C'est vrai qu'on ressent une impression de surplace, mais pour moi ce n'est vraiment qu'une impression, les choses changent en profondeur. Auparavant, je voyais plutôt l'évolution personnelle des personnages dans un monde figé et étouffant. Aujourd'hui, c'est plutôt le contraire, avec des personnages figés dans un monde qui lui évolue. C'est un énorme changement d'approche qui se ressent forcément.
Je vais sûrement me répéter mais ce que j'adore dans "Mad Men", et ce depuis le tout début, c'est ce grand écart entre la subtilité et la sursignifiance. On passe systématiquement de petites choses toutes délicates à de gros trucs bien appuyés. Or dans cette saison le décalage est encore plus important. Ça amène énormément d'humour. On est de plus en plus dans la comédie noire. Les scènes à la "pied broyé par un tracteur-tondeuse" (saison 1, 2 ?) se répètent et s'accumulent jusqu'au ridicule. On quitte le sérieux et les bonnes manières des années 50 et 60, on plonge dans la laideur et la vulgarité assumées des années 70. Les masques tombent, les personnages se font de plus en plus pervers et ne le cachent plus du tout. Au diable les convenances et le savoir-vivre, même Betty se met à s'en foutre totalement et à agir impulsivement. Tous ceux qui cherchent à trouver un sens dans leur vie (Don, Ted, Ken, etc.) morflent épisode sur épisode, comme si les scénaristes tenaient à s'acharner sur eux. Comme si Bob Benson n'avait été placé là que pour secouer ceux qui se reposent un peu trop au lieu de prendre part comme tout le monde à la grande orgie générale de jem'enfoutisme et de détachement qui se profile. Du deus ex machina, tout le temps.
Weiner n'avait peut-être encore jamais aussi bien maîtrisé l'époque qu'il met en scène. Quand l'action se situait au début des années 60, il pouvait encore se reposer sur la production importante sur le sujet, il pouvait s'en tenir à la surface dans 80% des scènes, et gratter un peu dans 20% des scènes pour obtenir ce qu'il souhaitait, à savoir un nouvel éclairage sur cette époque. Il pouvait se permettre d'être assez scolaire, de rester dans la peau d'un élève brillant mais consciencieux qui ne prend pas trop de risques. Pour illustrer une époque en pleine mutation comme celle de la fin des années 60, c'est beaucoup plus dur, le fait de filmer les costumes ou l'apparition du plastique partout ne suffit pas, il faut inventer un ton, écrire les personnages et les scènes différemment. Il faut de la folie, du sursaut. Et il s'en acquitte de façon remarquable je trouve.
Très bonne saison 6 donc, même si elle est en-dessous de la 5 que je place tout en haut.
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