Tom a écrit:
Dans cette optique, le film a la bonne idée de ne jamais clairement, définitivement, concrètement relier le malfaiteur à Colpeper. Bien sûr, c'est lui, je ne cherche même pas à dire qu'il y a une lecture cachée ou quoique ce soit. Mais si vous faîtes gaffe, dans les dialogues, jusque dans la conversation du train qui ne parle que de ça, il n'y a jamais un fatidique "c'est bien moi", ou un plan qui nous le montre sous le costume, ou une arrestation : jamais quelque chose qui fait de cette enquête le point climax, pas de focalisation qui garde notre regard sur le qui-a-fait-quoi. Ça reste un flirt, qui se concentre plutôt sur le face à face entre cet homme issu du passé à la jeune génération à venir. A la fin les jeunes emportent leur secret avec eux, l'anglais ne porte probablement pas plainte : les conséquence de cette enquête (la cathédrale, les croisements, les retrouvailles) ont pris le pas sur sa source, c'est comme si la chose ne s'était pas passée.
Je crois que le "c'est bien moi" est dit justement dans la scène mais sans qu'on insiste dessus (il y a un passage impressionant dans cette scène, quand le train entre dans un tunnel et que le visage de Colpeper bascule tout à coup dans l'ombre, me Lang ne faisait pas des choses comme cela). Les personnages du trio n'ont pas la même histoire et la même implication dans l'histoire, et l'ambiguïté de Colpeper permet justement de l'exposer. C'est le "lâcher-prise" et l'abandon des personnages qui exprime ce qu'ils sont finalement, plus que ce qui les a réunit dan l'intrigue.
Seul le soldat anglais a une bonne raison de dénoncer Colpeper: à ce stade du film, c'est un raté total, Colpeper l'a humilié en privé au sujet de son métier d'organste de cinéma, il va sûrement ête tué au combat, il n'a apparemment pas de vie privée qui le retienne, et il ne s'est pas encore racheté en jouant dans la cathédrale. Mais avait-il dénoncé Glueman, le miracle n'aurait pas eu lieu pour lui.
Alisson de son côté avait résolu l'énigme au bout de cinq minutes mais éprouve de la sympathie pour Colpeper, qu'elle est la seule à regarder réellement, ils ont la même sensibilité, la même lecture du paysage et il a trouvé les mots juge pour lui parler de la mort de son fiancé.
Johnson lui s'en moque (et c'est de son point de vue que le film est tourné), il pense plutôt à sa fiancée et un peu à Alisson, se trouve plutôt bien dépaysé dans le village, et en même temps ce détachement lui permet de trouver l'image qui donne la juste morale de l'histoire: un marteau pour écraser une mouche sur le front d'un bébé, qui survit quand-même.
J'ai été étonné en lsiant le livret,que Powell trouvait lui-même que Colpeper a un côté déplaisant, comme si son propre film ne l'avait pas racheté à ses propres yeux. Mais c'est vrai que finalement il est très proche de Michel Simon dans le Corbeau, qui date de la même année. Ils ont la même position: des notables et intellectuels locaux qui font circuler un baton merdeux et justifient leur penchant pour l'humiliation d'autrui par un prétexte pédagogique et édifiant (alors que la moitié de leur cible connaît déjà d'avance le contenu prétexte). Ce qu'il fait n'est pas si innocent, il désigne comme salopes la quasi totalité des femmes du village pour le seul fait qu'elles ont une sexualité. Il est d'ailleurs assez sain que ce ne soit pas Alisson elle-même qui analyse ce qui relie Glueman à une forme de frustration sexuelle, mais un des seconds rôles féminins qui parle pour toutes les filles du village. C'est à la fois didactique et subtil. Ce n'est pas un film politique, mais il exprime aussi l'idée que la seule façon de lacher prise honnêtement face à un problème "politique", c'est de l'exposer complètement et tenter de le résoudre, et cette résolution est liée au consensus social, pas aux personnages principaux (c'est à la fois une situation d'abandon et ce qui rattache le film au discours patriotique sur l'effort de guerre).
Au passage réplique osée pour l'époque sur la supériorité du joint sur le thé.