Forum de FilmDeCulte

Une fille, un garçon et un vieux technicien de cinéma se retrouvent tous les soirs dans une petite salle de cinéma pour se raconter des contes.


C'est une semi déception, pour moi qui avait adoré son dernier film.

Le cinéma d'Ocelot poursuit son fantasme d'ultra-précision : quasi exclusivité de profils, découpe ciselée des gestes finis, articulation jusqu'au boutiste de la parole et des accents, finesse féline du mouvement, aplatissement encore plus poussé (par la 3D qui donne clairement à voir les strates plates) d'un cinéma dégraissé jusqu'à l'os...

La 3D, vraiment, c'est la bonne nouvelle de ce film (je n'ai pas vu Prince et princesses, et ne sait donc pas vraiment combien elle renouvelle le principe d'ombres chinoises). Déjà parce qu'elle est super discrète (on l'oublie en 2 minutes ), mais aussi parce qu'elle participe souterrainement et profondément à l'impact esthétique, à l'émotion pas évidente que celui-ci procure - qui est à placer dans toute cette lignée "magique" qui chez Ocelot recrée le merveilleux par la perfection du timbre, du bruitage, de la silhouette ; la 3D adoucit le conceptuel du pitch esthétique, lui permettant parallèlement d'aller jusqu'aux frontières de l'abstraction sans briser l'immersion... C'est vraiment un beau coup. D'ailleurs, pour avoir eu par hasard l'occasion de voir un bout de la version 2D, je peux assurer que le film y perd énormément, notamment parce que celle-ci permet à Ocelot une radicalisation tout azimuts qui devient trop sèche une fois la force de cette profondeur amputée.

Mais Ocelot manque d'ambition, et ça fait chier. Je suis pas tellement gêné par le didactisme et la morale (ils sont là, ils font définitivement partie de son cinéma -les personnages en parlent texto, d'ailleurs-, et il faut accepter de faire avec ; ce qui perso me pose pas problème, même si la vision mémé du cinéma de quartier imposé dès la première image est d'un téléramesque à faire grincer les dents). C'est plutôt l'absence d'un cheminement plus large que les sketchs, capable de faire monter une puissance au fur des segments, qui me manque vraiment ici. La courte durée du film attaque autant la familiarité recherchée avec le trio de conteurs (la traversée de la nuit, on la sent peut, finalement) que l'ambition du voyage (variété d'époques, de costumes, de tons et de thèmes, programme avorté en route). Il manque aussi des scènes qui risquent vraiment la grandeur, même si le segment tibétain s'y essaie un peu par son côté plus cash, et que la montée de la cathédrale, dans un plan-séquence lui aussi pas mené au bout de son idée, semblait bien partie pour mener à incandescence toutes les obsessions de ce cinéma... Ca aurait pu être une immense fresque en patchwork, bordel ! Là ça ressemble juste à l'alignement de quelques friandises. Enfin, Yared n'est plus là, et la musique qui sonne comme du midi aide pas beaucoup.

Déçu, donc, d'autant plus que le concept était passionnant, qu'il est là abouti, et qu'en se bougeant le cul il aurait pu faire en faire son grande œuvre-vitrail.

Kirikou, je trouve ça plutôt beau, mais le reste d'Ocelot je suis un peu gêné: je trouve ça d'une grande laideur le plus souvent.

Ah ? Pourtant, le concept visuel très poussé d'Azur et Asmar (le choix des choses détaillées, des choses en aplats), je trouve ça magnifique, avec ce visuel qui flirte sans cesse avec l'ombre chinoise, qui y tombe, qui en ressort...



Après qu'on puisse trouver ça raide je comprends (c'est un peu le principe de base). Kirikou, découvert sur le tard, m'a fait moins d'effet (je trouve ça moins ambitieux et cash, moins abstrait aussi peut-être, j'ai plus de mal à m'impliquer dedans, même si c'est bien).

Parce que j'ai du temps... Ce que j'aime chez Ocelot, et particulièrement dans Azur et Asmar donc, c'est que les va-et-vient avec l'abstraction jouent le rôle de moteur narratif. Les récits sont tellement épurés, tellement "raides", tellement fignolés dans leur figuration, qu'a priori une narration a du mal à y trouver sa place, un émerveillement également. Or en fait, dans quasiment toutes les scènes, c'est la façon dont le ciné d'Ocelot se fait parfois très "opaque" qui fait renaître l'émerveillement : comme si le film allait trop loin (en état "d'extase formelle", comme chez Bay, quoi !), et qu'en plus il poétisait ça, qu'il montrait qu'il en avait conscience (par la musique, par exemple). Ça crée des sentiments réguliers d'épiphanie, comme si dans la "récitation" du conte se cachait quelque chose de l'ordre du sacré (un peu comme la fascination qu'on peut avoir, en magie ou en religion, pour la puissance du mot - je parle, la chose existe : ici, dans la foi d'une exécution "parfaite" du conte, il y a une pensée un peu voisine, au bord de l'abstrait, comme si en atteignant l'extrême limite dans la représentation de toutes ces choses, on pouvait retrouver la magie originelle de ces histoires).

Quelques passages qui m'évoquent ça :