Début de ma rétro du grand Hitch avec pour horizon de tout me refaire cette année. Pile pour... euh... les ... euh... les 45 ans de sa mort ?
Rétro de gros vendu avec comme mot d’ordre ce mantra très connu du sieur himself dans l’indispensable conversation avec Truffaut :
"Je ne filme jamais une tranche de vie car, cela, les gens peuvent très bien le trouver chez eux, ou dans la rue, ou même devant la porte du cinéma. Ils n'ont pas besoin de payer pour voir une tranche de vie.
Par ailleurs, j'écarte également les produits de pure fantaisie, car il est important que le public puisse se reconnaître dans les personnages.
Tourner des films, pour moi, cela veut dire d'abord, et avant tout, raconter une histoire. Cette histoire peut être invraisemblable, mais elle ne doit jamais être banale. Il est préférable qu'elle soit dramatique et humaine.
Le drame, c'est une vie dont on a éliminé les moments ennuyeux.
Ensuite, la technique entre en jeu et, là, je suis ennemi de la virtuosité.
Il faut ajouter la technique à l'action. Il ne s'agit pas de placer sa caméra dans un angle qui provoquera l'enthousiasme du chef opérateur. La seule question que je me pose est de savoir si l'installation de la caméra à tel ou tel endroit donnera à la scène sa force maximale.
La beauté des images, la beauté des mouvements, le rythme, les effets, tout doit être soumis et sacrifié à l'action."
Ça a l’air simple dit comme ça, mais en fait, comme toujours avec (Sir) Alfred, c’est plus compliqué.
C'est parti donc pour
To Catch a Thief :
"Why did I take up stealing? To live better, to own things I couldn't afford, to acquire this good taste that you now enjoy and which I should be very reluctant to give up." Bien que
La Main au collet parle d’un cambrioleur, le film n’éprouve aucun intérêt à dépeindre ce qui fait habituellement le charme du caper movie : à savoir la mécanique d’un casse soigneusement planifié et plus ou moins bien exécuté. D’autres réalisateurs ont amplement évoqué les rapports entre le « coup » et la réalisation d’un film, mais cet aspect semble de façon paradoxale totalement désintéresser LE metteur en scène qui n’a eu de cesse de dévoiler l’envers du décor et de jouer avec la place du spectateur.
Pourtant,
La Main au collet s’insère complètement dans l’œuvre d’Hitchcock en maniant plusieurs motifs, notamment l’inversion morale (le voleur de renom est en réalité innocent) et la haine des autorités (les flics sont totalement anonymisés et constamment dépeints en prédateurs : plusieurs jolis mouvements verticaux en amorce du climax les montrent ainsi enserrer le couple de suspects en pleine valse).
L’intérêt du film est principalement pictural : dès le générique, on aperçoit une vitrine vantant les mérites de la côte d’Azur. « If you love life, you’ll love France ». Le plaisir promis par l’affiche est doublée ensuite par le nom de Grace Kelly, Francie. D’ailleurs, dès sa première apparition, la magnifique Grace est saisie sur la plage comme sur une carte postale idyllique. Ces tableaux vont parsemer le film, tant le format utilisé de la Vistavision permet au spectateur de profiter à la fois du décor (les scènes sur les routes en hauteur surplombant à la fois la ville et la plage) que de la vue (comptez le nombre de personnes qui se retournent sur le passage de Grace Kelly en un seul plan… et comptez-vous par-dessus le marché).
Mais Hitchcock - qui assumait totalement la légèreté du propos – emprunte aussi à l’animation (notamment dans la première partie) : la Némésis de Cary Grant a une mèche blanche comme un skons façon Pépé le putois, les membres de ce même Cary Grant semblent élastiques quand on tente de l’arrêter en saisissant ses manches et qu’il se réfugie derrière un arbre, et des feux d’artifice se déclenchent quand la romance devient explosive. Qui plus est, le nom du bateau sur lequel monte Grant avec la fille de son rival de la résistance s’appelle le « Maquis Mouse ».
Le personnage de Robie lui-même semble proche du cartoon. Son nom renvoie à sa profession (Robie/Robber) et Hitch prend soin de jouer sur la grande taille et le physique encore athlétique de l’ancien acrobate qui semble monter sur ressort. Enfin, le nom d’emprunt de Robie lorsqu’il se planque est Burns comme le Walter Burns de
La Dame du Vendredi du spécialiste des héros d’action, Howard Hawks. Real recognize real.
Comme chez ce dernier la montée en sauce de l’idylle passe par les dialogues à sous-entendus et par l’intégration du personnage féminin dans l’action. On peut apprécier ainsi Grace Kelly piloter avec habileté sa voiture de sport avant d’encadrer Robie dans le plan par ses mains fermes sur le volant d’un côté et son joli minois de l’autre.
Tout comme cette balade se déroule au bord d’un précipice, les mésaventures de Robie menacent à tout moment de tout lui faire perdre… tout ce qu’il a malhonnêtement gagné. Et le film est intéressant pour la description finalement assez vacharde d’un groupe de résistants rancuniers. Plus que le sous-texte libidineux aisément déchiffrable entre Robie et Francie, il y a, entre le cambrioleur et ses anciens complices, un passif plus nébuleux. Pourquoi cette inimité assez visible entre anciens camarades de combat ? Est-ce seulement parce qu’il a réussi et eux non ? Hitch multiplie les plans sur l’équipe de Bertani avec des cadres dans le cadre comme s’ils étaient toujours en taule. Et on n’évite pas de nous rappeler autour d’un dialogue que la bonne de Robie elle-même à étrangler de ses mains un général allemand (sans compter la proposition de la jeunette de prendre la poudre d'escampette en... Amérique du Sud).
Hitchcock saisit par ailleurs le duel entre la mort que charrie l’ancien groupe de résistants et la nouvelle vie hédoniste pleine de promesses de Robie dans un plan qui utilise là encore la largeur et la profondeur du format : avec à sa gauche la voiture de Grace Kelly et à sa droite dans le fond le corbillard qui vient d’emmener son ancien rival à son dernier domicile.
Et que dire du passage où on manque d’arrêter Robie sur le marché et où tout le monde semble prêt une fois de plus à jeter des innocents au fer, à peine dix ans après la libération… ? Il y a une tension non résolue qui contraste avec le décor paradisiaque, et transparaît dans le rouge vibrant des fleurs qui vont là encore encadrer puis dissimuler Robie.
Autre jeu sur la couleur : celui du vert nocturne dans les plans silencieux qui illustrent les cambriolages avec cette nature où un buisson tressaille ou avec ces toits qui virent à l’abstraction. De très beaux passages où Hitch retrouve la force du muet et qui a dû traumatiser un certain Mario B. qui est à l’époque à deux doigts lui aussi de tisser des fils entre le plaisir et la mort.