Tom a écrit:
Karloff a écrit:
le cinéaste préférant la rigueur protestante à l'emphase catholique
Bah c'est très bien résumé. Encore un film de des Pallières potentiellement génial (quand même sacrément impressionnant, cette fois-ci), mais encore un film de des Pallières partiellement raté.
Très impressionnant, mais complètement raté dans son ambition à mon sens. Ratage virtuose : choix radicaux de mise en scène qui vont à l'encontre du récit et du propos.
Tom a écrit:
Le film pose deux choses.
Un récit d'une part : celui, pas toujours très limpide (beaucoup de trous à combler nous-même, un alignement de faits plus qu'une dramaturgie) de Michael Kohlhaas, marchand de chevaux qui se lance dans une vengeance contre tout un royaume, sur fond de transition religieuse. Cette dynamique basique (réparer l'injustice) est finalement la seule "émotion" (quoique très théorique) à laquelle on va pouvoir se raccrocher pour rentrer dans cette histoire. Ce qui fait, entre autres, qu'avant la scène où l'on ramène la femme au domaine, le film ne décolle pas.
C'est étrange comme des Pallières fuit le centre de son propos. L'injustice nous est donné comme un fait accompli et à aucun moment, il ne nous permet de nous approcher un peu du conflit interne du personnage. Qu'est-ce qui amène Kolhaas à mener sa croisade fanatique pour réparer l'injustice ? Ce n'est clairement pas l'injustice qui lui est faite (sa réaction à l'injustice est trop singulière pour pouvoir reposer seulement là-dessus). C'est bien la représentation que Kolhaas se fait de la justice et de son accomplissement (et toute sa représentation du monde) qui le mène vers une réaction aussi radicale. Pourquoi des Pallières refuse d'entrer dans la mise en scène et la dramatisation de cette représentation ébranlée ?
Mikkelsen et le propos me fait inévitablement penser à "The hunt" de Vinterberg qui, lui, choisit la voie opposée et construit tout son film sur la dramatisation du conflit interne du personnage victime d'une injustice. Ce qui est intéressant chez Vinterberg, c'est qu'il amène dans son récit une question que des Pallières semble évacuer dès le départ et qui à mon avis est central à son propos (très protestant) : l'innocence...
Tom a écrit:
EDIT : on peut commencer par un truc super bien vu de la critique (par ailleurs un peu vide) de Guillaume Orignac dans Chronic'art : "Voilà donc le fond de ce film, dont l’étrangeté se cache derrière les contraintes du genre : les enfants (baron, princesse, fille) y sont des rois insolents, et les adultes leurs jouets. Moins film historique (...) qu’évocation rêveuse d’un monde dérangé, Michael Kohlhaas est un songe sur la barbarie terrée au fond de la civilisation. ". En repensant au film à rebours, ce retournement est effectivement frappant (et ce sont d'ailleurs les trois persos flippants).
Il y a quelque chose qui se cache derrière tout ça, mais qui ne fonctionne pas bien dans Kolhaas et qui marche vraiment bien dans "The hunt"
Tom a écrit:
Et puis la deuxième chose, c'est un univers (une diégèse, un parti-pris de représentation...) absolument génial. Soit prendre l'époque pour ce qu'elle est, la déromantiser complètement, la dénuder de toute son imagerie, y coller au détail : retrouver une sorte de vérisme brut et dépassionné (très "protestant", en effet). Et ensuite appuyer l'étrangeté de ce qu'on a obtenu : en faire ressortir la sévérité, la minéralité, l'obscurité (le film est quasi-entièrement composé de contre-jours). Mikkelsen en est l'exemple le plus frappant : on le ramène à la matérialité de son corps, à son visage de pierre, à l'essence, et on cultive l'iconicité d'un tel roc.
L'univers et le parti-pris de représentation de des Pallières sont très impressionnants dans leur fabrication. Mais, pour le coup, ici, il détruit son récit et son propos, non ? L'acharnement de des Pallières sur tout ce qui est matériel est une façon d'éviter très soigneusement la question de la représentation (image du monde) de Kolhaas lui-même. Le vérisme brut et dépassionné comme tu dis, Tom, est en opposition totale avec ce qui se joue pour le personnage de Kolhaas qui lui est dans une lutte idéologique, une lutte pour l'accomplissement de la justice selon sa représentation du monde. En nous plongeant avec autant de puissance dans sa propre représentation sur-matérielle et sur-incarnée du monde de Kolhaas, des Pallières nous empêchent de voir, et lui avec, l'image que Kolhaas a de son monde. Il flingue son entreprise. C'est troublant la façon dont des Pallières persiste et signe dans l'idée que tout est matière, rien n'est image ni représentation (vérisme brut comme tu dis) alors que c'est le coeur même du conflit interne du personnage. Tout est là pour que l'affrontement puisse avoir lieu, mais des Pallières nous le refuse. Etrange. Récit, propos et mise en scène marchent effectivement côte à côte, mais pire, il me semble qu'ils se détruisent les uns les autres.
"Michael Kolhaas" me fait penser à "L'hiver dernier" (vu l'année dernière, avec Vincent Rottiers). Les deux films reposent sur un personnage principal opaque et minéral, des partis-pris esthétiques radicaux, une beauté ahurissante de tous les plans, une sècheresse et une aridité terrifiante, une présence de la nature comme un personnage à part entière, un refus de dramatiser le propos, une rigueur de mise en scène très impressionnante... Ils sont vraiment très semblables, mais "L'hiver dernier" dans sa mise en scène parvenait mieux à mêler et opposer recherche de vérisme brut et vision romantisée du personnage. Il y avait quelque chose de plus complexe et abouti dans "L'hiver dernier" où le parti-pris de représentation rejoignaient le récit, devenait le récit lui-même. C'est ce qui me manque cruellement dans "Michael Kolhaas" pour pouvoir vraiment entrer dans le film de des Pallières.
Pourtant, tout était là pour me plaire au départ.