Entre 18 et 19 ans, je me suis découvert une passion pour le cinéma hong-kongais et je gardais un très bon souvenir de
An Autumn’s Tale de Mabel Cheung.
Eh bien cette petite comédie romantique est un des plus beaux films. Et ce que j’appelle un chef d'oeuvre effacé.
Sens du rythme, sens de la texture, sens du cadre, sens de l’économie et de l’euphémisme, sens de la direction d’acteurs (au fort charisme naturel).
Il y a des films qui n’ont pas d’idées et qui se content d’illustrer platement une action souvent plate.
L’action, la narration en général doivent être des prétextes.
Sans idées, sans sentiments, un film ne vaut pas grand-chose.
Pourquoi aime-t-on Fritz Lang par exemple ? A cause d’une sorte de logique implacable dans la mise en scène. Ce plaisir intellectuel est indémêlable de celui qui est procuré par les images, l’histoire.
Il y a une adéquation parfaite des moyens et des fins : c’est la mise en scène.
Ici, c’est comme si tout était imprégné de sentiment, d’une vision.
Chaque plan ou presque suscite une ou plusieurs idées, et un vif plaisir.
Il y a comme une cohérence parfaite.
Pas sûr pourtant que ces quelques plans ou une scène pris isolément marchent d'ailleurs. Les idées sont prises dans un flux.
Une vision de New York qui semble authentique et qu’on trouve peu dans le cinéma américain de l’époque.
Un mélange de réalisme et de stylisation.
Cela commence dès le premier plan dans l’avion avec le personnage de Cherie Chung qui est le seul illuminé par un projecteur, laissant place à un discret flashback, ou plutôt au souvenir qui s’égrène par fragments décrivant ses préparatifs de départ.
Pourtant le film n’est pas immédiatement séduisant, on est un peu agacé au début,, à l’image de la jeune fille, par les pitreries de Chow Yun Fat.
Remarque-t-on qu’au fur et à mesure du film, le niveau sonore des dialogues, qui cassait un peu les oreilles au début, va en s’assourdissant ?
Il y a des détails et de la suite dans les idées.
Chow Yun Fat exposant quelques rudiments de météo appris quand il était marin.
La référence qu’il fait à Reagan en parlant de la ruine qui lui sert de voiture “c’est la même voiture que Reagan.”
Le Brooklyn Bridge, majestueux, à côté duquel se situe l’appartement où se passe la plupart du film.
Cette scène où il dit “tape sur le sol (sous entendu si tu as besoin de moi)” et la caméra vient, si je puis dire, bêtement filmer le sol une fois qu’il a quitté la pièce. Puis un plan en contre-plongée sur le visage de Chow Yun-Fat, allongé sur son lit, un étage au-dessous.
La façon dont le film répète deux ou trois le plan où un personnage entre dans le couloir de l’immeuble : la répétition participe à cette cohérence.
Deux, ou trois plans subjectifs qui font penser à un autre chef d'oeuvre effacé,
Il Giovedi de Dino Risi.
La façon dont jamais on n’insiste sur l’addiction au jeu du personnage de Chow Yun-Fat. C’est un “fait de la vie”. “No money, no worry” dit-il
Ce happy end sans doute rêvé, alors que le film semble avoir tracé une séparation de classes entre les deux protagoniste, séparation que le happy end semble confirmer.
Le surnom que donne Chow Yun-Fat à sa cousine éloignée “treizième soeur”.
Le racisme anodin des immigrés chinois qui lors d’une bisbille avec des conducteurs mexicains disent qu’ils vont les bousculer jusqu’au Mexique.
L’un de ces derniers plans où l’on voit Cherie Chung se promener sur la plage avec la petite fille qu’elle garde et son cadrage serré qui font que les vagues viennent enrouler l’arrière-plan, comme un écho aux vagues discrètes de sentiment qui ont précédé.
Les plans sur l’eau, ou un pano en apparence gratuit à la fin d’une scène sur les dessous des rails du métro aérien.
Dans un film,
Sauve qui peut (la vie) je crois, Godard fait dire à l’un de ses personnages : imagine que ces camions sont des sentiments ou une connerie comme ça. Du Godard typique, il ne peut pas se la fermer.
La différence ici : il ne s’agit pas de l’imaginer ou de le dire, ça l’est.
J’imagine que si j’ai tant aimé le cinéma hk à l’époque, c’est parce que j’y trouvais une liberté qui n’existait nulle part ailleurs, et surtout dénuée d’intellectuallisme. De pose par contre, le cinéma hk en est plein, mais cette pose, souvent référentielle, à quelque chose d’infantile, d’innocent, un peu comme quand on se passait les doigts devant les yeux en dansant dans des boums quand on était enfant sans avoir vu Pulp Fiction.
Il ne s’agit pas de faire du sentimentalisme, d’ailleurs le cinéma de Hong Kong est devenu de la merde. Mais je suis content de savoir que je peux renouer avec lui et trouver à l’identique ce qui m’y avait plu sans que j'aie su dire pourquoi à l'époque.