Forum de FilmDeCulte

Ce n'est pas Amélie Poulain mais je suis gêné de voir sa patte, qui nuit à la densité prodigieuse du style. L'étalonnage varie d'un plan à l'autre pour accentuer l'aspect pictural et cela se fait parfois au détriment de la séquence. Du reste, Sokurov et le numérique ce n'est pas toujours très heureux, il y a une gaze appropriée mais le recours aux images de synthèse est plutôt laid (l'île de L'Arche russe, le cauchemar du Soleil).

Ça c'est clair, il fait partie des réals qui ont pas pigé que ça s'utilisait pas n'importe comment.

Ce que je comprendrai jamais chez Sokurov c'est ces espèces de plans penchés et distordus. C'est une marque de fabrique mais j'ai vraiment l'impression que ça n'a pas beaucoup de sens.

_________________
CroqAnimement votre

Les anamorphoses ? Là aussi c'est pictural, comme dans Les Ambassadeurs d'Holbein :

Je suppose que c'est aussi un moyen de faire encore plus glisser le regard sur l'image, d'avoir encore moins d'accroche. Quand c'est léger, imperceptible, ça donne effectivement un effet pictural que j'aime bien. Mais quand c'est super forcé ça sort effectivement du film. Quoique Mère et Fils les utilisait de façon très marquée, et ça marchait plutôt bien (mais les plans étaient fixes, et ils duraient).

Oui c'est ça l'anamorphose. Et je trouvais ça plutôt intéressant dans Mère et Fils mais là dans Faust ça m'a dérangé plus qu'autre chose (en plus de trouver le procédé bien laid).

_________________
CroqAnimement votre

C'est fou, en une semaine j'ai vu deux films qui m'inspirent à la fois une relative incompréhension facilitée par un manque d'émotion/d'implication, et une admiration incrédule pour l'univers de pur cinéma qu'ils arrivent à créer l'air de rien: Holy motors et Faust.

Faust doit être le film le plus subtilement bizarre que j'aie vu, on est pas dans l'absurde qui crève l'écran de Lynch, ni dans l'intellectualisme trash de Cronenberg, deux cinémas qui m'avaient bien secoués au premier contact. On est dans une singularité moins identifiable et pourtant totale. Que ce soit dans la façon d'étirer le film dans un éther jaune qui noie ses personnages et dans la musique incessante de dialogues lénifiants tantôt pompeux tantôt triviaux, ou dans ces fulgurances poétiques soudaines - par exemple le dévoilement onirique de l'idéal féminin, réponse à la quête de Faust, en un plan prolongé d'intense lumière et de déformation tout à la fois, comme pour symboliser l'irréalité de l'objet de ce désir en même temps que sa beauté - qui semblent catalyser en un instant tout le sens qui jusque là, était injecté lentement par un travail de sape sur le moral du spectateur.

C'est bien LA morale qui est en jeu dans cet éprouvant quoique "sublime-après-coup" Faust où le personnage va jusqu'au bout de sa soif d'absolu, pour le dommage que le mythe de Goethe a popularisé mais que l'on retrouve dans pas mal de chefs d’œuvres de l'art universel, comme Vertigo pour rester en terres cinéphiles: la perte de son âme. Ce déchirement spirituel constant ressenti par Faust nous est rendu palpable par le délayage décrit plus haut, représenté aussi par le personnage de Mephisto, tour à tour écœurant, sympathique et familier, bref un vrai compagnon d'infortune. Plusieurs passages crispent, hérissent le poil, je me suis plusieurs fois surpris à me répéter "que c'est laid!", c'est parfois franchement pénible. Mais quel acte de cinéma, quelle plénitude dans la fin, et dans le film dans son entier quand on se retourne après coup pour s'en rendre compte!

5.5/6

Faust d'Alexander Sokourov

Je n'avais jamais aimé le cinéma du démiurge russe, que je trouvais chiant comme le goulag. Et bien là ce fut une vraie expérience, j'ai vu le film fiévreux et j'ai jamais autant ressenti la décrépitude du monde et le profond nihilisme de l'auteur. Les scènes de grâce sont incroyablement belles, tout ce qui tourne autour de la jeune fille, et le film prend de la force et de l'ampleur au fur et à mesure du récit. Grand film donc, je ne partage pas tous les partis pris de mise en scène - des séquences bien dégueulasses - mais c'est le genre de film qui marque une cinéphilie.

5,5/6