Intéressante par ses partis pris, cette liste.
Mais il manque tant de textes majeurs dans le genre qu'elle souhaite couvrir, pour une sur-représentation de textes mineurs (qui ont l'air certes intéressants et dignes d'être découverts), que ça laisse perplexe, faut l'avouer. On dirait vraiment que les titres ont été choisis au Vögelpick en micro-comité (ne représentant que ses propres goûts), et parfois même en cochant le mauvais titre dans la liste d'un auteur.
Fantastique, on sait un peu ce que c'est. Et si ça permet de caser dedans un Vonnegut et un Pynchon qui n'ont rien à voir, c'est que ça brasse large. Tant mieux, mais quant à savoir ce que recouvre ce concept magique et brumeux de "transfiction"...
A brûle pourpoint, sans du tout parler, donc, du gouffre affolant de grands classiques & chefs d’œuvre manquant à l'appel, trois trucs qui me chipotent.
1) Pourquoi Le grand Meaulnes, qui est un récit réaliste (même si nimbé de mystère)? Alain-Fournier, qui rappelons-le n'a écrit que ce roman (il y a un peu de poésie, de correspondances, il est mort jeune en 14), est parfois classé dans les anthologies scolaires comme appartenant vaguement à ce qu'on a appelé le "réalisme magique". C'est un bouquin admirable, unique, mais si on cherche de grands livres vraiment situés dans cette zone ou sa lisière, il y en a d'autres qui sont bien plus indiqués:
- Le voyageur sur la terre, Mont cinère, Minuit (Julien Green). Absolument fondamentaux dans une bibliothèque de l'étrange, du fantastique. Même Adrienne Mesurat (connu comme son chef d’œuvre) contient plus d'étrangeté que Le grand Meaulnes.
- Le pays où l'on arrive jamais (André Dhôtel) ou un roman de Marcel Brion (qui a contribué à faire connaître en France Buzzati) comme Les escales de la haute nuit, si on parle de réalisme magique, où est classé sans doute à tort Le grand Meaulnes, auraient a minima leur place.
2) Je suis un grand fan de Buzzati. Le K, malgré sa réputation, me semble son recueil de nouvelles le moins intéressant (c'est le moment où Buzzati transforme un peu son art en système). L'écroulement de la baliverna est de loin supérieur. Mais aussi: qu'est-ce qui justifie dès lors l'absence du Désert des Tartares? Il relève moins du fantastique et de la transfiction que Le grand Meaulnes, peut-être?
3) Je suis un grand fan de Calvino. Je ne saisis pas du tout pourquoi Si par une nuit d'hiver un voyageur est cité. Alors qu'il ne s'inscrit vraiment pas dans le genre: c'est une machinerie méta-textuelle presque théorique, qui s'inscrit dans l'esprit de l'Oulipo et vise à interroger le rapport lecteur/narrateur/texte et le mécanisme de la production de fiction. On est entre Butor et Perec.
Et alors que le même Calvino a par contre signé deux chefs d’œuvre absolus s'inscrivant pile-poil dans le "fantastique" et la "transfiction" bien qu'ils en débordent de toutes parts: Cosmicomics et Temps zéro.
Sans parler de la Trilogie Nos ancêtres (Le Baron perché, Le vicomte pourfendu & Le chevalier inexistant), qui relève malgré sa singularité bien davantage du "fantastique" que Si par une nuit d'hiver et textes ultérieurs de Calvino.
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