Longtemps, j'ai été un fan absolu et obsessionnel du sport automobile (et plus d'endurance que de monoplace), et de cette époque-là en particulier (années 60 mythiques, carrefour entre le monde des gladiateurs -lié au facisme montant) des courses des années 30 , de la machine en lutte à la fois collectivement menaçante et solitairement fraternelle de la seconde guerre mondiale -les voitures anglaises de cette époque ont toutes un côté de bricolage génial évoquant le Spitfire, et l'univers consumiériste et pop, warholien, cynique et optimiste de la modernité). Je sais que ce sport se prête très mal au cinéma (seul Rush de Ron Howard est un peu correct historiquement et formellement intéressant). Le Mans de Katzin content des vues en caméra embarquées extraordinaires (ayant recouru à une Porsche munie de deux énormes caméras avant et arrière immergée dans la course), mais est formellement et dramaturgiquement inepte. La passion obsessionelle de Steve McQueen pour le sport automobile apparaissant finalement stérile, lestée d'un narcissisme gênant en prétendant être lui-même une oeuvre.
Mais ce film (en tête donc du box-office mondial ) est quand-même, à son tour, vachement inepte (ou gentiment tâcheron si on veut être sympa). Christian Bale et Matt Damon ont vraiment l'air de s'en foutre et de regarder leur montre (plus souvent que leur compte-tour). Il faut dire que leurs personnages ont une psychologies unidimensionelle, taillée à la serpe, à côté desquelles Jean Graton c'est du Rohmer. Pourtant l'idée de valoriser Ken Miles (pilote honnête, mais quand-même de second plan) est intéressante. Le script est historiquement intelligent (Lee Iaccoca est un personnage important, ayant sauvé Ford puis Chrysler en comprenant que la crise de 1973 signifiait la mort d'une certaine innocence consumrériste américaine, qu'il fallait faire des voitures plus petites et moins polluantes, techniquement génériques, s'allier aux Français ou sinon aux Japonais pour survivre, l'acteur laisse un peu transparaître cette intelligence) . L'idée de s'intéresser aux arrivées bidonnées, rendant le pilote aus dépens de qui elle s'exerce forcément sympathique, d'en raconter la genèse, cancer de ce sport (la F1 est morte du fait des consignes d'équipes) est bien vue. Mais la mise en scène est vraiment trop plate et paresseuse, cela est d'autant plus patent que l'univers visuel du film et le rapport au paysage et à cette période de l'histoire et même la dynamique du couple masculin - héros lassé et sa doublure qui échangent leur surmoi, et même la durée -sont très -trop - proches du dernier Tarantino, dont le Mangold apparait comme un fade calque. La seule scène réussie est celle du crash, où le film assume l'abstraction que le sport autombile essaye d'atteindre, via le risque mortel, en vain, de manière dérisoire et parfois scandaleuse...(il n'y a rien qu'à voir l'indifférence, matinée de voyeurisme, autour du sort pathétique de Schumacher). Ce fut une déception aussi de voir les courses traitées en CGI banales, avec une dynamique irréalistes. Sur ce planle film souffre vraiment de la comparaison avec le Mans de Katzin...dont le tournage a il est vrai a estropié plusieurs pilotes). Quant au personnage simpliste (et castrateur) de l'épouse, ce n'est plus possible en 2019.
Comme le film sur Alan Turing (auquel il ressemble un peu : bons acteurs, mais forme générique pour créer de un récit mémoriel commun et pauvre) , il y a aussi la simplification de la réalité historique et les inexactitudes introduites au profit de l'habituel nationalisme américain. Le film fait par exemple complètement l'impasse sur le fait que la Ford GT40 est une voiture anglaise, dont la concept a été acheté à un petit fabricant spécialisé (Lola) - la Cobra de Shelby est d'ailleurs elle-aussi une voiture anglaise, cette partie l'histoire qui explique le professionaism de Caroll Shelby n'est pas abordée. L'américanophobie d'Enzo Ferrari (qui a embauché pleins de pilotes américains à cette époque , il est vrai pour des raisons peut-être aussi commerciales car c'était son principal marché -le deal avec Ford avait dès lors une certaine logique: Phil Hill, Dan Gurney, Ritchie Ginther -) est accusée et caricaturale et sert une forme de racisme réuisant l'Emilie à une atmosphère de pub Ballila. Bruce McLaren apparaît comme le mauvais gars fade et soumis , alors que c'était un des rares pilote-ingénieur autodidacte, à avoir gagné avec ses propres voitures, bien plus indépendant et aventureux que Shelby. Shelby n'est pas le premier américains a avoir gagné au Mans (le premier fut Luigi Chinetti, première victoire Ferrari aussi d'ailleurs). L'année 1965, où Ford s'est pris une deuxième dérouillée, est évacuée. La bande son n'est pas raccord avec l'époque (on est en 1963-66, le rock est alors plus blues et noir que le psychédélisme pop plus tardif que l'on entend). Le meilleur pilote Ferrari en 1966 (course peu disputée à ce niveau, le vrai duel Ford-Ferrari est plutôt arrivé en 1967) n'était pas italien, mais mexicain (le très bon Pedro Rodriguez), peut-être trop génant à montrer dans un tel film (qui compare, sans le moindre recul, la course à une guerre), on ne garde que Lorenzo Bandini dont le nom sonne de manière archétypale en italien.
Ce m'a particulièrement choqué est l'usage du Français. Le film de Katzin ne contient pratiquement comme bonne son que la voix du speaker du circuit, non traduite. Cela pourrait être conceptuellement intéressant, mais est à l'image super-chiant, car ne débouche sur aucune idée de montage et de raccord. Ici c'est l'inverse, dès qu'on entend un mot de Français, il est d'abord gueulé fort, puis transformé en un brouhaha phonétique quasi-animal ne disant rien, mais sonnant français (la scène de l'ivrogne ans la cathédrale Mans est ici un sommet), comme si la langue réelle n'avait par elle-même aucune valeur (peut-être risquerait-elle, non compris mais perçue, de concurrencer l'aspect totalement faux de la CGI en accentuant l'irréalité et la teinte de sépia jaune pisseux).
Il n'est pas jusqu'à la ligne droite des Hunaudières, odonyme sonnant sans doute de façon trop franchouillarde, mais pourtant connu mondialement dans l'univers de la course, qui soit remplacée par le plus pêteusement bien-sonnant en anglais "Mulsanne" (devenu un modèle de Bentley), qui n'est (sur le circuit) que le virage fermant brusquement la ligne droite .Lorsque le gamin tend à son père dans une scène pata-spielbergienne le dessin du circuit, on remarque que les lettres du mot "Hunaudières" ont été grossièrement biffées au feutre et couverte par des dessins d' arbustes ressemblant à des petits étrons sur le plateau lui-même. Ce divorce et cette concurrence entre la mise en scène du paysage et la prononciation de son nom propre dans la langue - langue à son tour niée au profit de la parole (comme si les deux ensemble étaient devenus à la fois trop chères et trop statiques, pour le spectateur) sont peut-être symboliques de quelque chose de l'état actuel du cinéma et du monde.
_________________ Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ? - Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.
Jean-Paul Sartre
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