qui s'avère être la meilleure main mais pour des raisons totalement légitime). Le seul bémol serait que d'un tournoi à l'autre on ne retrouve pour ainsi dire jamais les mêmes joueurs en table finale, ce qui rend l'omniprésence du (bruyant) naturalisé d'origine ukrainienne hautement improbable, seule entorse au réalisme des tournois du circuit WSOP que je concède volontiers.
4.5/6