Orlacs Hände en VO.
À cause d'un accident de train, le pianiste Paul Orlac perd l'usage de ses deux mains. On lui en greffe de nouvelles, qui s'avèrent être celles d'un assassin récemment exécuté. Il faut d'abord préciser un truc, car je pense que ça a beaucoup influencé ma perception du film : ça doit être le premier muet depuis 6 ou 7 ans que je regarde avec musique. Le score récent composé par Paul Mercer est la première partition depuis des lustres que je vois faire autre chose que du coloriage. Généralement, les musiciens prennent le film comme simple support à leur bidouilles, variant de façon très ostentatoire sur les motifs thématiques proposés, en aplatissant les subtilités et le rythme interne au scène avec la finesse d'un rouleau compresseur (et ce aussi recherchées puissent être leurs musiques prises seules). Mercer au contraire sent très bien les mouvements de narration à l’œuvre, quand il faut plonger dans la scène et quand il faut se tenir à distance, quand il faut seulement compléter et suggérer... bref, il est là pour aider la scène à délivrer son potentiel discrètement, sans l'écraser. Ce score est pas un chef-d’œuvre, il écope de gros défauts (le flux de musique omniprésent qui confine au gavage, la conversion guillerette de certaines scènes finales un peu ridicule), mais c'est à noter.
Je précise parce que ce qui m'a frappé, c'est la fluidité narrative de Wiene - lui qui dans
Caligari me semblait très laborieux, en tout cas dans une bonne première partie du film, à aligner les tableaux dans lesquels se présentaient les originalités de décors à la queue leu-leu, comme sur présentoir. La musique aide-t-elle donc à faire le boulot ? Je pense qu'il y a quand même un pas de géant fait, qu'on devine d'abord par la manière dont l'expressionnisme s'est fondu dans le réel, pour se faire dix fois plus efficace. L'accident de train qui ouvre le film dans la nuit noire et les fumées éblouissantes est d'un onirisme bien plus frappant que n'importe quel décor explicitement tarabiscoté, et tout aussi propre à transmettre un sentiment de désastre humain. Plus généralement, le film est beaucoup plus proche d'un
Nosferatu, dans le sens où sa veine expressionniste confine à la mélancolie, à un vague à l'âme plus proche du romantisme : c'est avant tout l'histoire d'un couple qui va mal.
C'est la première chose qu'on lit dans le film,
"J'aimerais sentir ton corps sous mes mains". L'érotisme est immédiatement une dimension au centre de l'horreur, et il n'est vraiment pas difficile de voir, à travers la façon dont se développe ce pitch, l'histoire d'un jeune couple amoureux confronté à l'éveil, chez le mari, d'une sexualité dont il prend peur. Je trouve que le film tient cette ligne-là très bien jusqu'à un bon tiers : on dessine quelque chose qui tient du film d'horreur psychologique, avec une vraie compassion pour cette histoire d'amour simple. Mais très vite, le film fait un choix surprenant (qu'on peut aussi juger subtil) : ne plus confronter les amants. Une bonne moitié du film suit les évènements en mode "chacun de son côté", délaissant la pureté de la trame romantique pour explorer d'autres voies (la criminelle, la familiale). Wiene ne perd pas le ton qu'il a introduit, mais peut-être perd-t-il de vue l'enjeu : la poésie du film se dilue parfois dans un certain ennui (aussi du à une lenteur de jeu un peu facile), et se ratatine dans un final qui privilégie les nœuds de la résolution policière au climax du couple - remis au centre in extremis et bien trop rapidement (bien que le dernier plan soit superbe), ce qui est quelque peu frustrant.
Le film reste beau et inspiré. Peut-être trop timoré pour vraiment exploiter la veine "film d'horreur" de son pitch... Mais il dégage une mélancolie profonde et persistante qui à mes yeux le rend bien plus précieux qu'un
Caligari (même si ça y était déjà présent, d'une certaine façon).
Concernant le DVD : très bon travail de Kino, qui compresse impeccablement une copie restaurée pas évidente (très rayée, évidemment vu l'âge). On peut regretter que les cartons aient été refaits en anglais, et peut-être aussi les noirs pas assez denses (on sent qu'ils ont pas voulu abuser sur le contraste, garder un maximum d'infos), mais c'est du super boulot, et les bonus (sur les scènes alternatives et les différentes versions du film, avec explications) sont pour le coup vraiment utiles.