Citation:
Je vais essayer d'expliquer comment je le ressens : à mes yeux, la musique de Steiner (et pourtant s'il y en a bien une que j'ai écoutée de lui, c'est celle-là) n'ouvre pas à un mariage à proprement parler avec le film. C'est une alternance entre du mickey-mousing d'action ou de découverte de lieux ou d'évènements grandiloquents (= musiques qui, dans leur mariage à l'image, signifient simplement au spectateur le degré d'intensité), et des musiques-tableaux, qui développent sur une ambiance, une situation (un peu comme ces morceaux classiques qui prennent un sujet ou un motif qui donne le titre au morceau, et qui construisent toute une variation dessus).
Dans les deux cas, pour moi, le rapport reste illustratif. On dit à la musique ce qui est à l'image. Et on le dit certes avec toute la science du monde, la musique est subtile, raffinée, mais en soi. Elle ne vient pas dialectiser l'image, elle la bégaie. On a une musique qui, par exemple, avec tout le raffinement qu'elle peut, dit "c'est triste", et une image qui dit, avec tout le raffinement de montage qu'elle peut, "c'est triste". Le tout simplement relié par des points de synchronisation : la musique ne gère en rien l'image, chacun fait son travail dans son coin.
Pour le mickey-mousing d'action, la musique de film continue à le faire - ce qui paraît logique. Mais la notion de commentaire est-elle si présente que ça ? 90% de la musique de film moderne est constituée de musique au premier degré, et le reste consiste à décaler le stéréotype en jeu par rapport au montage. Et cette notion est-elle vraiment absente des classiques, peut-être pas chez Steiner qui reste un pionnier, mais chez ceux qui suivent (Waxman, Herrmann) ? N'est-il pas seulement coulé dans la logique de la musique, dans les couleurs, l'usage des motifs, les choix de caractérisation ?
Après, je ne connais pas assez le cinéma classique pour en parler.
Mais genre ça (pas trouvé le film entier, et la scène est partielle) :
http://www.youtube.com/watch?v=BlQ8VIQ_IRMLe traitement de l'angoisse diffuse (en contradiction avec l'image), les sursauts harmoniques ambigus (à 0:43, à 1:13), l'utilisation progressive du leitmotif jusqu'à la réplique à la fin (à 1:26), c'est au-delà de l'illustration, c'est de la
coloration quasiment image par image de ce qui sur l'écran. Sans la musique, la scène n'est plus du tout la même.
Après, effectivement, ce n'est pas comme ton exemple où la musique vient contredire l'image, où on fait exister deux blocs contradictoires simultanément. Mais dans un cas comme celui-ci, il y a un rapport extrêmement serré, la musique ne fait pas son truc dans son coin en tombant par hasard à quelques points de synchronisation (ici la synchronisation se fait sur des traitements à chaque fois différents du leitmotif du personnage principal, leitmotif lui-même très ambigu).
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Je suis aussi d'accord pour dire que la tendance aux nappes dans la musique de film est une feignasserie dangereuse ces derniers temps.
Il n'y a pas que les nappes.
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Pour moi si, justement. Ce serait un peu comme dire : il faut que le chef-op fasse une image qui soit en soi jolie, belle, intéressante pour elle seule, qui puisse faire à chaque capture d'écran l'équivalent d'un tableau passionnant. On sait bien que ça ne fonctionne pas comme ça, et que c'est dans le rapport image / mise en scène que va se jouer la qualité d'un chef-op (il suffit de voir la photo dégueu mais très forte d'un Coutard). De même, un acteur qui joue blanc chez Bresson n'est pas mauvais en soi (alors qu'on pourrait dire : posé sur une scène de théâtre, il est plus mauvais que les autres) : il est bon ou mauvais mis en perspective dans un système esthétique général qui lui donne, ou non, une place.
Mais dans un système esthétique, il y a des degrés. Il ne s'agit pas de faire une belle musique en soi, mais dans le cadre du système d'en renforcer la teneur. Comme je le disais, à la densité de la musique répond aussi une densification du rapport avec le film, elle ne le nie pas.