Gros Spoilers pour ceux qui aiment Sokourov.
Film magnifique encore une fois, après
L’Arche Russe et
Le Soleil, Alexandre Sokourov enchaine les réussites. Je possède néanmoins quelques réserves sur ce dernier malgré sont évidente beauté.
Un film infiniment moins contemplatif que les deux précédents mais le sujet n’appelle pas à la contemplation, Alexandra n’est pas atteinte d’affliction comme Hiro Hito dans
le soleil, elle est en perpétuel dynamisme malgré la lenteur des mouvements. Toutefois, ici, la dilatation temporelle n’aurait pas sa place.
Un film sur la perte. La déchéance d’un imaginaire spécifique, celui de cette vieille dame qui, rendant visite à son petit fils, découvre la réalité du monde. Cette perte possède par conséquent une finalité… comme dans le soleil (où le personnage perdait progressivement sont degré de déification pour redevenir humain, la dilatation du temps du récit permettait à l’affect dévastateur de s’épanouir peu à peu) le trajet ne sera pas vain, les changements chez Alexandra seront multiples. Par conséquent il s’agit pas d’un film uniquement sur la perte mais également sur ce qui vient ensuite, pas de noirceur fataliste chez Sokourov.
Procédés de mise à distance appliqués au spectateur par l’intermédiaire du personnage. Deux pôles primitifs du cinéma : le gros plan et le plan large.
Au départ il y a déréalisation, Alexandra n’est pas connectée à la réalité du monde ; de ce fait les décors sont lunaires et tous les éléments de la matière s’accordent dans ce sens, de l’éclairage au montage. L’importance des gros plans se situe dans cette translation de perception, nous adoptons irrémédiablement le point de vue d’Alexandra, et ces rapprochements nous raccordent à un temps d’arrêt affectif sur des détails qui viennent perturber l’imaginaire créé au préalable par le personnage sur le lieu où se trouve son petit fils.
Les plans larges ensuite, un exemple. Un homme seul, assis, à l’extérieur. Alexandra, derrière lui l’observe d’un œil interrogateur. Le personnage est ici le corps de trop qui bloque la représentation d’une déréliction. La naïveté nous tient à distance du véritable symptôme du monde. La vision du monde avec Alexandra au sein du cadre n’est pas la même. Notre perception passe par le détour de sa naïveté. La cinétique en apparence maigre du personnage nous entraine dans son sillage.
Il va y avoir du changement, sans raconter ce qui se passe (c’est très léger mais puissant comme souvent chez Sokourov) les rencontres disséminées au cœur du film vont changer ( ?) Alexandra, au moins pour un temps.
Le personnage est un enfant naïf qui apprend à marcher. Durant le prologue Alexandra est affaiblie tout en étant fulminante verbalement. Il faut l’aider à monter les marches, la porter pour descendre, lui indiquer son chemin car elle se perd au même titre qu’un enfant. Elle va grandir virtuellement devant nous, en se rapprochant de l’épilogue elle va moins souffrir et marcher plus vite. L’apprentissage partiel du monde libère sa corporéité.
Alexandra est une bourgeoise ? Je ne vois pas signes concrets l’indiquant. Lorsque les militaires lui préparent une table bien arrangée pour manger, c’est du fait de sa bourgeoisie ? Je pense plutôt qu’ils développent un espoir de la préserver loin des faits réels. Elle est à mon symptomatique de l’éloignement général et virtuel de la réalité. Voir la scène magnifique où elle pense qu’une séance de morale sur un jeune tchétchène va modifier les évènements. La configuration classique de ce genre de scène est conservée mais, et c’est un des nombreux talents de Sokourov, l’effet en est inversé. Alexandra fait son monologue et les gros plans sur l’homme (qui, de manières récurrentes au sein de ce type de scène, est censé donner matière à l’affect) apparaissent mais celui-ci reste de marbre. Comme un enfant, sure de son discours simpliste, elle parle mais n’a pas de poids sur le monde qui l’entoure (opposition faite durant le film avec son pouvoir au sein de sa famille, une puissance illusoire qui se désintègre à l’extérieur de la sphère).
L’épilogue affiche parfaitement la charge symbolique du personnage (c’est parfois même trop appuyé à mon goût, seule réserve que je mets sur ce film). Quatre femmes s’enlacent alors qu’elles ne se connaissent pas, le récit va à contresens de son propre déroulement pour atteindre au symbole évident. Alexandra est dans le train, regarde vers cette nouvelle « amie » qui, elle, regarde dans le sens opposé. Pas de ruptures virtuelles toutefois, au contraire, pour la première fois, par l’intermédiaire de l’apprentissage, ces deux sphères du monde regardent dans la même direction.
5/6