J'avais en tête le titre de ce film d'Oshima que je n'ai jamais vu en écrivant mon avis, "bon à riens" (au singulier) justement qui doit avoir quantités d'autres équivalents. Le cinéma italien de l'époque a documenté ce sentiment à loisir aussi sauf que les films ne sont pas restés en mémoire (un peu comme Jacques Bral et Hartley, ou même le premier Rochant, qui fut pourtant un succès à sa sortie, disparaîtront) . Sinon il y a
Sing a Song of Sex que j'adore mais qui désigne comme un instant précis, sans sentimentalisme, c'est juste nihiliste, intelligent, distancié, parfois tendre ( tous ces adjectifs peuvent se contredire et le souvenir est trop lointain), ce n'est pas du tout la même chose. C'est pourquoi je citais l'exemple de
Marche à L'ombre qui partage Lanvin et son saxo avec le film de Jacques Bral.
Bah sinon tiens bien sûr,
La Maman et la putain, film séminal du genre mais que je n'ai jamais vu. J'ai la tête baissée dans le guidon de mes références, auxquelles je donne comme une cohérence chimérique donc (mais de bon alois), et qui se recoupent probablement avec celles que tu cites.
Jeune Femme, pas vu mais intéressant peut-être parce que pour une fois c'est une nana qui est au centre du truc (car on pourrait penser à la
Nouvelle Eve de Corsini par exemple mais le personnage est un peu plus vieux, juste perdu dans sa vie sentimentale).
Le reste de la liste que tu fais rend compte de mon ignorance ou de mon amnésie : vu le premier tanner par exemple dont je me souviens que Manchette le trouvait dégueulasse ado sans que je comprenne pourquoi, Manchette qui détestait aussi la
Maman et la putain tout en aimant le Jacques Bral, le fait qu'il prenne un vieux déjà change la donne.
Je parlais pas de films sur le démon de midi par exemple.
Yep pour Garrel et d'autres que je n'ai pas vus, sinon, mais qui sont autistes dès l'abord, ce qui les rend encore différents. Par ailleurs, Araki mettait en scène le sentiment dans un truc un peu steampunk, en y adjoignant une ambiguïté sexuelle qui le distingue et n'a pas d'équivalent par rapport aux films que je cite qui sont sur des vingt-trentenaires normaux, comme le cinéma français se plaît à les mettre en scène.
Le nihilisme d'Ormibaev n'a rien à voir avec ça, comme la mélancolie distanciée d'
Allonsanfans à mon avis. Je parlais en fait plus de ton, avec la nécessité que ce soit un peu contemporain, que de sujet.
Citation:
Philippe Roux : Je serais curieux de t’entendre parler d’Un monde sans pitié,le film de Rochant.
Serge Daney : Pourquoi pas ? Un peu démagogue ? Rochant est un type habile. Il n’est pas intelligent, il est habile. Je ne crois pas qu’il ait un énorme talent. Mais ce n’est pas grave.
Philippe Roux : Pourtant, certains d’entre nous ont eu l’impression de s’y reconnaître. Non dans la démagogie, du moins je l’espère pour nous, mais je veux signifier ceci par « se reconnaître » : le film traite implicitement de l’appartenance à une génération de transit. Il ne s’agit pas de ta génération, mais de la mienne, celle des jeunes hommes et femmes de vingt-cinq, trente ans. À mieux y regarder, ce monde nous montre le peu d’engouement… et pourtant c’est bien notre problème, ce n’est pas l’engouement, l’envie d’en découdre qui nous manque… mais nous ne savons même plus avec qui. Et puis la fin, le film qui finit sur ce que certains appellent de la « poésie », un claquement de doigts, et hop, la tour Eiffel s’allume. Serge Daney : Oui…
Philippe Roux : J’insiste sur l’idée d’une génération en sursis. Dans ce sens-là, oui, il est intelligent. Ce film me semble intéressant parce qu’il a su saisir ne serait-ce qu’en partie notre génération qui s’ennuie… Serge Daney : … il est jeune, il est en phase.
Philippe Roux : Remarque, nous ne sommes peut-être pas si nombreux à nous ennuyer. Même si tu sembles dubitatif, loin d’en faire un chef-d’œuvre, ce film nous dit dans sa maladresse cette chose simple et terrible, belle en même temps, mais terrible parce qu’univoque : il ne nous reste plus qu’à tomber amoureux,
parce que c’est encore ce qu’il y a de moins pire.
Serge Daney : Oui. Je ne sais pas pourquoi, d’ailleurs.
Philippe Roux : Ce sont des choses que j’ai souvent entendues autour de moi.
Serge Daney : Oui, je les ai aussi entendues auprès de gens qui ont l’âge des personnages du film. Dans ce cas ce n’est pas : le film nous aime, mais plutôt : nous aimons le film. C’est-à-dire, c’est une reconnaissance consciente. Je trouve à la limite que le film n’a pas une force, il n’a pas de battements internes énormes,
même s’il a du charme.
Philippe Roux : J’ai revu au même moment La Belle Équipe de Duvivier, et malgré le nihilisme final, il y a encore l’illusion d’un sens commun. Je sens que cela devient aujourd’hui de plus en plus impossible. Il me paraît évident que le champ-contrechamp des deux films contient quelque chose. Serge Daney : Oui… Philippe Roux : Dans le fait qu’avec Duvivier, sous la forme d’une métaphore, on a l’idée de ce qu’était la génération du Front populaire. Une génération qui reconstruit, alors que nous, nous ne construisons plus rien. Ou alors… Fatalement, on s’interroge…
Serge Daney : En même temps, Duvivier est certainement le cinéaste le plus cynique et le plus nihiliste de tout le cinéma français. Je pense qu’à esthétique égale, quelqu’un comme Rochant… mais ça ne se reproduit pas pareil parce qu’il y a moins de cinéma maintenant. Et Rochant ne fera pas cent films comme Duvivier a fait cent films. Enfin… je fais la distinction entre les films sincères – au sens où le cinéaste est en phase avec ce qu’il raconte et sait un peu de quoi il parle – et, disons, les films innocents. Ce film n’est pas innocent. Ce qui donne de la longévité dans le cinéma, par rapport auxidéologies, aux airs du temps, à la politique, c’est
l’innocence, c’est-à-dire de pouvoir traiter du mal sans croire au mal. Pasolini est un cinéaste innocent. Même quand il fait Salò, il reste un cinéaste innocent. Il y a des gens qui ne sont pas innocents. Le commun des mortels, je veux dire. Rochant n’est pas innocent. Quand je dis qu’il est sympathique, habile, etc., c’est que si ça tourne mal, on voit déjà comment lui tournera. Je crois que c’est vraiment un film d’un moment, qui est juste, et encore à moitié. Je trouve que toute la fin du film n’est pas courageuse. Je crois qu’il n’a pas tranché dans son discours. Le film triche un peu, même si dans sa mise en place il est formidable. Enfin, il a une vraie efficacité. Il est vrai qu’Attal est formidable. Girardot travaille trop… mais, autour de lui, là quand même, la grande histoire d’amour avec Mireille Perrier, elle n’est pas très…
Philippe Roux : Elle meuble.
Serge Daney : Moi, j’aime bien ce qui ressort des idées de Renoir. Les gens qui me disent : « Quelle horreur, quelle abjection », je trouve ça un peu exagéré, quand même.
Philippe Roux : Le film de Rochant n’est pas un film que je trouve extrêmement émouvant. Mais nous nous identifions à ce que nous ressentons aujourd’hui. Reste à savoir si ce ne sera qu’un film de circonstances. Après tout, Deleuze écrit que les déserts sont faits pour être traversés. Aujourd’hui nous sommes dans un
désert, alors on verra bien…
Serge Daney : Le problème, c’est que c’est une identification désolée, à la
façon des années 1930…
Philippe Roux : Il me semble que l’identification de ma génération au cinéma
se métamorphose, parce que ma génération est celle qui va voir Le Grand Bleu, ou qui trouve subversif Le Cercle des poètes disparus.
Serge Daney : Un peu plus petit.
La fin d'une époque. Je vais pas faire le commentaire mais déjà on voit que ça embête Daney de répondre, et à la fin le sujet part sur les revues de cinéma et ce qui faisait la distinction de la cinéphilie auparavant.
La distinction entre sincère et innocent rejoint cette idée indéfinissable de ce qui rend un film authentique.