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MessagePosté: 25 Mai 2014, 12:14 
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Un couple adopte un chien errant.


J'avais lu un jour, dans l'interview d'un critique américain, une des meilleures clés que j'ai jamais entendues pour aborder le cinéma de Godard (et, accessoirement, la seule chose intéressante que j'aie jamais entendue d'un critique américain) : "la structure des films de Godard, c'est la ruine". C'est à dire que les films sont comme d'anciens édifices qui avaient (et étaient) le sens, mais qui seraient détruits. Le spectateur arrive après (ou à la limite pendant) l'effondrement, après la catastrophe. Et se retrouve donc à errer dans les ruines : bouts d'images, de mots, d'idées qui semblent dessiner un paysage dévasté, et dont il est impossible de reconstituer totalement le sens initial. L'idée n'est pas de reconstituer le puzzle (et donc d'en chercher le sens initial), mais bien de faire l'expérience de la ruine, et de comprendre le monde et l'idéal du point de vue triste de l'après, de ce qu'il en reste, des débris éparpillés.

Dans ce qui est sans doute son dernier film (tout renvoie à l'idée du testament), la forme "ruine" est plutôt devenue celle des "parasites radio". Comme une fréquence qu'on peinerait à trouver, brouillée par une forme sale, volontairement idiote (au sens : aléatoire), déchirée de scories en tout sens. Évidemment, ce problème de calibrage, c'est la forme donnée au lien de plus en plus brouillé entre Godard et nous, entre son art (mystérieux) et le langage (rationnel) de ses congénères : c'est un peu la mythologie que le film dessine, non sans une certaine mégalomanie. Celle d'un cinéaste qui petit à petit se détache, et qui finit par préférer son chien au monde.

L'une des choses que j'ai souvent reproché à la modernité la plus radicale, et à Godard en particulier, c'est cette manière de refuser l'élan au spectateur. C'est à dire que, plutôt que de créer une configuration propre, nouvelle, on va plutôt faire le geste de refuser une configuration habituelle. Un exemple très simple : on va lancer une belle musique, sur laquelle l'empathie du spectateur va commencer à glisser, et on va l'interrompre brusquement. On en arrive à des films qui finissent par ressembler à une série de claques, comme pour sans cesse rappeler au spectateur de ne pas se laisser si facilement séduire, et pour l'obliger à réellement voir ce qu'on est entrain de lui montrer. Globalement, ce que je reproche à cette manière, c'est l'incapacité à créer un mouvement d'ensemble, les films se condamnant alors souvent à n'être qu'une série de petits éclats.

Il y a pourtant une cohérence globale ici, qui n'est pas si éloignée de celle de Post Tenebras Lux : le fragment, l'éparpillement horrible et merveilleux, l'impossibilité de communiquer, est devenu son sujet. Le film se fait donc à sa façon plus créateur que soustracteur (ne serait-ce que par l'utilisation éblouie de la 3D, comme si un forain découvrait une nouvelle machine). Ce qui fait que pendant ses deux premiers tiers, dans cet abandon progressif du texte en faveur de l'animal, dans cet éclatement toujours plus violent et dans cette progression vers le régressif (qui en passe aussi par le côté gâteux/trivial de discours sur le caca et cie), le film arrive vraiment à tracer une ligne d'ensemble, à faire gonfler une émotion. Il y a vraiment ici, plus que dans ses précédents films qui pouvaient prendre la forme d'exposé, l'idée d'une forme-poème. Je trouve que ça s'épuise malheureusement un peu vite dans le troisième tiers, où Godard commence à se répéter, à tourner en rond, à saccager ce qu'il a dessiné jusque là. J'ai déjà un peu oublié comment et pourquoi, mais c'est l'impression que ça a laissé.

Je ne me risquerais pas sur le terrain du sens et du décodage des multiples références (au delà du sens général, et lisible, d'un adieu au monde et à une certaine forme de communication entre les êtres). Déjà parce que j'ai toujours eu l'impression que les puzzles de Godard n'étaient pas fait pour être décodés : si on ne peut formuler clairement ce qui est en jeu, on a jamais l'impression devant le film d'un grand n'importe quoi, on comprend toujours plus ou moins, intuitivement, ce qui est en jeu. Ensuite parce que j'en serais de toute façon incapable.

Mais c'est sans aucun doute son meilleur film depuis les années 90 (depuis son court sur l'origine du XXIè siècle, on va dire). Au-delà de la dimension testamentaire qui est très touchante (mais quel dernier film de cinéaste ne l'est pas), et malgré les défauts qu'il traîne depuis quelques années (l'utilisation dépassionnée de ses acteurs sans charisme, par exemple), il y a là une générosité, une envie de beauté, un lyrisme même (quand bien même il est triste), qui manquaient totalement à sa dernière décennie de cinéma un peu sèche.

Ça ne fait qu'1h10 et c'est une des meilleure utilisation de la 3D vue au ciné, donc si vous hésitez, foutez-vous un coup de pied au cul.


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MessagePosté: 25 Mai 2014, 12:39 
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La comparaison avec Post Tenebras Lux me semble très judicieuse. D'accord avec toi sur la 3D, il te fait du cinéma cubiste avec c'est brillant (même si déjà fait par des vidéastes).


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MessagePosté: 25 Mai 2014, 12:42 
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C'est un peu inconséquent dit comme ça, mais une chose bien vue concernant la 3D c'est qu'il attaque tout ce qu'il filme par les diagonales et (c'est lié) par les mouvements d'appareil. Parce que ça fait ressortir automatiquement la profondeur, et ça dramatise les plans dans la profondeur.

C'est pas nouveau, certes, c'était un tic déjà omniprésent dans le catalogue lumière pour donner de la profondeur, avec cette série de routes en diagonale (d'ailleurs l'arrivée du train à la Ciotat est cité, il me semble assez explicitement, dans le film).


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MessagePosté: 26 Mai 2014, 08:49 
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tu l'as vu au Pantheon ? La projection en 3D est ok ?


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MessagePosté: 26 Mai 2014, 09:30 
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Ce qui me fait halluciner c'est qu'on parle beaucoup de modernité à propos de Godard alors qu'au contraire je trouve son film totalement régressif voire limite ringard, revenant presque à la base du cinéma expérimental avec son art du collage, de la citation, ses effets visuels basiques, sa fatigante obsession très "sartrienne" pour l'union soviétique etc... Après effectivement il s'amuse avec la 3D et crée quelques plans ludiques et plutôt novateurs pour la technique. Mais que m'en reste-t-il quelques jours après la vision ? Rien, strictement rien. C'est rentré d'un côté et ressorti de l'autre, c'est tellement foutraque que je suis incapable d'en retenir quoi que ce soit à part un mec assis sur les chiottes qui dit que la pensée est dans le caca et des plans numériques aux couleurs saturés.
Oui et comme le note Tom cette constante agressivité envers le spectateur pour "le réveiller" m'a totalement épuisé. Cut de musique, son distordu, image qui se superposent, 3D qui fait loucher etc... Je trouve finalement tout ça très puéril.
En fait ça me fait pas mal penser à la fameuse Merda d'artista de Manzoni où le mec chiait dans des boîtes de conserve qui aujourd'hui se vendent des centaines de milliers d'euros. Un peu le sentiment que Godard fait pareil et qu'il a gagné puisqu'on lui a donné un prix du jury.

0.5/6

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MessagePosté: 26 Mai 2014, 09:33 
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On lui a donné le prix du jury pour le symbole et la carrière, pas sûr que ce soit pour ce film précis. Sinon je trouve le film précieux car il proposait quelque chose de différent sur le plan narratif et formel.


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MessagePosté: 26 Mai 2014, 09:36 
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Oui pour le prix c'est sans doute ça. Et pour le film je m'offusque pas qu'on aime, je peux comprendre. Mais moi ça me laisse totalement froid, je n'en retire strictement rien (à part une légère migraine).

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CroqAnimement votre


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MessagePosté: 26 Mai 2014, 09:40 
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Je ne suis pas à fond sur le film pour deux raisons: je trouve le geste d'art contemporain un peu ringard - Duchamp, de Staël, ce n'est pas quand même la modernité, et le début cata. Quand on arrive au couple et au chien, je trouve le film bien meilleur. (et puis la nana est à poil)


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MessagePosté: 26 Mai 2014, 12:21 
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Art Core a écrit:
un mec assis sur les chiottes qui dit que la pensée est dans le caca


6/6

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MessagePosté: 26 Mai 2014, 12:54 
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Karloff a écrit:
On lui a donné le prix du jury pour le symbole et la carrière, pas sûr que ce soit pour ce film précis. Sinon je trouve le film précieux car il proposait quelque chose de différent sur le plan narratif et formel.


La question c'est : propose t-il quelque chose réellement différent des autres films que le cinéaste réalise depuis les années 80 ?

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Que lire cet hiver ?
Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander)
La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)


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MessagePosté: 26 Mai 2014, 13:39 
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Cosmo a écrit:
Karloff a écrit:
On lui a donné le prix du jury pour le symbole et la carrière, pas sûr que ce soit pour ce film précis. Sinon je trouve le film précieux car il proposait quelque chose de différent sur le plan narratif et formel.


La question c'est : propose t-il quelque chose réellement différent des autres films que le cinéaste réalise depuis les années 80 ?


Je trouve qu'il y a toujours chez Godard un renouvellement continu autour d'une même approche. Il ne fait jamais deux fois le même film et celui-ci ne déroge pas à la règle et rappelle bien sûr "Film socialisme" et tous les précédents, mais il provoque des sentiments différents.
Ici, comme le dit Tom, Godard "refuse l'élan au spectateur" et semble toujours chercher à briser la beauté d'une séquence en particulier pour chercher plutôt à créer de la beauté "en général". C'est à la fois très morcellé, très hétérogène, et très homogène en même temps, car beaucoup plus sec et direct. Ca vient aussi du fait que contrairement à ses deux derniers longs-métrages, celui-ci n'est pas divisé en trois actes bien différents. Il n'y a même pas de long segment à la "Histoire(s) du cinéma" (il y a d'ailleurs assez peu de plans de ce type, Godard semble avoir énormément tourné pour ce film, être beaucoup sorti de chez lui pour trimballer sa caméra un peu partout, ça m'a surpris), pas de long mouvement hypnotisant comme le 3e acte de "Film socialisme", pas de hauts et de bas, c'est un même mouvement crépitant tout au long du film. On n'est plus dans le signal sinusoïdal, on est dans le signal brouillé.
Je ne me souviens pas avoir ressenti vraiment ça devant un Godard.


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MessagePosté: 26 Mai 2014, 14:15 
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Marlo a écrit:
On n'est plus dans le signal sinusoïdal, on est dans le signal brouillé.

On a trouvé la citation à mettre sur l'affiche.

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MessagePosté: 26 Mai 2014, 17:04 
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:lol:

J'ai encore mieux : "L'écoute se brouille."


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MessagePosté: 26 Mai 2014, 17:30 
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Karloff a écrit:
(et puis la nana est à poil)

Laquelle?

Elle?

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MessagePosté: 26 Mai 2014, 18:53 
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Dommage, celle dont j'ai mis la photo était dans ma classe en 1ère et en Terminale, ça m'aurait donné une raison d'aller voir le film.

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