Marseille et Cassis l'été. Les collines qui bordent les calanques sont ravagées par des incendies. Il est notoire qu'ils sont d'origine criminelle et liés à l'emprise du milieu dans l'immobilier. Ils sont déclenchés pour intimider des petits propriétaires et agriculteurs, et accélérer la revente de lieux qui seront ensuite lotis en en diminuant la valeur .
Les soupçons remontent vers Kababjian, un richissime avocat d'origine arménienne, aux allures de dandy, entre Charlus et Michel Noir.
Une femme, élégante mais fatiguée, Paula Baretto, voit flamber la colline que son père lui a léguée . Elle est liée à Kabadjan par une histoire compliquée, elle semble avoir été à sa pupille et/ou sa maîtresse, et le défie, de façon toutefois feutrée.
Par ailleurs son frère est un cadre du milieu en relation avec Kabadjian.



(les photos d'exploitation n'avaient pas peur de spoiler)
Dans le même temps, Vergès, un journaliste parisien, désabusé et revenu de tout, enquête sur Marseille, avec l'aide d'un ami plus terre-à-terre travaillant pour la presse régionale (volet plus documentaire, mais encore lié à l'image et au média), et lorgne sur Paula. Enfin un commissaire ambitieux mais idéaliste, ex de l'IDHEC, lui-aussi dandy et vraisemblablement gay (double de Kabadjan) se lance dans une opération "mani pulite", croyant être soutenu politiquement dans sa volonté de moraliser la villeFilm hybride, disons que ,l'on a un polar sociologique manchettien, mais débarrassé du cynisme masochiste d'un Delon qui bouffait les intentions pour récupérer la mélancolie de l'après mai-68 du scénariste, la capitaliser en la dilluant, film qui lorgne aussi un peu vers la violence chorégraphique et des flics et bandits existentialistes à la Michael Mann voire Kitano versant Sonatine, mais scénarisé avec des répliques à bons mots post qualité-française qui de leur côté évoquent Aurenche-Bost voire Audiard.
Le tout est joué par Berto
herself, Nini Crépon, Patrick Chesnay, Brialy mais aussi Richard Bohringer, Gérard Darmon, Richard Anconina, bref il manque Roger Hanin pour la scène de l'amer méchoui de la vérité terminale entre les hommes, crépusculaires et faillibles, calculant leur mesquinerie et leurs blessures). Coproduction belge oblige, l'implacable politicien parisien, l'animal à sang froid qui tire les ficelles entre deux vols Air Inter, est joué par un jeune Philippe Geluck. En fait ils ne s'en sortent plutôt pas mal, un tiers ou un demi-film est vraiment bon, mais je mentirais en disant qu'on y croit tout le temps à fond.
Neige était à cet égard plus cohérent. Le film pâtit d'un excès d'ambition et de générosité. Il veut trop dire, ouvre trop de pistes, trop denses et sophistiquées (musique punk opératique d'Elisabeth Wiener, pas nulle, même belle, mais imposante).
Le début fait penser à un film à un film à la Verneuil, mais avec une touche plus féministe et sombre, et la fin lorgne vers le polar existentiel américain mannien voir de palmesque, comprenant bien l'esprit des années 80. Mais les deux mouvements tirent en sens opposés, et c'est à l'endroit du déchirement qu'il tient briévement son sujet le plus intéressant : Marseille, la ville et sa sociologie, son histoire, lisibles dans la géographie et la simple lumière des rues.
C'est donc à moitié un film typique de gangsters fatigués. Cette torpeur dans la brutalité est habillement placée à l'origine d'une solidarité avec le système et le capital, elle est le ressort de la corruption et de l'institutionalisation de la mafia, vue comme entreprise efficace, le cynisme se donne comme une forme de tempérance dans le crime : son projet est donné par un client qui paye là où il ne peut agir lui-même. Elle est désintéressée et dominante.
Mais la notion individuelle et romantique de bandits d'honneur subsiste dans une représentation à la fois plus convenue et plus brillante du mafieux comme personnage suicidaire, abstrait et lyrique, souffrant de n'accorder aucun poid à la vie privée, faisant de la fuite un geste artistique, une manière de soumettre l'espace à un projet pourtant lui-même voué à échouer. Vraiment à la Michael Mann : le suicide est une violence anthropologique potentiellement déjouée par sa propre signature, qui se fantasme comme une exception. Il est donc à la fois central et impossible. Il se confond avec le cut final, il est entre le scénario et le monde.
Le politique est prise dans le même type de paradoxe : une réplique-clé dit que Marseille n'a pas été fondée par les Grecs, les Phocéens étaient plutôt le nom des pirates qui gênaient ceux-ci. La ville a été baptisée par ses adversaires, ce que le mythe recouvre et travestit en fondation. Ce qui est présenté comme sociologique dans le présent de la ville répond à la marginalité ainsi qu'à l'extériorité conscientes du pouvoir dans le mythe passé.
C'est une belle idée, peut-être vraie.
3/6
Ha oui et il y a aussi une belle scène de casse avec Patrick Chesnais, astucieuse.