Film Freak a écrit:
En voyant les premières images, sur lesquelles figure un Hugh Jackman avec barbe complète et coupe de cheveux normale, je craignais que le film perde l'identité propre à la saga et au personnage en cherchant à tout prix à se défaire de son look. En fin de compte, c'est tout le contraire qui se produit. Si, comme son nom l'indique, il ne s'agit plus ici de The Wolverine mais de Logan, c'est pour mieux explorer l'humanité que James Mangold avait commencé à apporter sur son précédent essai, à moitié transformé seulement. Cette fois-ci, Mangold n'hérite pas du projet développé par un autre. Il est à l'origine de l'histoire et signe même le scénario aux côtés notamment du spécialiste du polar noir Scott Frank, déjà appelé à la rescousse la première fois. Cette fois, le réalisateur fait vraiment son film, sans concessions, de longueur, de ton. Un western, comme ses meilleurs films (Copland, 3h10 pour Yuma), qui refait L'Homme des vallées perdues tout en évoquant le jeu vidéo The Last of Us et, plus improbable, Mad Max au-delà du dôme du tonnerre! Toutes proportions gardées, Logan est à la franchise cinématographique X-Men ce que Batman : Dark Knight était aux comics Batman. Le portrait subtilement engagé d'un futur dystopique qui a tué l'héroïsme, ressuscitant les icônes de jadis tout en questionnant la violence qui les habite et où les scènes d'action "vénères" côtoient l'humanité la plus crue, au service d'un propos sur l'éducation, la vieillesse et la mort.
Dans Impitoyable, le personnage de Clint Eastwood croisait celui de Richard Harris qui retranscrivait les récits fictifs de grands héros de l'Ouest. Ici, Jackman, dont la ressemblance avec Eastwood est plus que jamais à propos, méprise les comics X-Men, diégétisés pour l'occasion, parce qu'ils redessinent la réalité et le renvoient à l'image du héros qu'il n'est plus. La licence en est à son dixième film et Mangold a l'intelligence de ne pas se répéter. The Wolverine était l'histoire d'un ronin qui redécouvrait sa cause et un sens à son immortalité. Logan est l'histoire d'un héros déchu qui redécouvre son humanité et un sens à sa mortalité. Face à la bande-annonce de Days of Future Past, Le Cow-boy disait qu'il n'en pouvait plus de voir pour la énième fois le même plan de Wolverine blessé, de face, ses plaies recrachant les balles et se refermant comme par magie. Et c'est vrai. Ça fait 6 films. On a compris. Ici, lorsque la même scène arrive, dans les premières minutes du film, son sens a complètement changé. Après un combat, badass mais tout de même plus rouillé qu'avant, notre super-héros va faire recracher les balles à son corps dans une salle de bain dégueu, avec la même douleur qu'un quinquagénaire passant des calculs à travers l'urètre. Et quand ses griffes se rétractent, les blessures ne guérissent plus sans pus. Encore parasité par le besoin de s'inscrire dans la saga X-Men, The Wolverine se vautrait dès lors qu'il cherchait à raccrocher les wagons en incluant le plus de mutants possibles. Corrigeant cette erreur, Mangold évite tout cameo dans Logan mais sans en faire un spin-off d'X-Men, il exploite les mutants de façon pertinente, comme tout film de genre utilise ses codes propres pour servir une allégorie plus universelle. Ainsi, quand un vieillard sénile "s'oublie", il manque de tuer tout le monde. Quand un personnage porte la violence en lui, elle est littéralement fusionné avec son squelette.
Si le succès de Deadpool a validé pour de bon la viabilité d'un film de super-héros Rated R, le projet de Mangold de proposer un spectacle aussi violent est antérieur à la sortie du spin-off suscité. En aucun cas du surf sur un effet de mode, la violence de Logan n'a rien de gratuit ni de complaisant. L'Homme des vallées perdues n'est pas cité pour rien. La violence de l'arme blanche est intime. Elle n'a rien à voir avec la violence à distance d'une arme à feu. Pour utiliser un anglicisme, la violence fait mal donc elle fait sens. Au même titre que les nombreux jurons qui émanent de la bouche de Logan (et même de Xavier, formant un parfait binôme de vieillards qui s'en battent les couilles qui fait suite à la relation sous-entendue dans l'épilogue de Days of Future Past), le gore témoigne d'une véracité certaine et n'aurait su être justifié pour tout autre épisode que celui-ci. Les retours diront qu'il s'agit enfin du Wolverine sanglant que tous les aficionados rêvaient de voir au cinéma mais il n'est aucunement question de fan service. D'ailleurs, voir Wolverine trancher et taillader ses adversaires dans des effusions de sang est aussi jubilatoire que perturbant, surtout quand il sert de modèle à une petite fille de 11 ans...
Dès le tout premier X-Men, il y a maintenant 17 ans, Logan a eu du mal à accepter de faire partie d'une famille. En faisant de lui le maillon central d'une cellule familiale dysfonctionnelle, au chevet de son ancien mentor atteint d'une maladie dégénérative et flanqué d'une descendance qu'il renie, Mangold confronte le personnage à son pire cauchemar. La relation entre Logan et Laura aka X-23 est au coeur du film et dresse en filigrane un propos très juste sur l'éducation, l'émulation et comment les enfants sont les clones de leurs parents. Le héros a souvent servi de figure paternelle à des jeunes filles (Jubilee dans les comics, Rogue dans les films) et Mangold fait de cette qualité le point d'orgue de son film, mettant le super-héros face à ses responsabilités en la personne d'une "fille biologique" quasiment larguée sur son palier et qui a hérité de sa "violence". Inversant le rapport pour la première fois, Mangold montre comment les enfants poussent également leurs parents à être une meilleure version d'eux-mêmes. Cette idée sert notamment à incarner un face à face final entre Logan et un ersatz maléfique un peu maladroit, le héros devant tuer sa part sombre pour que vive la meilleure partie de lui-même. À ce titre, il faut avouer que les antagonistes du film sont quelque peu laissés à l'abandon. Boyd Holbrook est plutôt charmant en Donald Pierce, homme de main du Dr. Zander Rice interprété par Richard E. Grant, mais ce dernier, pourtant bien plus archétypal et inintéressant, prend trop le devant de la scène à mi-film. Prétexte aux diverses relances de l'intrigue, ces bad guys trouvent toutefois un écho judicieux dans la réalité socio-politique américaine dans leur oppression constante des minorités ethniques. Qu'il s'agisse d'une famille de noirs cherchant à survivre dans leur ferme ou d'enfants latinos exploités en laboratoire, les victimes sont légion dans ce futur tristement actuel où les mutants qui n'ont pas été éradiqués font figure d'immigrés cherchant à franchir la frontière. Après une premère heure parfaite, Logan désarçonne dans une deuxième moitié qui ne va pas là où on l'attend mais les quelques longueurs ne sont rien à côté de la densité de cette oeuvre crépusculaire, si dense thématiquement et proche de ses personnages qu'elle demeure sublime.
Putain, la PRESSION.