Un certain nombre de réactions récemment manifestées sur le forum de votre site à propos de la Cinémathèque française appelle de la part de celle-ci quelques précisions. Il ne s’agit évidemment pas de s’opposer à ce qui relève de la pure subjectivité mais d’apporter à vos usagers quelques éléments concrets d’information.
En ce qui concerne la question de la qualité des copies, la Cinémathèque, fidèle en cela à sa mission de conservation du patrimoine, s’est fixée comme principe de montrer les œuvres dans le format dans lequel elles ont été tournées et présentées à leur origine. C’est pourquoi, majoritairement, les films y sont projetés en 35mm. Dans certains cas, les copies, lorsqu’elles n’ont pas fait l’objet d’un tirage récent, peuvent témoigner d’altérations physiques et chimiques (rayures, dénaturation des couleurs) dues à l’usure ou simplement aux ravages du temps. Les différences dans la perception physiologique ainsi que dans la définition et le grain de l’image sont suffisamment importantes et déterminantes pour que soit néanmoins privilégié le support d’origine. Dans la plupart des cas, la vision des films sur pellicule plutôt qu’à partir d’un élément numérique, parait préférable. Dans certaines limites toutefois. La Cinémathèque essaie ainsi d’adopter une attitude pragmatique : s’il est impossible de trouver une copie acceptable où si la restauration récente d’un film s’était arrêtée au support numérique, celui-ci est évidemment utilisé. A une époque, où les projections privées ou publiques sur support numérique se généralisent, une certaine manière de voir des films parait oubliée voire ignorée par les jeunes spectateurs.
Pour l’organisation de rétrospectives, la Cinémathèque française essaie de présenter les meilleures copies possibles quitte à les faire venir de loin. Dans certains cas, elle ne peut trouver de disponibles que des copies anciennes, dans d’autres cas ce sont des tirages récents qu’elle parvient à présenter. Pour certains titres, en effet, les ayant droits ont procédé à de nouveaux tirages, pour d’autres non. Ainsi, pour prendre l’exemple de la rétrospective consacrée à Steven Spielberg, certains films ont du être présentés dans des copies d’époque, parfois usées, d’autres non. Dans le cas des Dents de la mer, par exemple, nous avons fait venir une copie neuve de Los Angeles. La Cinémathèque est tributaire de l’existant. Ainsi, si c’est la version de ET remaniée par Spielberg en 2000 qui a été montrée c’est qu’il ne restait plus de copies de l’ancienne version, le cinéaste lui-même avait, à l’époque, veillé à ce qu’elles ne soient plus en circulation. Un tirage en 35mm ne présente aujourd’hui, en, effet, guère d’intérêt économique pour un ayant-droit cherchant à valoriser uniquement son catalogue à la télévision ou sur le marché du DVD.
Dans certains cas, à l’occasion de rétrospectives, la Cinémathèque prend en charge, dans la mesure de ses moyens et après obtention de l’accord de l’ayant-droit (ce qui n’est pas toujours acquis), le tirage de copies neuves de films particulièrement rares et particulièrement importants selon elle, qu’elle conserve dès lors dans ses collections. Ce fut le cas récemment de films d’Anthony Mann (Cote 465), King Vidor (Northwest Passage), Blake Edwards (Deux Hommes dans l’Ouest), Jesus Franco (Necronomicon), Cecil B. DeMille (L’Odyssée du Dr Wassel), Riccardo Freda (Maciste en enfer, Liz et Helen), André Téchiné (Paulina s’en va), des œuvres de Marcel Hanoun, etc.
En ce qui concerne les choix de la programmation, la Cinémathèque a toujours été un lieu dédié à tout le cinéma. Toutes les époques, toutes les géographies doivent s’y retrouver, indépendamment de tout calcul mercantile ou promotionnel. Si la programmation du dernier trimestre a accordé beaucoup de place au cinéma américain contemporain en montrant les œuvres quasi intégrales de cinéastes comme Clint Eastwood, Steven Spielberg et Robert Altman, elle l’a fait pour des raisons de volonté (le désir de rendre hommage à ces cinéastes) mais aussi de circonstances. Et il faut parfois s’adapter à celles-ci (la présence de Spielberg en France). La possibilité de voir ces trois filmographies en parallèle voulait proposer aux spectateurs un regard dialectique sur les récits du cinéma hollywoodien moderne. Mais au cours de ce trimestre on a pu voir aussi, à la Cinémathèque, dans d’excellentes copies 35mm, des films japonais, certains admirables, produits par la Nikkatsu dont beaucoup n’étaient jamais sortis en DVD. Actuellement, l’hommage au cinéaste King Hu permet de découvrir des œuvres qui n’ont jamais, pour certaines, fait l’objet d’une projection en Occident. La prochaine rétrospective contactée à Kyoshi Kurosawa permettra de découvrir enfin les 2/3 longtemps invisibles d’une œuvre essentielle du cinéma contemporain, notamment des titres extrêmement importants réalisés pour la télévision et le marché de la vidéo. Les prochaines rétrospectives organisées autour du cinéma égyptien ou d’Edgar G.Ulmer seront aussi l’occasion de montrer des œuvres invisibles voire indisponibles sur le marché du DVD. La Cinémathèque a choisi le principe de l’exhaustivité qui consiste à montrer, d’un cinéaste, l’intégralité de l’œuvre. C’est une manière de permettre au spectateur-cinéphile d’évaluer ou de réévaluer une œuvre en toute connaissance de cause. Ce parti-pris a pour conséquence de présenter des films souvent rares, peu visibles en dehors des séances de la Cinémathèque et certes de prendre le risque de mêler titres mineurs et chefs d’œuvre. Ce souci de complétude est en tout cas apprécié par un grand nombre d’amateurs de cinéma. La Cinémathèque propose plus de 2000 séances de cinéma par an, ce qui n’a pas d’équivalent dans le monde des archives cinématographiques. Une telle profusion semble, en tout cas, appréciée par les cinéphiles.
En ce qui concerne les conditions d’accès aux abonnés, la possibilité de réserver est en effet soumis pour ceux-ci à un certain nombre de contraintes destinées à empêcher que certaines places soient systématiquement réservées pour n’être pas occupées, évitant ainsi que d’autres spectateurs motivés soient privés de tel évènement ou de telle projection. Afficher complet pour une séance qui se déroulerait devant des fauteuils inoccupés serait en effet absurde. Nous travaillons par ailleurs à améliorer le système d’information et de réservation en direction des abonnés. Il nous parait par ailleurs que les tarifs pratiqués par la Cinémathèque (10 euros par mois pour un nombre illimité de films au programme) sont particulièrement attractifs.
La programmation des films à la Cinémathèque relève de choix clairement assumés, en cela elle est évidemment discutable au sens étymologique du terme et doit être discutée. Il m’a paru toutefois utile de mettre ces informations à la diposition des usagers de votre site afin de permettre à ceux-ci de s‘exprimer en toute connaissance de cause.
Jean-François Rauger Directeur de la programmation Cinémathèque française
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