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MessagePosté: 01 Nov 2024, 13:30 
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Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
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Sans être ostentatoire, Giovanni Alberti est un homme d'affaire au train de vie très confortable (bel appartement dans le nouveau quartier de l'E.U.R, petite Alfa Roméo coupé).Père d'un enfant, il est follement amoureux de sa femme, Silvia, fille d'un général, belle mais un peu évaporée. Il fréquente la très bonne société romaine, à la fois conservatrice et catholique et apte à s'encanailler. Moderne, elle ironise sans haine sur le socialisme, garant de paix sociale, mais se montre beaucoup plus radicalement homophobe (au point de se rendre pour terminer ses soirées vers les endroits de drague comme dans un zoo). On ne cerne pas trop où il travaille mais il semble cadre dans une grosse boîte d'immobilier.
Il est en fait vérolé par les dettes, et tente de survivre en montant des projets immobiliers douteux, tels que la création d'un lotissement de banlieue dans une zone sauvage en essayant d'y attirer un couvent pour qu'il finance une partie des infrastructures communes. Il présente l'idée à son patron au cours d'une soirée (toutes des occasions de réseautage professionnels en même temps que de libertinage léger), puis devant le mépris de celui-ci, à des promoteurs concurrents. L'un d'eux est particulièrement imposant et autoritaire, et le fait qu'il soit borgne renforce son apect intimidant. Il refuse le projet qu'il juge ridicule, et humilie Alberti en le congédiant de manière bourrue et paternaliste (plutôt involontairement, le promoteur n'est au fond pas antipathique ni stupide, même lorsqu'il évoque son passé colonial en Ethiopie) . Sa femme, toute aussi imposante, flaire pourtant une affaire possible avec Alberti
le payer pour qu'il soit un donneur sain, et illégal, pour la cornée manquante de son mari



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(images issues de https://www.davinotti.com/forum/locatio ... m/50000504)

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En lançant le DVD je me suis dit c'est un bon cru de Dino Risi, toujours aussi cruel, peut-être un peu maladroitement plus explicite dans les implications politiques, mais avec une caméra discrète plus sophistiquée, presqu'antonienne par moment mais en fait ce n'est pas Dino Risi mais Da Sica, réputé plus humaniste et consensuel (et pas Age et Scarpelli mais Cesare Zavattini au scénario).
Et c'est vraiment très bon, la situation crée une sorte de trouble métaphysique qui rappelle à la fois le Tartuffe de Molière et l'Opération Diabolique de Frankenheimer (mais dans l'autre sens, le personnage n'achète pas une promesse de vie éternelle et de retour vers une fontaine de jouvence sexuelle, il anticipe au contraire une forme de mort physique pour pouvoir conserver son statut social).

Alberto Sordi est énorme dans le film. Il campe un personnage faible, manipulateur, mais jamais veule : il le défend. Comme filmsnonutc le dit bien, ce qui l'anime est moins l'apat du gain que son amour, certes fétichiste, pour sa femme, qui l'aime en retour, mais moins que son milieu familial, là-dessus le film rappelle une sorte de version masculine d'Anna Karénine, même si Alberto Sordi a un potentiel érotique plus particulier que celui d'Anna, mais pas non plus nul, ce dont le film joue habilement.

Lorsqu'il a obtenu l'argent du pacte, son personnage ne s'écrase pas, mais organise une fête pour humilier ses proches, d'abord avec un succès réel dans le sens où l'hyocrise de chacun fait semblant d'oublier le passé du personnage, mais la vérité finit se frayer un chemin par la malaise et le symtôme névrotique, comme souvent avec Sordi : l'alcool aidant, il pête un cable et tient à dire ses 4 vérités à tout le monde, dans un propos à la fois décousu et très structuré, verdant dans une forme de colèrre anar soudaine et inattendue - différence entre Sordi et De Funès : la présence d'une subjectivité politique, partielle mais construite.
Au fond c'est un film dénonçant l'accointance de la bourgeoisie du boom économique italien avec la mafia, plus discrète à Rome qu'à Naples ou en Sicile, mais d'autant plus puissante, le propos est très proche du plus tardif "Au Nom du peuple italien" de Risi - ici l'état est faible, jamais montré, le personnage ne combat pas la mafia juridiquement, avec ses propres ambiguïtés, mais devient, par rapport à elle un marginal, purifié par l'échec, alors qu'elle est le seul contexte social possible.

C'est donc un film à thèse, mais il ne repose pas sur la stimulation morale permanente et directe du public. L'acteur endosse seul le paradoxe et la complexité des situations, enfermé dans le récit comme il l'est dans sa condition (et à la fin, cruelle mais hilarante, enfermé dans la clinique foireuse, moderne et vide, d'un ophtalmologue faustien qui semble un ancien nazi).
Il doute, survit au ridicule mais pas à la solitude. Sa lucidité est constante pendant tout le film. L'anarchisme est l'impossibilié de faire disparaitre le social : un engagement existentiel subi, une réponse, la parole substituée et opposée au désir.
Il n'y a pas de tartufferie chez Sordi. Son personnage est finalement moral car dans sa veulerie il accepte de sacrifier l'imaginaire, sans contrepartie, afin de comprendre ce qu'il vit.
L'absurde suit la pardon moral : De Sica filme de manière troublante deux défilés politiques jumeaux (l'une de bersaglieri militaires qui le séparent de sa femme lorsqu'il veut se réconcilier avec elle, l'autre une procession à la vierge nocturne et au flambeaux où il est au premier rang avec sa femme, lorsqu'il l'a finalement récupérée avec l'argent de l'acance mais n'ose lui dire comment, on sait par ailleurs qu'il exploite de façon opportuniste la religiosité dans son travail). La morale est critiquée comme l'est le pouvoir. Ils sont arbitraires, hypocrites, mais logiques et sans vieillesse (Sordi peut en dénoncer la signification, mais pas la force) , seuls les sentiments et les subjectivités s'usent d'où l'idée d'alinéation saisie comme un objet et non une situation sociale consciente.
Le personnage ne pourrait se sauver qu'en rompant non pas avec la bourgeoisie, mais avec toute contrainte économique, qui est par elle-même un signe de déchéance et de restriction. Sa lucidité est placée entre le consentement à souffrir et à devoir perdre son statut social et la fin du film, soit l'idée d'une chute et la réalité de cette perte (hors-récit).

La justice sociale est identifiée au sacrifice individuel de Sordi . Il a pu se venger de son milieu, mais il lui faut néanmoins que sa femme, perçue comme un "autre" radical et idéalisé, continue à jouir de celui-cu, soit protégée du doute pour que les liens familiaux survivent dans la société, que la famille reste une forme organique de la vie sociale. Le salut moral est placé dans la même sphère que le travail l, et c'est le métier de Sordi qui est corrompu, pas sa conscience, il perçoit son ridicule et son abaissement au même titre que le public. C'est une sorte de catholicisme de gauche, mais néanmoins radical, et se sachant et même se voulant politiquement perdant, pour pouvoir le rester. La cruauté de Da Sica dans ce film correspond à la mélancolie d'Antonioni, le rapport à la femme est emprunt d'un même fétichisme dans les deux cas, malgré le passage à la comédie, et où le masochisme du juste rachète le bourgeois.

_________________
Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


Jean-Paul Sartre


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