Forum de FilmDeCulte

Hong Sang-Soo ne pratique pas de mise en abyme, il préfère jouer à s'attarder sur les fluides et vases communiquants qui sécrètent la création, vu comme une façon de renouveler son art de la suspension, et l'emmener vers des terrains un peu différent. La dychotomie entre la première et la deuxième partie est peut-être un peu difficile, la première n'existant littéralement pas pendant son déroulement pour le spectateur mais uniquement à partir du moment ou elle se termine... A ce titre cette scission est moins directement enthousiasmante que celle du "Pouvoir de la province de kangwon", "La vierge mise à nue par ses prétendants" ou "Turning Gate".

Pourtant en sortant de là, il est évident que cet exercice formaliste a plus qu'aboutit dans son but, tellement il s'impose comme ce genre de films réellement stimulant qu'on ne voit hélas plus trop souvent, ceux qui font participer ceux qui les regarde et ne cherche pas avant tout à leur démontrer des équations. C'est un pari et une expérience sur toute la perception du spectateur, ce dernier devenant cette fois lui même participant direct, expérimentant plus vivement la notion de point de vue, le cinéaste se faisant volontairement plus voyant, et donc plus en retrait, avec son utilisation régulière du zoom. Les vertiges du protagoniste, on les vie alors directement, tout comme ses rapports à la fiction et l'idéal, la faculté d'aveuglement qui en découle, de ne pas saisir et comprendre ce qui se passe sous notre nez. "Une actrice est une femme comme une autre", "Tu n'as rien compris au film" lance Uhm Jiwon comme on aurait manqué une chose essentiel non pas du cinéma mais de la vie...

"Il faut réfléchir".

Vendu 6/6

Quel plaisir d'avoir pris le train HSS en route et d'avoir autant de manque à combler, d'autant que ses derniers films tendant vers une sécheresse de plus en plus grande (que ce soit dans sa mise en scène ou dans les relations entre ses personnages principaux), c'est un peu une bouffée d'air frais que de découvrir ses premiers films, où les rapports inter-sexe ne sont pas que champs de ruine et terrains de rancœur et de ressentiment. Il faudra d'ailleurs que j'identifie le moment où la bascule s'est effectuée dans son cinéma, tant j'avais été étonné de voir dans Turning Gate qu'HSS était capable de filmer une scène de sexe aussi crument, alors que depuis Haewon est les hommes le sexe n'est pas une seule fois mis en scène (j'ai donc une période de 8 ans et 6 films pour découvrir ce chaînon manquant), sans que l'on soit pourtant déjà dans l'après relation amoureuse, que je situerais plutôt après Yourself and Yours.

Et puis qu'est-ce que c'est drôle, alors que ses films les plus récents sont tout de même beaucoup plus sinistres (pas qu'ils soient totalement dénués d'humour, mais on est loin du ton sarcastique omniprésent ici). Que ce soit dans la première partie, dont on ne découvre qu'au bout de 30min qu'il s'agit d'un CM, mais dont on perçoit tout du long qu'il y a quelque chose qui cloche, accentué par l'utilisation d'une partition musicale guillerette qui tranche avec l'apparente tragédie qui se joue sous nos yeux, sans que l'on n'arrive un seul moment à la prendre au sérieux (la couardise du mec qui prend un taxi en douce, le côté mélodramatique ridicule de la réunion de famille où le fils reproche à la mère son manque d'amour maternelle - scène qui semble tout bonnement impossible chez HSS - jusqu'à l'ultime tentative de suicide grandiloquente où il se rend compte que personne ne l'a suivi sur le toit de l'immeuble). Ou dans cette seconde partie, la meilleure du film, où Kim Sang-kyung (probablement l'un des deux acteurs le plus convaincant que j'ai vu chez HSS avec Jae-yeong Jeong) rejoue le CM qu'il vient de voir (avec la même actrice), mec d'un pathétique absolu, réalisateur que l'on imagine raté (pas une fois on ne parle d'une de ses œuvres), quasi paria de sa promotion (géniale scène de banquet, qui permet de mieux cerner son profil d'idéaliste-loser, en opposition à ses anciens camarades qui sont devenus des réalisateurs de pubs ou de séries, des jobs dont on imagine aisément qu'il ne se serait jamais "abaisser" à faire).

Et enfin, plus que n'importe lequel des autres films que j'ai vu de lui jusqu'à présent, celui-ci est un véritable concentré de toute la filmographie de HSS, avec sa dimension méta omniprésente (le film dans le film, le film que l'on rejoue dans la vraie vie, le milieu cinématographique) qui révèle mieux que jamais (en tout cas pour moi) ce qui est le fond de son cinéma, la double impasse qu'est l'idéalisme, que l'on ne peut à la fois s'empêcher de suivre tout en ne réussissant jamais à l'atteindre (acté de manière tellement génial dans le film par la double scène du rapport sexuel, avec son absence de pénétration dans le CM - dont on se demande à quel point elle influence le désir de pureté qui s'ensuit -, avec pénétration dans la vraie vie donc vécu comme un échec car transgressant l'idéal). Je m'étonne que jamais auparavant cet aspect ne me soit apparu avec autant d'évidence, et ça me donnerait presque envie de reprendre à zéro toute la filmo de son auteur, sans conteste l'un des plus précieux actuellement.

5/6