Quelques remarques pêle-mêle, à défaut d'analyse :
1. Déjà il n’y a pas beaucoup de films semblables dans le cinéma français et il est dommage qu’il soit si longtemps tombé dans les oubliettes. Ça va faire un malheur quand ça va se retrouver sur mubi et je dis cela sans perfidie.
2. C’est à la fois sans réel équivalent et typiquement de son époque : retour à une esthétique colorée, antinaturaliste qui renvoie à l’allégorie, à l’opéra et aux musicals, avec leur canevas et leur développement élémentaires. Vecchiali, Werner Schroeter, Walter Hill (Streets of fire a été fait l’année qui précède), Michel Deville, Greenaway, Fassbinder, Coppola (One from the heart date de 1981) viennent à l’esprit dans cette tendance lourde du cinéma des années 80. Kung-Fu master de Varda aussi (pas vu), qui viendra plus tard et fait aussi référence aux jeux vidéos. Berto fait son propre truc dans la tendance, elle reste complètement singulière dans son mélange de références pop et de sensibilité "auteurisante."
3. Le film est à la pointe de la modernité dans son espèce d’allégorie intersectionnelle avant l’heure, antiraciste, anti-masculiniste avant l'heure, traversée de fascination pour les jeux vidéos à leurs premiers balbutiements, reliés au tarot, ou pour le kung-fu, à une époque où Hong-Kong entre à peine dans une espèce d’âge d’or cinématographique (ce qui n’avait pas échappé à Carpenter, avec Jack Burton, sorti la même année) . Ce qui peut faire dire qu’il était en avance sur son temps, ou aussi, plus paradoxalement, que notre époque recrache les mêmes choses, un peu plus infusées (la marche pour l'égalité et contre le racisme, dite « marche des beurs » a eu lieu en 1983, les premiers succès du FN - qui pour certains se serait depuis racheté une conduite - date du début des années 80 - de ce point de vue le film est dans l'ère du temps). Berto avait, cela dit, vraiment une sensibilité particulière, et un truc pour saisir quelque chose du temps qui la distingue de ses pairs français.
4. J’ignorais que la projection avait lieu dans le cadre du ciné-club de Pacôme Thiellement qui a lieu une fois par mois à l'Archipel. La présence à la projection de deux des acteurs, non-professionnels à l’époque, du film ne manque pas d’émouvoir. Moment drôle dans la discussion : un grand échalas très sympathique qui joue le rôle d’Ogun rapporte qu’un autre acteur a regretté de ne pas pouvoir venir et, se faisant encore son émissaire, a tenu à dire pour lui que cet acteur qui joue Baby est l’opposé du personnage qu'il joue dans la vie (un alcoolo violeur). "Heureusement" a plaisanté ce philosophe à côté qui a écrit sur Berto et dont le nom m'échappe.
5. Photo de William Lubtchansky et musique de Yasuaki Shimizu sont superbes. Et un bruitage génial lors de la scène du combat quand l’un des combattants heurte un panneau en métal, qui résonne pendant plusieurs secondes.
6. Le film explore une espèce de syncrétisme plus moins religieux (sagesse chinoise, danses africaines, piété sud-américaine, vaudou, pop japonaise début eighties, kung fu) non sans beauté, mais de manière un peu superficielle, new agesque, avec le port comme motif de départ, ce lieu où se croisent des gens et des choses venus du monde entier. Le début fait sinon penser à du Kaurismaki, la baraque des ouvriers, le bleu de travail, Le Havre. Je ne pense pas qu'il s'en soit forcément inspiré mais l'a-t-il vu à l'époque ou quand il fait Le Havre ? Berto est quand même plus intéressante que Les Feuilles Mortes.
7. Le film frappe le spectateur actuel dans la manière dont il met en scène un gourou de mouvement masculiniste, suprémaciste blanc (adepte du vaudou), à destination d’un public ouvrier, dont le ressentiment s’exprime de manière sexuelle (notamment par la façon dont le rejet amoureux se transforme en une haine à la fois de la femme aimée et des étrangers). On pourrait faire les blasés mais c’est vrai que ça se révèle être une intuition ultra-bien vue et même carrément prophétique, et qui permet de commenter de manière nouvelle un canevas classique (celui du soupirant rejeté qui se transforme en assassin).
8. Film très stimulant pour la liberté dont il fait preuve. Mystère : qu’il soit resté si longtemps annulé (ce qu’il est toujours d’une certaine manière).
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