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MessagePosté: 09 Avr 2024, 11:51 
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Fin des années 1820, en Bavière. Un jeune homme est maintenu au secret dans un cachot, depuis de longues années. Il dort sur une paillasse, et ne parait avoir jamais pû en sortir.
Il s'est attaché à un jouet en forme de cheval de bois, qui figure peut-être, dans ce contexte, tout le monde extérieur : tout à la fois l'autre,son pénis, le dehors, Dieu, ses parents. Son geôlier le rudoie, mais par pitié (ou plutôt pour gêner ses employeurs et les faire chanter ?), le libère. Il lui fait traverser une région de collines, lui apprenant pratiquement à marcher à cette occasion, et parvient à lui faire apprendre une phrase-Schibboleth je voudrais être un cavalier comme mon père. Il prétexte une sorte de partie de cache-cache et l'abandonne au matin sur une petite place de Nuremberg, dans une posture de statue, avec une lettre d'introduction dans sa main.

Il est repéré par des policiers et des gens du peuple, plus ou moins débonnaires et bienveillants, puis enfermé dans un second cachot, municipal et public cette fois-ci, où il devient une attraction suscitant une curiosité voyeuriste et moqueuse. Le gardien de la prison, simple et bon, l'intègre cependant dans sa famille, et jouant avec ses enfants, Kaspar commence à s'éduquer et à pouvoir parler. Une partie des bourgeois trouve qu'il coûte trop cher à la ville et il est alors abandonné à un cirque minable, qui l'exhibe de façon humiliante dans un freak show. Plus tard il tombe sur un vieux pédagogue humaniste, Daumer, qui le recueille et lui permet de combler en grande partie son retard intellectuel.

Son origine est mystérieuse, mais la rumeur court qu'il serait le seul héritier masculin de la famille de Bade. Le fait est qu'il semble y avoir un complot contre lui . Il subit plusieurs aggressions, sans que l'on sache bien s'il s'agit de le supprimer discrètement ou au contraire de se montrer pour intimider. Kaspar Hauser, même devenu plus sociable, vit lui dans son monde. Dans le meilleur des cas, ceux qui l'aident en font surtout une sorte de contre-épreuve réelle de la thèse du bon sauvage à la Rousseau, sans vraiment s'attacher à lui (à part peut-être Daumer*)


Image

J'ai vu le film après avoir lu le livre - magnifique- que Jakob Wassermann a consacré à Kaspar Hauser, et après l'avoir abandonné il y a longtemps (je l'avais il est vrai tenté un peu présomptueusement sur un vieux DVD allemand sans sous-titres).

Le film d'Herzog est moins politique que le livre, mais étonnamment, au vu de l'image grandiloquente et baroque que son cinéma charrie , il est aussi plus naturaliste et social (belle manière de filmer les second rôles - personne n'est réellement un figurant mais toujours un peu plus-, et le peuple de la ville, avec une belle ambiguïté, à la fois lié à un folklore national, et en même temps vaguement étrange et imprévisible, libre car inconscient de la caméra, s'il se met en scène c'est pour son présent), épuré, moins lyrique et sans doute plus prudent dans l'interprétation des faits (l'idée que Kaspar a pu se suicider n'est pas complètement impossible dans le film).
Le personnage de Lord Stanhope qui débarque d'Angleterre pour adopter mystérieusement Kaspar est dans le livre de Wassermann un être méphitique et faustien qui ajoute au complot politique une dimension métaphysique absolument terrifiante, quand Herzog le fait apparaitre mû par un plus banal intérêt homo-érotique .

De ce fait on perd un peu la notion de ce pourquoi Kapsar Hauser est un mythe allemand. Car, si Kaspar Hauser descendait réellement de la famille de Bade, il était alors issu d'une famille importante de l'ouest de l'Allemagne apparentée à Napoléon, via Stéphanie de Beauharnais, nièce de sa femme mais aussi fille adoptive - Napoléon serait en quelque sorte son grand-père, et seul héritier mâle il était en mesure de perpétuer cette dynastie dans une Allemagne qui allait s'unifier quelques décennies plus tard, après un lent processus enclenché par les toutes proches révolutions européennes de 1830.
De ce fait, les milieux libéraux de "gauche", qui correspondaient aux anciennes élites de la période française proches des Lumières, en train de perdre du terrain, soutenaient plutôt Kaspar Hauser (personnage très important de Feuerbach, ministre de la justice bavarois, le père du philosophe, qui a peut-être payé de sa vie son engagement pour Hauser, sévère et procédurier mais ayant supprimé la torture, central dans le livre, absent ici), quand la "droite", montante après le Congrès de Vienne, et peut-être plus bourgeoise, le présentait comme un imposteur ayant trouvé une combine pour vivre au crochet du contribuable et menait des campagnes de presse en ce sens. Ce clivage, comme celui de l'Affaire Maurizius, rappelle au fond celui de l'Affaire Dreyfus.

Herzog, via la prestation marquante de Bruno S., opère plutôt un recentrement sur l'individu Hauser. Dans le roman (ou "document" comme dit FingerCrossed), très touffu et très sombre, Wassermann essaye plutôt de culpabiliser le lecteur : il brosse la série de portrait sdes protecteurs de Hauser, tous pareillement défaillants, et pareillement mus par des arrières-pensées avouées ou inconscientes. Lorsque la leçon d echaque échec est tirée, à la fin des chapitres, Wassermann interpelle le lecteur directement, ironiquement et même agressivement (procédé romanesque en fait très rare). Le roman conclut sur l'idée, énoncée par un pasteur Fuhrmann plutôt bienveillant pour Hauser (que Herzog conserve) que "seul Dieu est innocent".
De ce fait l'innocence apparaît comme la figure de la véritable altérité, une différence sur soi, impossible, quand la grâce qui offre malgré tout un secours est un movement du même vers le même, un désir des hommes, utopique mais nécessaire, douteux, finalement le roman en vient ainsi à opposer amour et idéal, l'idéal de justice étant au-delà de lui : le salut serait un désert.
Mais Herzog, plus sarcastique, tend plutôt à ridiculiser devant le spectateur. (sans méchanceté, avec un certain humour) les bourgeois de Nuremberg, dépassés par la simplicité de Hauser. Ce changement de point de vue correspond à un basculement du plan politique au plan moral qui est celui d'Herzog.
Herzog ne nie pas le politique, mais pour lui, à travers des plans magnifiques de champs que le vent bat et fait onduler, de forêt captées au zoom, où la rêverie finale de Kaspar mourant, imaginant un Sahara où une tribu berbère est à la fois intégrée et diluée dans le désert, et sauvée (le chef qui mange le sable pour deviner les directions) le seul moment de la communauté rationnelle est aussi celui de l'immédiate naissance, la communauté rationnelle est une autre forme voisine de l'innocence qui précède la chute, ensuite, après-elle, elle n'est que reproduite et mimée.

Kaspar rêve d'une montagne de brume où les gens montent vers la mort en groupe, mais en redescencent aussi, à la même vitesse, pareillement anonymes, sans traumatisme visible : l'épreuve et le jugement eux-même sont frappés du sceau d'une impuissance ironique, mais pourtant les choses vieillissent, se perde quand-même, hors la mort personnifiée, et "l'idiot" Kaspar est le moins terrorisé par cela. Il est individualiste, mais assez stoïque que pour interprêter le sort commun et le rapporter à une finitude naturelle.

La communauté doit être neuve pour être morale, mais pas forcément régénérée. L'office catholique du Vatican semble avoir apprécié le film à l'époque, mais reproche à Herzog d'avoir "peut-être" manqué de compassion envers le personnage de Kaspar. En effet, il meurt (sans doute assassiné), résigné et serein, consolé par des visions et des paraboles (proches de celles de Kafka en fait chez Herzog) qu'il parvient à raconter.
Mais le film continue : à la dernière scène Kaspar est autopsié, son cerveau est disséqué par des médecins médiocres, qui semblent commettre ce geste pour se rassurer et annuler la singularité de Kaspar (ils représentent à la fois la cité et la loi : il reviennent seuls sur les lieux où le peuple a trouvé Kapser au début ), le handicap serait une explication. Herzog dévalorise le sort de Hauser pour dévaloriser ensuite l'intention de ceux qui le juge. Le récit continue, il y a une scène après l'exposé final du sens, dont le seul contenu est de dire que le cynisme est la part de nous qui n'a jamais été concernée par le mythe de la chute, ridicule mais anhistorique aussi, dès lors peut-être plus fascinante que le récit du mal proprement dit : elle est dérisoire mais ne souffre pas.

C'est donc assez ambigu. Cependant je crois qu'il y a une certaine générosité chez Herzog: la Ballade de Bruno, film suivant, contemporain, plus lyrique et codé (road movie US des seventies), est une forme de compensation offerte aux acteurs .Dans Kaspar Bruno S. apparait malgré tout comme un handicapé utilisé voire piégé dans un dispostif vériste, quand la Ballade de Bruno permet de mieux percevoir le vrai travail d'acteur et la finesse de son jeu, réactif, pertinent et efficace (de même l'acteur qui joue l'huissier, un peu débile toujours dans les pattes des autorités et passant à côté de Kaspar Hauser devient dans la Ballade son sidekick le plus intègre, beaucoup moins ridicule . Ce n'est pas du Godard (voire du Hitchock) mais le contraire, le film n'incarne pas une présence ou une idée, mais compense, pour lui-même son passé et celui de ses acteurs - le geste est à la fois cynique, extérieur, et thérapeutique (avec cette ambiguïté, le respect pour Bruno lui est offert comme un présent via le film; produit par le film même , et non pas comme une contrainte inconditonnelle).

* qu'à l'inverse Wassermann (qui en fait un jeune homme ) charge à fond, comme cas-type de la bonne conscience généreux en parole mais couarde en
face du pouvoir.

_________________
Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


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