GEORGE SPROTT de Seth, éditions Delcourt.
Le livre en tant qu'objet est impressionnant, là une petite vidéo qui donne un peu l'étendue du truc :
http://www.youtube.com/watch?v=Bjz5FPMieQUIl y a deux mouvements dans George Sprott. Le premier est un mouvement de l'intime, de l'anecdote, du récit en creux. Soit la biographie de Sprott, personnage fictif, voyageur du grand nord canadien dans sa jeunesse, il devient ensuite présentateur de sa propre émission de télé au début du XXème siècle sur une chaine locale, puis meurt à plus de 80 ans. Le récit se partage entre témoignages de personnages l'ayant côtoyé, scenettes commentées par un narrateur omniscient, ou brefs moments de vie du personnage dans sa jeunesse. Il ne s'y passe pratiquement rien, petites victoire de la vie et petites lâchetés qui font un personnage contrasté mais banal. Le style du dessin participe de ce penchant là, très old school 1920 (avec une couverture art déco dans le ton), peu de variation du cadre, répétitions des plans, neutralité des cadrages, on est dans une ambiance cosy à l'ancienne, pas de psychologie ou de drame, on sait que les choses en resterons à leur surface.
Et puis il y a un deuxième mouvement, simultané au premier, inverse mais jamais contradictoire (c'est peut être la grande réussite du livre), un mouvement du spectaculaire et de la grande forme. Dans le corps du livre lui même d'abord, très grand format, luxe, mise en page hyper sophistiquée et agencement des séquences acrobatique. Seth éclate la chronologie de la vie de Sprott, s'arrête sur une période de sa vie, reviens en arrière, reprends le compte à rebours de ses derniers moments de vie, puis repart dans son enfance. Cette débauche de sauts dans le temps, alliée à ces grandes doubles pages du grand nord, appuient l'idée qu'il y a un mystère tout de même, que ce mystère est le même chez Sprott que chez n'importe qui, en gros : qu'est ce qui le meut, qu'est ce qui fait que l'on fait les choses. Ce mystère et sa mise en scène spectaculaire dans le livre fait de Sprott un personnage profond et multiple alors même qu'on reste au seuil de son intimité. Point culminant de ces effets, les deux pages en rabat qui se déplient pour laisser place à un grand panoramique de cases elliptiques et obscures, récit en tressage savant qui laisse entrevoir la complexité des maillages des choses qui font une vie.
Seth réussit ce qu'il avait commencé avec Wimbeldon Green, en moins potache, en moins série B, quelque chose de plus solennel et dépressif, et grandiose. (joli diptyque que ces deux livres d'ailleurs, en miroir inversé jusque dans le format)
Pour faire simple, c'est le point de rencontre exacte entre Schultz et Chris Ware.
Seth, Maestro.