Nijal a écrit:
Sinon, quelqu'un a-t-il déjà lu ça ? :
Je l'avais emprunté à ma médiathèque, et en avais profité pour relire les 2 premiers tomes. C'est bizarre mais, même si j'aime beaucoup l'univers sombre qu'ils dépeignent, l'écriture se mettant dans la peau de plusieurs personnages et le style graphique proche de Burns, je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a quand même progressivement un effet de lassitude sûrement dû à l'absence de fil rouge. L'excellent
Hallorave plantait parfaitement le décor, c'était un véritable coup de maître mais la suite ne fait finalement qu'étendre la toile en ajoutant de nouveaux personnages de plus en plus secondaires, diluant du coup un peu la force du truc. C'est ce qui me gênait un peu dans le second tome, quelques-uns de ses chapitres étant plutôt décevant.
Pour tout dire, je me suis arrêté au troisième chapitre de ce tome 3, avec le chapitre désastreux de la petite soeur de Marie et son langage sms à la con, j'avais l'impression que Mezzo et Pirus s'efforçaient maladroitement de coller à l'air du temps sauf que ça ne fonctionne pas du tout. Je ne sais pas si la suite du tome vaut vraiment le coup mais j'ai totalement décroché: l'absence de fil rouge encore, quelque chose de solide qui ferait tenir tout ça sur la longueur comme les derniers Charles Burns justement qui, avec un univers ultra-fragmenté, arrive largement à tenir en haleine.
Sinon:
Il n’est jamais trop tard pour découvrir un auteur important. Six ans avant ce
Renée qui en est la suite, le français
Ludovic Debeurme avait sorti
Lucille, un roman graphique bouleversant. Lucille bouleversait les codes classiques de la BD par l’absence de cases et surtout par un graphisme minimaliste et épuré en noir et blanc qui rendait l’ensemble très fragile, aussi fragile que les personnages qu’il fait exister, des êtres dont les vies sont emplies de souffrances à surmonter seul ou à deux. Lucille souffrait d’anorexie, Arthur avait un père alcoolique, tous les deux trouvaient d’abord refuge dans une sorte de solitude affective avant de se rencontrer et d’essayer de construire une nouvelle vie ensemble.
Renée devrait démarrer là où nous laissait Lucille mais ce n’est pas exactement le cas, l’auteur maniant à la perfection tel un grand couturier un récit qui se veut en premier lieu décousu avant que les pièces s’assemblent au fur et à mesure, commençant même par nous dévoiler les souffrances d’un nouveau personnage (la Renée du titre et son histoire d’adultère) pour mieux brouiller les pistes.
Ludovic Debeurme semble aller plus loin dans sa démarche d’auteur/dessinateur à plusieurs niveaux: le graphisme se fait ici plus réaliste; l’écriture est plus poétique, décrochant parfois des phrases qui résonnent encore dans la tête; enfin les douleurs sont plus profondes et crues qu’auparavant et il faut avoir le coeur bien accroché pour rentrer dans l’univers sombre et désespéré de l’auteur. Aussi le récit est plus déconstruit que jamais, mêlant les rêves, les pensées, le réel, les souvenirs des différents personnages (surtout Renée, Lucille et Arthur) sans distinctions trop apparentes et sans chronologie réelle, les informations arrivent au compte-goutte. Cela donne l’impression de coller au plus près de l’intimité de ces personnages, de suivre leurs vies dramatiques de l’intérieur.
Une lecture dont on ne sort pas indemne d’un auteur véritablement talentueux donc, âmes sensibles s’abstenir par contre.