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Robot in Disguise |
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Inscription: 13 Juil 2005, 09:00 Messages: 36877 Localisation: Paris
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Je me devais de partager cet article du Monde sur les étudiants des écoles de cinéma et d'art et leur rébellion contre les icônes décrétées "problématiques". https://www.lemonde.fr/culture/article/ ... _3246.htmlLundi 5 décembre 2022, à la Fémis, la grande école parisienne de cinéma, Nicole Brenez tient un cours sur l’art et la manière de conclure un film. La directrice du département Analyse et culture cinématographique projette la fin de Sombre (1998), de Philippe Grandrieux : un féminicide, analyse-t-elle, après avoir averti que l’extrait contenait des images violentes. Tollé des étudiants qui quittent la salle. « Le viol n’est pas un motif narratif, il n’est pas un pivot dramaturgique, il n’est pas une pulsion de mort qui existe en chaque être humain », écrivent, deux jours plus tard, les élèves de première année, dans un long mail interpellant l’ensemble de la Fémis. « Le viol est une construction sociale largement acceptée, normalisée, esthétisée et érotisée. Il est temps d’en parler comme tel. » Signé : « Les femmes de la promotion Kelly Reichardt… »
Anecdotique ? Pas vraiment. L’événement raconte un mouvement que l’on retrouve dans la plupart des lieux où s’enseigne la culture. A la Fémis, dans l’urgence, la direction organise un débat, vendredi 9 décembre 2022. « Trois heures de dialogue de sourds, entre deux générations irréconciliables », juge une étudiante.
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Aux Beaux-Arts de Marseille, c’est Le Mépris (1963), de ce même Godard, qui a mis sur la sellette Didier Morin, professeur de cinéma et de lettres pendant un quart de siècle. « Depuis quelque temps, pendant les projections, j’entendais un brouhaha dans le fond de la salle, je croyais que c’était de l’inattention, mais, ce jour-là, j’ai compris… » Ce jour-là, « elles » se sont levées et ont débranché le projecteur. (...) Didier Morin pousse un soupir sans fin : « Et encore, je n’ai jamais montré Une sale histoire (1977), de Jean Eustache, où Michael Lonsdale raconte comment il est devenu voyeur grâce à un trou percé dans les toilettes des femmes… Je me serais fait incendier. »
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Spécialiste de l’essai documentaire et du montage cinématographique, Bertrand Bacqué, 58 ans, est professeur associé à la Haute Ecole d’art et de design (HEAD) de Genève (Suisse). En avril, il travaille avec ses élèves sur un texte de Johan van der Keuken datant de 1967, « La vérité 24 fois par seconde » – référence à une formule de Godard, une fois de plus.
Comme il le fait depuis dix ans, Bertrand Bacqué diffuse un extrait d’un film de l’auteur, Lucebert, temps et adieux (1994). « C’est un montage très serré, des travailleurs sous le soleil, un dictateur grimaçant, une chèvre qu’on égorge, et puis une fête en Espagne avec les Rois mages, dont Balthazar, le visage peint, raconte un élève. Une étudiante noire a jugé que c’était négrophobe, elle s’est couchée sur sa table. Le prof a essayé de lui expliquer que van der Keuken était de son côté. Rien n’y a fait. »
L’élève ne vient plus aux cours, le professeur ne valide pas son semestre. Le voilà bientôt convoqué par l’administration pour diffusion d’images racistes. C’est que la HEAD est à la pointe de la lutte contre les discriminations. Il y a quatre ans, son président a nommé un « déléguex » à l’inclusivité – le « x » désigne le non-genré. Transgenre, Nayansaku Mufwankolo est en effet, tel que l’explique sa bio sur le site de l’université, « unx poetx et chercheurx en art contemporain diploméx d’un master de l’université de Lausanne en anglais avec spécialisation en new american studies et en histoire de l’art ». A Bertrand Bacqué, on demande de suivre une formation sur ces questions.
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C’est ainsi que les rebelles d’hier, dans leur refus de tout diktat, se retrouvent en première ligne : « Quand le wokisme est arrivé, j’étais plein d’espoir, cela allait apporter de l’air frais, témoigne le plasticien Jean-Luc Verna, qui enseigne le dessin aux Beaux-Arts de Cergy (Val-d’Oise). Puis c’est devenu une idéologie, et enfin du marketing. Cela donne des groupes fermés, beaucoup d’entre-soi, les queers avec les queers, les racisés avec les racisés. Ces gens non binaires ont une vision très binaire. Quid du droit au flou ? Je n’en peux plus des “alphabet people” [référence à l’acronyme LGBTQIA+ : lesbiennes, gay, bisexuels, transexuels, queer, intersexe, asexuel]. C’est le monde d’Internet, des catégories, qui crée de la souffrance pour ceux qui n’entrent pas dans le cadre… Tout ça, ce sont des élèves qui érigent des pyramides de pouvoir. Plus ils réclament de l’horizontalité, plus ils recréent de la verticalité. »
Enorme chaîne noire sur sa combinaison noire, couvert de tatouages qui ruissellent depuis le sommet du crâne qu’il a rond et lisse, un sourire brillant de dents métalliques, Jean-Luc Verna n’est pas du genre à se cacher derrière son petit doigt : « Entre profs, on ne parle plus que de ça. Il y a quelque temps, on a reçu une circulaire. Règle 1 : pas d’interaction physique. Donc si quelqu’un pleure, on ne peut pas lui toucher le bras ?, commente-t-il. J’ai rassuré les étudiants : je n’aime pas les corps de jeunes. »
Il prend une pose pour minauder : « J’ai 57 ans, mais j’en parais 37 », avant de reprendre : « Règle numéro 2 : des interactions “mates”. Pas d’humour, quoi. C’est dommage parce que, pour moi, c’est le lubrifiant pédagogique numéro 1. » Il en rit, mais ces « ligues de vertu » le mettent en colère. « A Cergy, mes collègues blancs, hétéros, de plus de 50 ans, rasent les murs. Ils sont considérés comme des agresseurs potentiels, suppôts du patriarcat. Le fait que je sois solidaire et que je le dise en public, ça ne passe pas. »
En octobre 2022, il était invité à donner une conférence devant trois cents personnes à la Villa Arson, à Nice, où il a passé vingt-cinq ans. « Moi qui suis une vieille pédale maquillée, qui leur ai pavé le chemin, j’ai senti du flottement quand j’ai dit qu’avant d’être homosexuel, j’étais un homme, et avant d’être un homme, un artiste. Que je n’étais pas fier d’être homosexuel : je ne l’ai pas choisi, comme je n’ai pas choisi d’être blanc. Et que j’accepterai de porter le drapeau arc-en-ciel lorsqu’il comprendra une couleur pour les hétérosexuels… » Le Niçois s’est pris une bronca.
Un mois après, une autre ancienne de l’école, l’artiste égyptienne réputée féministe Ghada Amer se voit, elle aussi, reproché de n’être « pas assez ». « C’est beaucoup plus agressif qu’aux Etats-Unis », raconte celle qui vit et travaille désormais à New York. De passage en France cet hiver, elle donne quelques conférences dans les écoles d’art. A Marseille, la voilà prise à partie. « Je suis inclusive, pas exclusive, #metoo est devenu ça. »
Elle rit mais son rire sonne tristement. « Ils dogmatisent une pensée qui est importante pour moi, sur laquelle, pendant trente ans, j’étais seule à me battre. » (...) Lorsqu’elle revient à la Villa Arson, en décembre 2022, l’amphithéâtre est plein. De nouveau, on l’interpelle : « Quel est votre rapport au postcolonialisme ? » Elle répond qu’elle fait de l’art… « C’est comme si j’avais dit “Dieu n’existe pas” à des religieux. » La salle insiste : « Que pensez-vous du racisme systémique de la Villa Arson ? » Elle ne comprend pas. « Le directeur était là, il aurait dû réagir… », s’étonne-t-elle. Les élèves ont quitté le lieu.Glaçant.
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