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 Sujet du message: Top progressif 2000-2010
MessagePosté: 23 Juil 2008, 09:58 
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Dernière édition par the black addiction le 01 Nov 2009, 18:34, édité 6 fois.

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 Sujet du message: Re: Top progressif 2000-2010
MessagePosté: 23 Juil 2008, 10:02 
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the black addiction a écrit:
A toi, je ferai le mien quand j'aurai le temps. :wink:


Ah c'est gentil ça, merci. :wink:

Faut que je trouve le temps, moi aussi. Ca se fait pas comme ça, ce genre de palmarès.


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 Sujet du message:
MessagePosté: 23 Juil 2008, 10:19 
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- Actualisation au 1er novembre 2009 -

Toujours difficile évidemment de se livrer à ce genre d'exercice : j'ai vu tellement de beaux films et vécu tellement d’émotions dans les salles durant la décennie qui s’achève… Elle n'est pas complètement achevée : d'ici la fin de l'année, les derniers films de Bellochio, Kelly et Cameron (ou d'autres moins attendus) viendront peut-être titiller ce classement... Il faudra qu'ils fassent très fort.

Mais voilà une forme sans doute assez définitive de mon palmarès 00's.

Puisqu’ils m’ont valu tant d’émotion et que je leur dois bien ça, j’ai concocté un petit commentaire d’éloges pour chacun des films de mon top 20, en essayant d’expliquer pourquoi ils me sont si précieux.

Trêve de blablatage, voici pour moi la suite royale (top 20) de cette décennie :


1. Mulholland Drive - David Lynch

Comme en attestent les mille exégèses qu’il a suscitées et l’influence considérable qu’il exerce depuis le coup de tonnerre de sa sortie, voici peut-être le seul chef-d’oeuvre contemporain digne d’un Vertigo ou d’un 2001. A mes yeux, c’est le plus beau film du monde, une œuvre suprêmement envoûtante qui m’a marqué au fer rouge et fait désormais partie de mes gènes : jamais plus je ne vivrai expérience aussi forte et intime au cinéma. Chapitre définitif sur Hollywood, la nécropole des rêves brisés, élégie des songes et des désirs des jeunes filles d'Amérique, requiem poignant à l’innocence et aux illusions perdues, cette love story in the city of dreams touche la nature profonde de l'âme humaine, dans sa grandeur comme dans ses écorchures : c'est un cinéma d'affect pur, qui procure une émotion dévastatrice. Transcrit dans une photographie tactile et moirée, infusé par le score ensorcelant de Badalamenti, le film saisit avec une foudroyante poésie la mythologie hollywoodienne, son cortège de mirages, de déceptions et de frustrations infinies, et porte un regard bouleversant sur l'étoffe de nos aspirations et de nos ardeurs, de nos espoirs et de nos chagrins… Ambition, culpabilité, désir, solitude, sexualité, identité, mort : le film embrasse tout, sidère par la permissivité infinie de ses niveaux de lecture – de l’allégorie gigogne sur les faux-semblants à la psychanalyse, des jeux avec la fiction et les archétypes américains à la vertigineuse mise en abyme de la fascination exercée par le cinéma sur les consciences. S’il navigue d’abord dans les eaux moelleuses et euphorisantes du film noir, de la comédie burlesque et du récit d’apprentissage, s’imposant comme un aboutissement de tout le cinéma "classique", c’est pour mieux épancher ensuite la tristesse désespérée d’un somptueux mélodrame romantique, qui laisse le cœur en miettes. Les virtualités désirées mais hors d’atteinte que le film dessine y naissent d’une indicible blessure à l’âme, dont la complainte de Rebekah Del Rio pourrait être la déchirante expression. Lynch ne s’est jamais fait aussi sentimental, aussi romanesque : son film est l’une des plus magnifiques histoires d’amour portées au cinéma, qui trouve en Naomi Watts et Laura Harring, anges fragiles tombés du ciel, des interprètes sublimes, frémissantes, irradiantes de sensibilité et de sensualité. Leur alchimie miraculeuse a fait entrer ce couple séraphique dans mon panthéon personnel : parangons de beauté que la caméra caresse avec une voluptueuse fascination, les deux actrices, en état de grâce, s’inscrivent parmi les plus émouvantes incarnations féminines du septième art. A travers elles, Mulholland Drive génère un lyrisme sans équivalent : les larmes délicates au Silencio, la plus belle déclaration d'amour jamais captée sur un écran (ce "I'm in love with you" d'une enivrante suavité qui hante régulièrement mes nuits), le raccourci orphique à travers un sentier perdu de conte… L’hypnotique traversée des apparences à laquelle le film invite traduit une valse de fantasmes, de souvenirs et de regrets qui creuse toujours davantage son sujet profond : le rapport à la femme aimée, les temps et manifestations du sentiment amoureux. Que de compassion éperdue, de proximité affective dans ce merveilleux portrait de femme(s) : le film est un chant d’amour, celui d’un cinéaste pour son personnage. Couleurs satinées sculptées dans la soie, velours duveté des images, caméra serpentine, nuits de lumières et soleils californiens, étreintes brûlantes à l’érotisme capiteux : cette séduction glamourissime génère une ivresse sensorielle qui fait battre le cœur brisé d’une héroïne fabuleuse. Celui de Diane, l’amante délaissée, la victime anéantie du miroir aux alouettes, qui expérimente la tragédie de l’abandon et de l’échec et dont la détresse et le chagrin fendent le cœur. Celui de Betty, la douce et radieuse ingénue qui découvre l’amour et la réussite, qui sauve, protège et aime sa belle : avec elle à ses côtés, son sourire lumineux flotte à jamais sur le ciel étoilé de L.A.

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2. Le Nouveau Monde - Terrence Malick

Je n’osais en rêver, Terrence Malick l’a fait : retrouver, probablement, les cimes de sa Ligne Rouge, l'un des plus beaux films que je connaisse. Les mots sont peu de choses face à ce sublime opéra cosmogonique, qui fait répondre le souffle du vent au questionnement existentiel, et qui exprime les affects des personnages en un flux envoûtant qui enchante l’esprit autant qu’il serre le cœur. Malick y filme les vibrations de l'amour avec la délicatesse d'un papillon, il suggère la naissance malade de l’Amérique, la permanence d’une civilisation massacrée, il saisit ce moment où l'Ouest cesse d'être un mythe ou une utopie pour entrer dans l'histoire, il exalte le jardin de la création en composant un réseau de métaphores, de songes et de fantasmagories qui associe tous les éléments en une unité virginale et panthéiste. Au coeur de la méditation, le personnage de Pocahontas, nymphe de la terre nourricière, gracieuse émanation des harmonies du nouveau monde, qui en personnifie la beauté et la fécondité : si l'Or du Rhin ouvre le film et l'élève d'emblée à des altitudes cosmiques, c'est parce que la princesse est l'ondine du poème, et que les pionniers en sont les gnomes. Une fois de plus, la sensibilité malickienne distille une poésie, une luxuriance sensorielle qui dépasse l'entendement et tient, plus que jamais, de l'effusion et de l'incantation lyrique : il traduit une indicible musique intérieure, celle d'une communion spirituelle entre les êtres et la nature, et d'un émerveillement sans cesse renouvelé. Ainsi la rencontre des deux civilisations survient-elle par un ravissement, un enchantement réciproque, le dialogue de deux voix off qui ne cessent de s'interroger sur leurs destinées et sur le spectacle de l'univers - voir le travail inouï opéré sur les cadres, le montage visuel, fragmentaire, qui semble pourtant approcher l'infini. Mais l'éblouissement s'avère parfois l'expression d'une poignante illusion ; aucun primitivisme naïf et béat n'est de mise, et la pastorale est toujours inextricablement mêlée à une élégie de paradis perdu, celle d'une idylle condamnée, d'une fracture radicale avec l'ordre du monde. Par cette bouleversante exaltation romantique, Malick, qui devait s'appeler Dieu dans une autre vie, nous fait in fine tutoyer l'éden - conclusion proprement extatique, inscrite dans la postérité, lorsque l'héroïne, comme dans un conte de fées, traverse le miroir (celui-là même où est filmée son agonie) pour pouvoir folâtrer dans les prairies ondoyantes de l'imaginaire. Ca pourrait durer six heures, six jours, six mois, c'est l'éternité qui passe le temps d'un film céleste et symphonique, à la fois grandiose et infinitésimal, dont chaque image, chaque plan, chaque seconde tient du miracle.

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3. Gerry - Gus Van Sant

L’horizon, le soleil, le désert, et deux potes perdus entre ces trois pôles, lignes de force d’une œuvre scotchante qui envoie aux orties absolument toutes les règles cinématographiques en vigueur. Si Gus Van Sant pousse l’expérience jusqu’à l’ascèse (ou plus exactement la pureté), c’est pour remuer chez le spectateur les plus profondes des zones sensorielles et existentielles. Gerry fait partie de ces oeuvres rares qui, tout en autorisant toutes les lectures, s’inscrivent dans la matérialité la plus tangible. La traversée des deux héros pourrait figurer tout à la fois un retour aux origines archaïques et primitives du monde (la conquête de Thèbes n'est-elle pas évoquée autour d'un feu de camp ?), en même temps qu'une confrontation à la notion même d'éternité, qui n'est rien d'autre qu'un présent perpétuel et absolu. Poème épique, solaire, à la fois terminal et inaugural, extrêmement physique et éminemment abstrait, qui invente toute une parabole sur la liberté ou, au contraire, la difficulté de sortir de la route, de gérer l’infini des possibles, Gerry semble se dissoudre petit à petit, à l’instar de ses protagonistes, dans une minéralité qui renvoie à la menace terrible de la disparition et de la perdition – à moins qu’elle ne porte en germe la promesse d’une renaissance. Car le désert est ici le lieu d'un désastre immémorial, quelque chose de souterrainement terrifiant qui, comme dans Elephant, n'est pas du ressort de la fatalité, mais plutôt le fait d'un "obscure clarté", d'une manière de transparence crépusculaire et évidée du monde - une transparence insondable des choses. Entre dilatation et rétrécissement, divagations fluorescentes et hyperréalisme sur lequel l'oeil du spectateur, comme les deux protagonistes, est condamné à glisser, Gerry suscite des interrogations vertigineuses. Ses audaces plastiques ouvrent sur l'allégorie : ces plans où nous voyons le ciel défiler à grande vitesse alors que la terre reste immobile valent-ils comme une recréation de l'univers ? L’hypnose qui résulte de cette élégie à l'amitié, se désagrégeant progressivement dans l’immensité d’un lieu mythique devenu espace mental, est infiniment précieuse. C'est l'un des plus sidérants météores qui aient traversé cette décennie de cinéma.

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4. In the Mood for Love - Wong Kar-wai

La démarche chaloupée d'une femme au ralenti, la silhouette d'un homme dans l'obscurité, et le temps se suspend. C'est en se soumettant à la plus canonique des équations - une homme et une femme - que Wong Kar-wai touche la quintessence de son art : la musicalité des images et des mouvements, les lumières douces et hypnotiques, les amorces de cadre vaporeuses ou obstruées par des reflets cristallins y constituent l'expression langoureuse d'une irrésistible attraction. Des sombres et luisantes étoffes, soyeuses invitations au voyage et à la rêverie, jusqu'aux parfums volatils que l'on croit sentir se glisser entre les plans, de l'extraordinaire garde-robe de Maggie Cheung, symphonie de rouges éclatants et de motifs floraux, jusqu'aux volutes de fumée des cigarettes de Tony Leung, la plastique du film subjugue. Ne surtout pas croire, cependant, qu'In the Mood for Love ne fait que s'enivrer de sa virtuosité décorative, ou que l'émotion ne se réduit qu'à l'expérience esthétique. Au contraire, rarement formalisme fut si synchrone avec le propos. Ces images splendides sont très loin de ne valoir que pour elles-mêmes : elles restituent au sentiment amoureux son rythme juste, et traduisent une valse des sentiments réprimés que le cinéaste explore jusque dans leurs variations infinitésimales et leurs virtualités rêvées. Il se déploie à l'écran un univers vibratile, aussi pudique que sensuel, relayé par le travail infiniment complexe sur les cadrages, les mouvements et les ellipses. Ce qui se joue dans In the Mood for Love, c'est la tentative de ralentir le temps pour immortaliser l'instant présent : chaque geste, chaque rituel y revêt une dimension cyclique soulignée par un leitmotiv entêtant, les tropismes des êtres s'expriment selon un agencement élaboré de rimes, d'échos et de répétitions qui s'inscrivent dans la perspective d'une impasse sentimentale éternellement différée. Des années plus tard, lorsque les ruines du temple d'Angkor recueillent le secret du héros, le mélodrame de Wong Kar-wai accède à une dimension immémoriale : peu de conclusions sont aussi poignantes que celle de ce somptueux et mélancolique poème du désir et du renoncement.

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5. Yi Yi - Edward Yang

On a l'impression de connaître sur le bout des doigts ce genre de fresque chorale qui, trop souvent, dissimule mal son cynisme sous la brillance. Mais Edward Yang transforme la chronique de la vie économique et sociale en une aventure spirituelle, une symphonie de fils tendus et de noeuds savants qui joue des rythmes binaires : sphère privée et sphère publique, présent et passé, dedans oppressant et dehors idéalisé. Saturé de doubles et de miroirs, Yi Yi multiplie les lignes mélodiques et ne paraît les interrompre que pour mieux les poursuivre, ailleurs, avec d'autres fils et d'autres coloris. Alors se construit harmonieusement une mosaïque ample et délicate, aussi contradictoire et linéaire que la vie, qui s'épanouit en un ballet des expériences autour d'une vieille dame tombée dans le coma, pivot sensible d'immobilité et de silence. On assiste à une première déception amoureuse, aux retrouvailles superbes mais décevantes du père avec sa première amante, au reflet lointain d'un couple dans une ville étrangère - comment, à cet égard, ne pas louer le talent architectural du cinéaste, qui fait de ce tissu urbain qu'est Tapei une tapisserie mouvante de lumières, de routes et de réverbérations ? Autant de moments impressionnistes que la grâce de la caméra organise en une orchestrale mise en scène des sentiments, une cosmogonie polyphonique d'actions et de personnages constituée de réponses et d'oppositions plus musicales que strictement dramaturgiques. Si Edward Yang se fait peintre aigu des intermittences du coeur et des secrets enfouis au sein des relations familiales, on le sent aussi fasciné qu'angoissé par la propagation des codes sociétaux : le film est peuplé d'êtres cantonnés aux divers seuils de leur existence, incapables de dépasser leurs craintes et leurs inhibitions. Jusqu'à ce que le petit garçon décide que le regard doit changer d'axe, photographiant la nuque des gens afin qu'ils puissent reconstituer l'invisible complément du visible. A son image, et jusque dans ses moments les plus graves, les plus poignants, cet hymne enchanteur à l'existence infuse la sérénité.

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6. Parle avec Elle - Pedro Almodovar

Tout sur ma Mère s’achevait sur un lever de rideau, Parle avec Elle commence de la même manière : les films d’Almodovar s’enchaînent avec une fluidité parfaite, comme s’ils participaient désormais d’un seul et même récit. La prodigalité narrative dont fait preuve le réalisateur, qui joue de détours inattendus et de ramifications complexes pour tisser les fils de quatre destinées, est vectrice d’une représentation toujours plus poignante de l'humanité, mise à l’épreuve mais solidaire, mue par la compassion et le souci des autres. En un écheveau de retours en arrière, d’ellipses et de réminiscences, Almodovar approche la nature la plus profonde des êtres, et élabore un labyrinthe des passions qui sublime le pouvoir de pouvoir de transmission, le don de soi et la puissance de l’amour fou. La souffrance n’y est jamais totalement douloureuse, la tristesse toujours masquée par la générosité ; on y voit les hommes pleurer plus que les femmes, gracieuses ou androgynes, source de leur agitation. Bien nommé, le film montre avec limpidité qu’au commencement était le Verbe. C’est la parole de l’animatrice qui blesse Lydia la torero, c’est la parole de l’amant revenu qui libère Marco de sa culpabilité, c’est la parole de l’infirmier qui caresse de ses mots tendres sa patiente bien aimée mais qui l’enferme aussi dans une folie douce, et c’est toujours la parole de Benigno qui accompagne cette séquence muette, décapante et superbe, clé de voûte du récit, digne des grands surréalistes espagnols. Nouvelle lecture de la Belle aux bois dormant, mais qui serait travaillée par les questions du deuil et du renoncement et lustrée dans une photographie charnelle, ce mélo au lyrisme retenu nous situe constamment sur la ligne de partage entre la vie et la mort, au bord de l’abîme des attachements. Il parle avec nous, de la fragilité des hommes et des croyances, de la force du sentiment et de la tragédie d’être seul, avec une gravité et une ferveur dignes des plus grands.

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7. Révélations - Michael Mann

Le journalisme et le septième art américain sont liés depuis toujours : sous la houlette virtuose de Michael Mann, voici le retour du grand cinéma d'investigation, sublimé par une plus-value esthétique sans équivalent. Le choc est considérable. D'abord, il faut mesurer l'ambition folle du champ thématique investi par le cinéaste, qui s'élargit au gré des implications et des révélations d'un script plein comme un oeuf : lobbies industriels, conscience individuelle, puissance médiatique, tractations occultes... Peu de films sont aussi passionnants quand l'émotionnel est lié à l'économique, au social ou au politique. D'un sujet à l'autre, le film ricoche, s'élargit en même temps qu'il resserre son étau - par ses innombrables informations, son sens de l'attente, du suspense, du mystère et de la résolution, Révélations déploie une densité dramatique proprement scotchante, qui pourrait alimenter vingt films. C'est dans ces moments d'extrême tension que l'élégance stylistique de Michael Mann, ses géniales intuitions formelles font merveille, lorsqu'il ose une féerie noire et offre des stases de pure contemplation en approchant l'intime des personnages, perdus au coeur du cyclone. Il faut louer l'implication de ce duo mémorable : Russell Crowe, comme brûlé par ses convictions, y suit un véritable chemin de croix vers le sacrifice, traqué, dépossédé de toute vie privée, tandis qu'Al Pacino, en incarnation flamboyante de la vérité en marche, se fait un croisé, conscient lui aussi qu'il en train de tout perdre au nom d'une éthique inaliénable. Il n'est au fond question que de liberté, celle de la presse, celle de l'opinion, cette liberté qui ne peut survivre qu'avec des hommes de parole. De là naît le lyrisme mélancolique du film, son envergure à la fois morale et élégiaque : à la fin, lorsque la voix de Lisa Gerrard accompagne la victoire amère des deux héros, Révélations atteint une véritable grandeur. A mes yeux, il s'agit rien de moins que du chef-d'oeuvre du cinéaste.

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8. La Graine et le Mulet - Abdellatif Kechiche

Quatre ans après sa formidable Esquive, Abdellatif Kechiche change de braquet, passe au régime supérieur, et s'impose cash comme l'un des cinéastes français les plus importants de sa génération. Film-fleuve porté à incandescence par une mise en scène tumultueuse et sensualiste et par une oralité de feu, La Graine et le Mulet est le coup d'éclat qu'on attendait plus, une proposition mue par une conception vibrante du cinéma populaire, dont l'ampleur romanesque, la profusion d'intrigues et de personnages et la proximité émotionnelle laisse exsangue, épuisé et ravi. On pourrait établir l'inventaire des patronages dans le sillon desquels se place Kechiche, juste pour situer l'ambition du geste (le film tutoie les sommets de Pialat, Pagnol, Renoir, Cassavetes). Ce serait sans doute trahir la singularité précieuse d'un cinéma fait de blocs fiévreux, étourdissants d'humanité et d'authenticité, où les mots se bousculent et s'entrechoquent en une litanie poétique de langue et de texte ourlé, où les personnages expriment leurs sentiments avec une impétuosité méditerranéenne, où, par la durée, la vie s'engouffre à l'écran en immenses bouffées d'affection ardente, de tendresse rugueuse ou de rage éclatée (ici la logorrhée déchirante d'une épouse trahie, là l'épuisement d'une danse sacrificielle). Très grand film sur la France contemporaine (saisie dans toutes ses contradictions et ses injustices, ses rêves et ses dérives), cette saga effervescente traduit constamment la dimension sociale du propos par le prisme des espoirs et des conflits individuels et collectifs, par les relations entre les êtres, et par les affects qui les habitent - amour, amitié, jalousie, bonheurs et déceptions. Il y a une grandeur héroïque dans ce cinéma, une dignité poignante et un optimisme lucide qui tiennent autant du néoréalisme italien que du conte utopique. L'interprétation, magistrale, en parachève la puissance.

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9. No Country for Old Men - Joel & Ethan Coen

Ils ne sont pas nombreux les films qui, seconde après seconde, imposent une telle évidence de classique en germe : cette méditation crépusculaire sur les mythes américains peut y prétendre. Il y a, dans la conduite implacable du récit, l'organisation interne de chaque séquence, la composition du moindre plan, une aisance de cinéma absolument sidérante, qui procure une ébouriffante jubilation. La première partie, traque minutieuse et haletante où les enjeux s'enclenchent dans l'immensité abstraite du Texas (splendide photo de Deakins), est peut-être, à cet égard, ce que les frangins ont fait de plus accompli. D'un bout à l'autre, le film est zébré d'images foudroyantes : lorsque la caméra capte de nuit le profil d'une voiture en haut de la colline, entourée d'un halo lumineux, on reste le souffle coupé. Émulation baroque et grotesque de la silhouette encapuchonnée du Septième Sceau, Javier Bardem habille la Mort en marche d'une impassibilité hallucinée et terrifiante - vision infernale lorsqu'une nuit, en traversant un pont, il tire et fait s'envoler un corbeau noir posé sur la rambarde. C'est par la maîtrise irrécusable de la mise en scène, sa puissance de suggestion, que les frères Coen, comme de coutume allergiques au discours, imposent l'envergure métaphysique de l'allégorie. Si elle n'a rien perdu de son goût prononcé du burlesque, qui nous vaut ici de grands moments d'ironie grinçante et désespérée, leur inspiration est rattrapée par une intense mélancolie, affligée par l'amertume du constat sur les racines de la folie, de la cupidité et de la violence. Moss, brave type rêvant de s'arracher à sa condition, ne peut rien faire contre la permanence du mal ; l'innocente Carla Jean, refusant le marché absurde de l'ange de l'apocalypse, ne peut qu'en mourir ; et le rêve final du shérif désabusé, hanté par la perte des valeurs, ne peut s'écouter que comme l'ultime confession du désastre.

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10. Elephant - Gus Van Sant

Travellings obsessionnels suivant les personnages de dos, au fil d’une déambulation labyrinthique, comme s'ils marchaient vers leur propre mort. Structure tournoyante, circulaire, dont les boucles à la fois géométriques et temporelles dessinent un réseau inextricable. Ralentis élégiaques captant des secondes d’éternité. Et à la fin, au terme d'un massacre étrangement calme, une dernière envolée dans les nuages qui renvoie le spectateur à un vide sidéral. La fascination exercée par Elephant, véritable manifeste esthétique, doit beaucoup à la splendeur cosmique de sa mise en scène. Telle une chorale évanescente, elle enveloppe par sa douceur et sa délicatesse, multipliant les ciels d’automne sur fond de Beethoven, alternant les mouvements aériens qui semblent voler au gré du vent, scrutant les visages comme pour en percer les mystères et l'innocence. Gus Van Sant invente une rêverie éthérée, porte un regard presque divin sur ses personnages, archanges d’une adolescence sublimée et bientôt victimes d’un désastre abyssal. Car une échéance funeste plane au-dessus des kids ; leur insouciance gracile se leste inéluctablement, par la virtuosité sensorielle de la forme, de la prescience d’une catastrophe, et lorsque l’horreur éclate, c’est avec un mélange de réalisme et de détachement qui donne au drame des allures de cauchemar éveillé. La beauté apollinienne n'est jamais loin de la pulsion de mort, le bonheur idyllique de la tragédie, c'est dans la quotidienneté la plus tangible que le film fait naître une certaine forme de mythologie. En rapprochant ces contraires, Van Sant interroge bien plus qu’il n’explique, ne s’arrête à aucun constat facile, refuse toute facilité moralisatrice, et fait résonner le bruit et la fureur du monde afin d’inviter à la méditation.

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11. La Chambre du Fils - Nanni Moretti

Depuis Aprile, le cinéma de Moretti se fait moins égocentrique, plus tourné vers la famille, nourrissant l’introspection de l’artiste par un rapport constant à l’altérité. Ce film, peut-être le plus beau de son auteur, aborde le plus "impossible" des sujets : la mort d’un enfant. On voit bien ce qu’un tel projet peut charrier d’excès ou de maladresse sentimentale, mais ce n’est définitivement pas le genre de la maison. La perte, le désespoir, l’affliction insurmontable causée par l’absence, toutes ces choses Moretti les aborde de front, les considère en face, déclinant chacun des motifs en un ensemble admirable de cohérence et de pudeur, de tact et de justesse. C’est avec la plus poignante des finesses que le film restitue tous les états de la souffrance : pratique sportive comme délassement puis comme recherche de l’épuisement, rapport obsessionnel au passé et à la culpabilité, fracture entre des êtres que tout devrait réunir, incapacité à supporter l’autre, sa détresse la plus profonde comme son mal-être le plus banal. De cet ébranlement psychologique, de cette tentative magnifiquement accomplie de représenter sans pathos la douleur devant l’incompréhensible, l’insoutenable, l’absurde défi de la mort pour ceux qui ne croient pas à l’immanence, de tout cela naît pourtant la promesse d’un recommencement. Une lettre, un coup de téléphone, la présence de la mère (Laura Morante, superbe) suffisent à rappeler aux vivants où est leur place. Le dernier mouvement du film, amorcé par la rencontre avec la petite amie du garçon défunt, s’achève sur un nouveau départ : à travers le travelling final, accompagnant le père, la mère et la sœur dans une sérénité fragile mais pour la première fois retrouvée, le travail de deuil touche à sa fin. L’émotion est alors à son comble.

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12. Le Pianiste - Roman Polanski

Certaines langues mal inspirées taxèrent la Palme d'Or 2002 d'académisme. Triste appréciation pour cette pierre capitale apportée par le cinéaste à ce qu'il peint depuis ses débuts : la peur, la claustration, les rapports de domination et d'humiliation. L'expérience vécue par le petit Roman dans le ghetto de Varsovie a conditionné toute sa sensibilité d'artiste - voilà, pudique et universel, le film longuement mûri qui en est la preuve. S'il contribue à l'indispensable devoir de mémoire, s'il souscrit à un classicisme rigoureux pour évoquer l'horreur de la Shoah et la traduire en images indélébiles, comme sorties directement des yeux d'un enfant effaré, désemparé, celui qu'il fut à l'époque, Polanski demeure un grand créateur de formes en racontant l'itinéraire erratique, presque somnambulique, de Wladyslaw Szpilman (extraordinaire Adrien Brody), renvoyé par les tumultes de l'Histoire à l'absurdité de la condition humaine. La description clinique de l'abjection nazie y cède progressivement la place à une odyssée faite d'effroi et de stupeur, les ruines de Varsovie reflétant peu à peu le dénuement intérieur du héros. Le film ne cède en rien aux facilités émotionnelles, ne traduit aucune velléité pédagogique, c'est du grand cinéma abstrait qui révèle les béances d'une angoisse métaphysique et renvoie à l'existentialisme de Kafka et de Beckett. Le pianiste, précipité dans une retraite régressive, devient comme le dernier des hommes, rejeté hors des limites du tableau de l'Apocalypse, dans un monde qu'il ne reconnaît plus, sur lequel il ne peut plus peser, et qui semble avancer tout à la fois vers le néant et vers la paix. C'est pourtant dans ce monde que, soudain, l'homme des cavernes et l'officier allemand mélomane vivent ensemble la beauté d'un morceau de Chopin. Espoir inaliénable en la puissance de l'art et la valeur de l'humanité.

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13. 21 Grammes - Alejandro Gonzalez Iñarritu

Pour apprécier à sa juste valeur la puissance exceptionnelle du deuxième film d'Iñarritu, il faut aller au-delà du sombre déterminisme qu'il est trop facile d'y voir, déceler à quel point le cinéaste arrache des blocs entiers d'humanité et de compassion aux boucles du puzzle temporel, marqué du sceau de la souffrance et de la fatalité, qui se construit à l'écran en une multitude de réseaux et de relations organiques, viscérales, liant les personnages par un rapport à une certaine forme de transcendance. Il y a du Kieslowski dans cette méditation sur la condition humaine, du Dostoïevski dans ces personnages brisés, mus par une même volonté de survie, mais tirant de l'expérience douloureuse de la vie la force de l'assumer et de construire l'avenir qu'ils se choisissent. Amour, foi, culpabilité, vengeance, rédemption : le strict est chargé, mais Iñarritu désamorce tous les pièges du pensum par la fièvre de son style, une volonté jamais prise en défaut de ne pas montrer l'indicible, un don prodigieux pour tisser des liens et des passerelles invisibles mais évidents entre les êtres, et surtout par les rôles royaux offerts à un trio de comédiens extraordinaires, au-delà d'eux-mêmes. Sean Penn, tour à tour agonisant, renaissant et amoureux, y est un ange rédempteur, entamant avec la femme de son coeur un double processus de résurrection. Naomi Watts, foudroyée de plein fouet dans son bonheur, explore de tels abîmes de chagrin qu'à chaque seconde on ne rêve que de lui porter secours. Benicio del Toro retranscrit avec une force animale la spiritualité de son parcours, bête souffrante aux accents scorsesiens (on sent qu'il vit l'enfer sur terre), attendant le coup de grâce. C’est main dans la main que l’on accompagne ces trois personnages aux destins fracassés, qui disent tout de la fragilité des existences.

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14. Million Dollar Baby - Clint Eastwood

Impérial et intime, tendu dans une rigueur de facture proprement sidérale, gravé dans un admirable nuancier d'ombres et de contre-jours, voici l'un des sommets d'une filmographie pourtant immense. Pour la première fois depuis l'inégalable Sur la route de Madison, Clint Eastwood acteur pleure : c'est dire l'importance de cette oeuvre. Un gymnase où se rencontrent quelques écorchés de la vie, un ring devenu l'espace d'accomplissement des rêves, un hôpital où se dénouent les enjeux de la filiation et de la transmission : c'est en ces lieux que le cinéaste suggère secrets, blessures et aspirations des protagonistes, pics d'une relation triangulaire à l'absolue pureté. Au fil des aphorismes méditatifs psalmodiés par la voix off rocailleuse et intemporelle d'Eddie Scrap, figure morale à la dimension quasi fantomatique, ce magnifique mélodrame en trois actes dit le refus de se pardonner à soi-même, le poison de la culpabilité, le pansement difficile de la perte et de l'abandon, l'épanouissement de l'individu et des relations humaines. Le cinéma d'Eastwood a toujours sécrété quelque chose de mythologique : ce qui se joue au fil de cette tragédie, jusque dans la douleur infinie de sa dernière partie, est rien moins que la célébration de ceux qui se confrontent loyalement au rêve américain d'ascension sociale et qui assument, dans la dignité et l'abnégation salutaire, le prix à payer pour avoir atteint une gloire pourtant acquise par le sang, la sueur et les larmes. La conclusion du film, dans le vide presque spectral créé par l'absence des deux protagonistes, laissant la place au narrateur pour commenter cet ultime effacement, trahit par son ton élégiaque la grandeur et le degré de permanence atteints aujourd'hui par le cinéma d'Eastwood. Mo Cuishle...

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15. Cœurs - Alain Resnais

Depuis On Connaît la Chanson (déjà pas rose), la dépression a gagné les personnages d’Alain Resnais. Une couche de neige a recouvert les coeurs solitaires, comme elle tombe sans discontinuer sur le XIIIè arrondissement de Paris, et dans la pièce où Arditi se confie à Azéma. Le moindre plan vibre de signes, discrets et déroutants : un tableau de crabe sur un mur, un personnage invisible nommé Zambeaux, une affichette de Scarborough. L’insondable mélancolie du film revêt parfois les atours du burlesque, du grain de folie – les insanités éructées par Arthur ou le comportement azimuté de Nicole, bigote strip-teaseuse. C’est que, mine de rien, le surréalisme s’invite dans cette valse des sentiments, une étrangeté sourde, voire inquiétante, à la lisière du fantastique : Lionel, barman muet, se tient derrière le comptoir mauve et rougeoyant (satanique ?) comme une réminiscence du Lloyd de Shining. Souveraine, la mise en scène est d'une majesté qui enchante la pupille (des travellings majestueux aux couleurs splendides d’Eric Gautier, qu’on croirait sorties de chez Wong Kar-wai) et orchestre un ballet des rencontres manquées à travers des cloisons incomplètes, des rideaux de perles, des verres à rayures opaques. Comme toujours, le cinéaste fuit le naturalisme pour privilégier la déréalisation des situations, il stylise pour mieux accéder à la vérité. Dans Coeurs Resnais fait jouer la jalousie, l’intérêt sentimental, l’euphorie, la désolation amoureuse, il invente une drôle de comédie très triste où la causalité échappe aux humains, où le jeu des rites sociaux font le commerce indiscernable entre les êtres. C’est très beau, d’un raffinement exquis, d’une gravité poignante, c’est tout simplement du grand Resnais.

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16. Signes - M. Night Shyamalan

Il y a quelque chose d'éminemment casse-gueule chez Shyamalan, en même temps qu'une virtuosité d'équilibriste lui conférant un cachet reconnaissable entre mille - sans doute la marque d'un auteur, un grand. Signes est à mes yeux son film le plus équilibré, le plus riche, le plus émouvant. Il faut voir avec quelle aisance l'enchanteur investit les gammes du thriller, du fantastique et du conte pour les mouler dans un registre poétique qui n'appartient qu'à lui, un territoire à la douceur hypnotique et anxiogène qui en appelle constamment à l'invisible, voire au mystique (cette interrogation récurrente chez lui de la place et du rapport de l'individu au monde). Non seulement sa technique est sans faille (le moindre plan est une leçon), mais en plus il est un conteur si fortiche qu’il se permet de raconter une apocalyptique attaque extraterrestre en restant confiné dans une ferme de Pennsylvanie : on rarement vu cinéaste jouer aussi aisément avec le principe de croyance du spectateur. Le regard torve d'un militaire expliquant un plan d'invasion, une brise caressant un champ de maïs, quelques sons émanant d’un jouet-téléphone : dès lors, plus question de mettre en doute l'invraisemblable, l'envoûtement est total. Shyamalan touche ici quelque chose d'une croyance enfantine, merveilleuse - son film peut se lire comme un rêve, peut-être celui de Bo. Les images de velours, la partition délicate de James Newton Howard, la tonalité spirituelle de ses questionnements, l'extrême sensibilité des relations humaines et familiales qui palpitent en son sein : il s'épanouit ici un cinéma fragile, précieux et profondément touchant, qui double le suspense hitchcockien (et nul doute que Shyamalan est l'un des plus dignes héritiers d'Hitchcock) d'une réflexion métaphysique sur la foi, le doute, la destinée, l’importance du choix.

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17. Princesse Mononoke - Hayao Miyazaki

Dès le générique, on est captif. Sur une bande sonore de grondements terrifiants et grâce à des plans d’ensemble prodigieux, le film mêle les explosions rougeoyantes d’arquebuses aux visions pastorales, déploie un bestiaire sidérant (démons et de merveilles tirées d’un folklore nippon millénaire), et impose un spectacle grandiose. Film d’initiation (comme tous les Miyazaki), fresque épique qui tutoie le souffle et l’ampleur du cinéma de Kurosawa, émerveille par la splendeur de son graphisme, la densité de ses caractères, la richesse de sa structure, cette allégorie nous confronte à la dialectique éternellement renouvelée du Bien et du Mal. D’un bout à l’autre, c’est un oasis de visions, dans la fulgurance du mouvement comme dans la plénitude contemplative : prostituées travaillant sur les gigantesques soufflets des forges médiévales, couleurs incandescentes qui habillent les divinités animistes, profondeur de champ qui exalte les armées en marche… Véritable panorama de l’imaginaire et des préoccupations miyazakiennes, Mononoke développe une intrigue de hauts faits et des enjeux shakespeariens, sur les pas d’un garçon découvrant la violence des sentiments et l’ambivalence du monde et ceux d’une walkyrie en guerre contre le déséquilibre naturel. Il y a un humanisme vibrant dans la façon dont le cinéaste dépeint la complexité des êtres, qui n’a d’égale que l’ardeur panthéiste avec laquelle il en appelle aux légendes universelles – des lucioles édeniques caressées par le vent au grand dieu-cerf souleveur de montagnes, symbole protéiforme de la régénération. Un monument.

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18. Man on the Moon - Milos Forman

On pourrait parler du génie de l’idiot et de la délicate alchimie du gag (y en a-t-il une ?), philosopher sur la métaphysique de l’humour, ou discuter de la frontière ténue entre la vie, le spectacle et la représentation. Très fort, Milos Forman va encore plus loin. Épousant les mécaniques subversives de son sujet, il met K.O. toutes les règles du biopic et invente un labyrinthe tragi-comique proprement vertigineux, une sorte de trompe-l’œil permanent qui fait vaciller les repères et exploite toutes les potentialités du champ et du hors-champ, de l’acteur et de ses masques, apparitions et disparitions. Poète dadaïste, provocateur érotomane, artiste de la dissimulation et du subterfuge intellectuel, Andy Kaufman trouve en Jim Carrey un interprète à sa démesure : il fallait un talent aussi dingue que le sien pour faire de Man on the Moon ce show schizophrène, pirandellien, jubilatoire mais vaguement inquiétant, qui pulvérise tous azimuts les hypocrisies et les faux-semblants d’une Amérique empêtrée dans ses conventions. Extrêmement drôle, Man on the Moon est aussi régulièrement malaisant, dressant des ponts entre la folie et la normalité, la farce et la mort : voir l’épisode final qui voit Andy rire et rire encore lorsqu’il s’aperçoit que le médecin qui soigne son cancer est lui aussi un mystificateur… La mystification comme miroir définitif de l’existence, telle est la croyance joyeuse affichée par ce stupéfiant film-oxymoron, qui multiplie les mises en abyme pour mieux nous renvoyer à nos propres zones d’ombre.

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19. L’Esquive - Abdellatif Kechiche

Il faut assister à la paralysie muette de Krimo, hébété devant ses camarades de classe quand sa prof lui demande de jouer Marivaux, pour comprendre à quel point le projet d’Abdellatif Kechiche parvient à capter la rencontre entre le jeu de l’amour et du hasard et les émois des ados d’aujourd’hui. Il faut voir la verve flamboyante de Lydia pour saisir l’importance fondamentale du langage chez ce cinéaste, langage qui se fait le vecteur de tous les embrasements – social, amoureux, culturel. Il y a chez Kechiche une tendresse de tous les instants dans le regard, qui ne rompt jamais la tension dramatique de la mise en scène et de l’agencement des séquences : sans le moindre dogmatisme, avec une énergie bouillonnante tirée de jeunes acteurs tous très engagés, le cinéaste poursuit le portrait de la France de l’immigration et revendique, avec ses répétitions théâtrales à ciel ouvert qui rappellent rien moins que l’Antiquité, le droit à la fiction. Car la méthode du cinéaste trouve ici son premier point d’achèvement : L’Esquive est une série de blocs compacts, d’affrontements permanents, qui parvient à trouver l’équilibre miraculeux entre la lucidité critique et l’optimisme, la finesse de la peinture sociale et le rapport constant qu’il entretient avec la représentation, et qui accentue tous les atours du réalisme, entre drôlerie et gravité, pour mieux ouvrir sur le conte – geste politique admirable.

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20. Valse avec Bachir - Ari Folman

Coup de maître pour Ari Folman, qui invente un documentaire d’un genre nouveau en choisissant l’animation et la stylisation pour évoquer les massacres de Sabra et Chabila en 1982. Le dessin est ici celui de l’imaginaire, de la fiction et du spectacle ; en une suite d’images fulgurantes présentant le même degré de réalité ou d’irréalité, ce vertigineux travail de défrichement du souvenir et de la mémoire dessine une quête personnelle, intime, obstinée, qui renvoie à la culpabilité et au traumatisme collectif de tout un pays. Le récit, puisant dans tous les régimes d’images et naviguant avec une suprême habileté entre présent et passé, cauchemars et vérités, la virtuosité absolue du montage qui alterne les genres et les temporalités, la poésie funèbre du récit, les images de pure fantasmagorie accompagnant les instants les plus véristes, les grandes scènes de sidération (fiévreuses danses en boites de nuit, scènes de guerre tétanisantes, rêveries hallucinatoires qu’accompagne le score hypnotique de Max Richter...) : tout dans ce film magistral déclenche une émotion très particulière, entre l’effroi, la compassion et l’envoûtement. Au-delà de ces considérations, Valse avec Bachir est aussi l’un des manifestes pacifistes les plus forts et pertinents jamais réalisés.

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Accessits

Comme pour tout le monde, c'est pour moi une torture d’en laisser sur le côté. Ils n’entrent pas dans ce top 20, mais ils sont juste à ses portes :

Un enchantement signé Weerasethakul : Syndromes and a Century.
Le magistral thriller tragique d’Eastwood : Mystic River.
Compagnon de Mononoke, un autre merveille de Miyazaki : Le Voyage de Chihiro.
Toute la glorieuse production Pixar, en particulier Toy Story 2.
La saga de Tolkien miraculeusement adaptée par Peter Jackson : Le Seigneur des Anneaux.
Je ne cite même pas Spielberg (snif), alors que cette décennie fut pour lui un triomphe artistique, ne serait-ce que pour Minority Report ou La Guerre des Mondes.
Un trésor de cinéma indépendant américain : Ghost World de Terry Zwigoff.
Une comédie musicale jubilatoire qui m’a ébloui, à ma grande surprise : Chicago de Rob Marshall.
Arnaud Desplechin, impérial avec Rois et Reine par exemple.
Deux magnifiques comédies de la tendresse et de l’humanité : Deux en Un des Farrely et En cloque, mode d’emploi de Judd Apatow.
Le coup de jeunesse cinglant et magistral de Woody Allen : Match Point.
La découverte de Sofia Coppola avec le singulier et envoûtant Virgin Suicides.
La confirmation de James Gray avec The Yards, pour moi son plus beau film.

Et tellement d’autres...


Dernière édition par Stark le 01 Nov 2009, 18:38, édité 8 fois.

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MessagePosté: 23 Juil 2008, 10:57 
C'est un bon, ce Stark ! :P


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MessagePosté: 23 Juil 2008, 10:57 
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Je l'aime bien, lui


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MessagePosté: 23 Juil 2008, 11:07 
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tape dans ses mains sur La Compagnie créole
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Putain Stark on est faits pour s'entendre. Si un jour j'arrive à fignoler le mien, il y aura plein de films en commun.

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MessagePosté: 23 Juil 2008, 11:32 
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Rho on aurait pu attendre que 2009 se termine quand même !


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MessagePosté: 23 Juil 2008, 12:14 
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Dernière édition par Think Bud Spencer le 21 Sep 2008, 12:10, édité 1 fois.

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MessagePosté: 23 Juil 2008, 12:42 
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Je l'aime bien aussi, même s'il y a un truc incompréhensible (MIII ? t'es sûr ?)


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MessagePosté: 23 Juil 2008, 12:46 
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Dernière édition par Think Bud Spencer le 21 Sep 2008, 12:11, édité 1 fois.

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MessagePosté: 23 Juil 2008, 13:15 
Think Bud Spencer a écrit:
J'adore, je trouve que c'est un grand film d'action expressionniste.

Expressionnisme du vide.


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MessagePosté: 23 Juil 2008, 14:31 
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MessagePosté: 23 Juil 2008, 14:37 
the black addiction a écrit:
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Pas de Southland? Pourtant, c'est entre 2000 et 2010 !


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MessagePosté: 23 Juil 2008, 14:38 
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Jericho Cane a écrit:
the black addiction a écrit:
J'ai mis mon top dans le premier message du topic.

Pas de Southland? Pourtant, c'est entre 2000 et 2010 !


Je le conserve pour fin 2009. Il va faire une entrée fracassante, t'en fais pas. :wink:


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MessagePosté: 23 Juil 2008, 15:00 
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c'est quoi ton 19, tba? jamais entendu parler, je suis curieux du coup.

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