Forum de FilmDeCulte

La banlieue et l'éducation nationale, un sujet maintes fois traité au cinéma avec, à l'évidence, plus ou moins de réussite. Téléfilm adapté par Emmanuel Carrère d'un roman de Thierry Jonquet, auteur qui s'illustrait habituellement dans le roman policier, Fracture bénéficie de la sobriété de ses moyens ; moins naïvement, niaisement hollywoodien que Les Grands Esprits, plus contemporain que Le Plus beau métier du monde, plus réaliste et moins onirique que De Bruit et de fureur et Madame Hyde, plus âpre que la Vie Scolaire et plus respectable au point de vue formel que La Journée de la jupe (pas vu Entre les murs car je n'aime pas Bégaudeau). C'est loin d'être parfait car le film ne parvient pas à réussir ses scènes hors collège, où la narration en plus se disperse au gré des personnages et de leurs difficultés respectives. C'est comme si un récit autre que cliché ne pouvait pas se dérouler au milieu des barres grises. Donc le film ne tient pas véritablement les promesses de ses débuts avec une Anaïs Démoustier assez géniale en prof débutante, qui n'arrive pas à maîtriser ton et débit devant les élèves et manifeste un mélange d'agressivité spontanée et de volonté de bien faire impuissante qui doivent probablement se rencontrer souvent à ce stade-là d'une carrière. En fin de compte, le film est limité par son ambition réaliste mais présente quelque intérêt pour la manière dont, comme on dit, il sonne juste, évoquant à la fois ces enfants d'immigrés qui ne se sentent pas français, ce désarroi mêlé de déni et de bonne volonté de ceux qui en ont la charge, une forme de repli religieux qui annonçait à l'époque le baroud, si je puis dire, de Mohamed Merah, etc.

Lu le roman de Jonquet que Carrère (ce qui prouve qu'il n'est définitivement pas un inventeur) a pas mal élagué pour en faire un film de profs alors que Jonquet, s'inscrivant dans une tradition bien éprouvée du roman français, offre une espèce de tableau en coupe d'une banlieue du 93 et des différents pouvoirs qui s'y côtoient (police, pègre, éducation, famille). On pense à Bégaudeau et à Despentes en se disant que le roman social à la française, issu de Balzac, en faisant un détour par Zola pour ce qui est de la prédilection pour le glauque, fait quand même un peu étriqué avec sa faculté à dévider une sociologie pour les nuls et à tout rendre irrémédiablement vulgaire et laid.
Non pas que Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte soit mauvais, il était même peut-être d'une brûlante actualité au moment de sa publication mais son réalisme, qui prend les nécessaires libertés avec la réalité, me fait un peu figure d'impasse. De Vernon Subutex à ici, on retrouve, comme une sempiternelle figure, des enfants que le désespoir rend suicidaires, ce qui témoigne plus d'un appauvrissement de l'imagination des romanciers que d'une tare de l'époque probablement.