Je me souviens avoir découvert le film au moment de sa ressortie début 1991 quelques jours avant la cérémonie des Césars. De Besson, je ne connaissais que Le Grand bleu (que je n'avais pas détesté mais qui peinait à m'intéresser déjà à l'époque) et l'affiche de Subway, qui m'avait longuement fasciné avec son sabre laser, et que mes parents (qui l'avaient vu sans moi) avaient trouvé nul à chier. J'entre donc dans la salle sans trop savoir à quoi m'attendre, ayant lu à l'époque peu de choses sur le sujet (Impact n'en avait pas parlé du tout), sachant juste que certains potes plutôt dignes de confiance avaient adoré.
A l'époque, Nikita est très vite devenu l'un de mes films français préférés, aux côtés de Subway justement. J'attendais impatiemment le Besson suivant, me précipitant dans les salles pour Léon (déception) et même pour Atlantis (j'adore les fonds marins, et le film ne montre que ça). A peu près à cette époque, je me souviens avoir montré Nikita en VHS à mes parents... C'est le test fatal pour un film : quand on ressent une certaine honte pour le film qu'on montre, parce qu'on se rend bien compte, finalement, que ce n'est pas parfait, loin de là. Effectivement, mes parents avaient trouvé le début globalement merdique, et j'étais bien obligé de leurs donner raison (et pourtant, croyez moi, ils sont plutôt grand public).
Saut dans le temps, quinze ans plus tard, je redécouvre le film, dont je conservais plutôt pas mal de souvenirs (plus ou moins mitigés avec le temps). En se reportant à la section Top, on peut voir qu'il s'agit de l'un des Besson que je déteste le moins. Confirmation hier soir, donc, sur plusieurs points.
1. Le film n'est pas honteux, loin de là. Rythmé, plutôt prenant.
2. La première partie est vraiment merdique. Je passe sur le premier plan qui longe le bitume, personnellement cette signature m'emmerde, mais après tout, elle n'a rien de foncièrement ratée. La suite : nous sommes dans un film qui hésite encore entre les néons des années 80 et les noirceurs des années 90 (heureusement, malgré ses défauts, Léon fera le bon choix). On a donc ici des éclairages bien bleutés devant la pharmacie (c'est quoi cette pharmacie qui illumine de nuit tout un quartier ???). Des racailles très méchantes, bourrées de tics, avec des pseudos bidons (tout droits échappés de Subway ?). Des moments un rien incohérents ("Zap" qui met des gros coups de hache pendant cinq minutes mais on ne sait pas dans quoi). Des flics soit incompétents (pour cela, il me faudrait la confirmation d'un pro, mais j'ai vraiment l'impression qu'ils s'y prennent comme des pieds quand ils débarquent dans la pharmacie), soit violents (Roland Blanche et la grosse baffe dans la gueule filmée comme dans un ZAZ). On note, déjà, une tendance à ridiculiser les flics, dépeints ici comme des gros beaufs totalement cons : le prof de karaté, l'informaticien... Mais le tout s'enchaîne relativement bien. J'aime par exemple beaucoup le sens de l'ellipse (pharmacie, commissariat, tribunal, prison, chambre, centre de formation...) de cette première partie, plutôt rythmé. Il faut bien ça pour compenser les dialogues qui vont de l'insupportable au carrément interdit. On y reviendra.
3. Dans cette première partie, on remarque déjà l'utilisation de la musique, très similaire à celle du Grand bleu. Chez Besson, il n'y pas réellement de thème unique. Ce serait plutôt une partition qui accompagne les personnages, une sorte de voix supplémentaire qui souligne, bien souvent avec une lourdeur pachydermique, les dialogues. Un exemple tout bête : la phrase de Nikita à sa prof Jeanne Moreau, "Vous étiez à ma place avant ?", immédiatement suivie de quelques petites notes de musique qui annoncent les scènes et l'ellipse suivantes. C'est parfois assez joliment fait, mais c'est aussi tellement prévisible, tellement répétitif (on y avait déjà droit dans la quasi totalité des scènes du Grand bleu, mais il me semble qu'il abandonne un peu ce tic dans ses films suivants ?). [De toute façon, la finesse, Besson connaît pas. Voire par exemple de quelle façon il nous fait comprendre que ça fait six mois que Nikita est libérée et que donc, attention, les services secrets vont l'appeler. D'ailleurs, ça ne loupe pas : Marco lui dit que ça fait six mois qu'ils sont ensemble, et bam, le téléphone sonne, "Joséphine"...]
4. Il y a, bien avant Taxi/Wasabi/Yamakasi/Angel-A/etc, quelques trous dans l'histoire. Je n'ai pas passé mon temps à prendre des notes, mais j'aurais peut être du. Il m'est arrivé plusieurs fois de me dire que ce n'était pas très logique, notamment dans la scène de la salle de bain à Venise : Bob offre à Nikita deux allers-retours à Venise (on suppose donc qu'il offre l'hôtel avec ?). Mais comment savait-il que Nikita serait dans sa chambre pile poil au moment où la cible sortirait de chez elle ? C'est, dans cet exemple, ce que je hais le plus chez Besson. Ce mec ne s'emmerde pas, il balance ses idées, parfois bonnes, mais sans jamais se soucier de vraisemblance. Par charité, je passe sur l'ambassade la moins bien gardée de France, sur la facilité avec laquelle Nikita retrouve son chemin suite à la scène du restaurant, etc. Les trous de Taken sont déjà là.
5. Je reviens aux dialogues. Besson a une manie insupportable de se prendre pour Michel Audiard (référence avouée de Léon), aussi bien dans ses réalisations que dans ses productions. On l'a souvent comparé aux cinéastes américains, mais ce qu'il écrit est au contraire très français, pour ne pas dire très franchouillard. Certaines répliques, les plus simples, passent très bien, notamment parce qu'elles sont bien jouées : "Tu sors demain", "Bon ben... on va s'l'ouvrir", "Allée 8, n°30", etc. Mais dès que Besson cherche à surécrire ses dialogues, cela donne des trucs absolument insupportable : "bon ben, je vais la mettre au frais pendant qu'elle est chaude", "une souris blanche assise sur une branche...", tout le monologue de Jeanne Moreau... C'est dommage, dès qu'il abandonne ses prétentions, il devient touchant (voir le monologue d'Anglade dans la chambre à Venise, pas toujours adroit mais assez juste).
6. Les personnages sont quand même de bonnes grosses vignettes sans beaucoup d'intérêt. Nikita, à la rigueur, est à peu près correctement écrite, mais les autres n'existent quasiment pas. Bob, un peu. Marco, dans une ou deux scènes... Mais Victor est l'exemple typique du mec qui n'existe pas. On est là face au personnage bessonnien dans toute sa splendeur : le mec est juste une idée (une idée marrante pour le coup), rien de plus. Il tombe dans le film comme un cheveu dans la soupe.
Dans l'ensemble, il demeure un film agréable à suivre. C'est bourré de défaut, il n'y a pas UNE scène où je ne me dise "Naaaaaaaaaaaaaan interdit !!!", mais ça se laisse voir, ça se suit bien, c'est parfois drôle, parfois prenant, parfois très con. A l'heure où il ne fait plus aucun doute que la carrière de Besson est un vrai gâchis, revoir Nikita fait du bien.
3/6
_________________ Que lire cet hiver ? Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander) La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)
|