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MessagePosté: 19 Oct 2006, 10:52 
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Coup de coeur du moment, fait son entrée dans mon top 10, qui n'avait pas bougé depuis un bail... 5,5/6

http://www.filmdeculte.com/film/film.php?id=1640


Melé est chanteuse dans un bar, son mari Chaka est sans travail, leur couple se déchire... Dans la cour de la maison qu'ils partagent avec d'autres familles, un tribunal a été installé. Des représentants de la société civile africaine ont engagé une procédure judiciaire contre la Banque mondiale et le FMI qu'ils jugent responsables du drame qui secoue l'Afrique. Entre plaidoiries et témoignages, la vie continue dans la cour. Chaka semble indifférent à cette volonté inédite de l'Afrique de réclamer ses droits...


INSTANTS D'AUDIENCE



Il y avait fort à craindre: film à charge, le Sud faisant le procès du Nord, témoignages accablants… Didactisme et misérabilisme guettaient, virus fatals, Bamako dans l'ombre. Ce n'est pas la moindre des élégances d'Abderrahmane Sissako que de leur tordre le cou. La prouesse à laquelle on assiste ici est double: réinvention intégrale du genre du film de procès, d'une part, et réaffirmation de la dialectique comme arme, d'autre part. L'image et le son, en somme: du cinéma. On pourrait être tenté de retracer la genèse du film, sa cour improvisée, ses intentions documentaires, ses plaidoiries "réellement" plaidées. Bamako, pourtant — qui faillit s'appeler La Cour avant de se résoudre, et la décision fut juste, à élargir le point de vue à un ensemble excédant l'enceinte du tribunal — dépasse ces intentions véristes et se pose en fiction. Conscient de l'utopie même de son point de départ (dans une cour à ciel ouvert, un tribunal de fortune s'installe le temps du procès de la dette africaine, du FMI et de la Banque Mondiale) Sissako louvoie avec bonheur entre la fable et le réel, le conte grotesque et le drame politique. Et se saisit pour ce faire des armes affûtées de la mise en scène.



Si l'on conteste l'option documentaire affichée, c'est bien parce que tout indique la direction, l'installation, l'intention et l'invention de mise en scène. Sissako a beau insister sur son dispositif (quatre caméras pointées sur les débats, improvisés en continu) et son dévoilement (dès les premiers plans de tribunal, caméras et preneurs de son apparaissent à l'image), censément véristes et non-interventionnistes, la mise en scène rapplique au galop ; et c'est tant mieux. Contre les schémas narratifs classiques, Bamako se dispense d'événement déclencheur — ou plutôt, survient après celui-ci. Le mal est fait depuis longtemps. Il est établi, pérenne. Aucune course contre la montre n'est donc engagée: Bamako prend son temps, se règle sur un rythme posé et attentif, calant son montage sur le tempo et l'intelligence des mots.



Le découpage, dès lors, est au service du discours — à l'image, le télescopage des sorties est intéressant à noter, de celui de Ces rencontres avec eux, dernier et sans doute ultime straubfilm — mais également — et la distinction entre Straub&Huillet et Sissako se fait là — de sa réception. De la réception: voyez cet homme s'adressant dans sa langue natale à une cour francophone. Ses premières phrases passent par le filtre de l'interprète. Le discours est haché, laborieux, et rend compte des difficultés d'entente dans un multilinguisme hérité des colonies. De l'énonciation: voyez alors le plan suivant. Le même homme parle désormais face caméra, plein cadre. Son discours est donné intégralement, sans autre relais que les sous-titres. Deux temps, deux niveaux de lecture: la nécessité d'un interprète est entendue, mais l'intégrité du discours respectée. La démonstration se suffit à elle-même: il s'agit bien là de choix de mise en scène.



On pourrait multiplier les exemples (la plaidoirie finale de maître Rappaport en est un beau, la caméra dévoilant pour la première fois l'instabilité de la barre, à laquelle l'avocat s'accroche, avant de tanguer périlleusement) mais ce serait négliger l'autre versant de Bamako: ses scènes hors tribunal. Qui craignait l'étouffement du huis-clos sera sauvé par le montage, signé Nadia Ben Rachid et Christophe Winding, dont les envies d'évasion rythment les échanges et autorisent l'ellipse. Retransmis dans les rues via des haut-parleurs, l'écho du procès se répand en effet alentour et ouvre plusieurs intrigues secondaires récréatives (un western bouffon, starring Danny Glover et Elia Suleiman!) ou dramatiques (un malade souffre en silence dans une chambre sombre), mais jamais platement illustratives. Sissako découpe ainsi plusieurs espaces de fiction, entre les rues, entre les murs, entre les draps teints et mis à sécher sur des fils dans la cour… En cette multitude de cases, le monde continue de tourner, de rire, de souffrir, anecdotique ou grave. L'Afrique ne s'y lamente pas: elle hurle sa colère, la chante, la pleure sourire aux lèvres, "plus optimiste que l'enfer". Avant tout, elle se dévoile: les désastres sociaux et culturels de sa paupérisation, certes, mais aussi sa rage de combattre et de se relever. Sa grande beauté, enfin, à laquelle la bande originale, splendide, ainsi que l'incroyable photo de Jacques Besse, colorée et limpide, rendent sans cesse justice. La leçon de cinéma est implacable. La démonstration politique ne l'est pas moins.

_________________

*


Dernière édition par Zad le 19 Oct 2006, 13:18, édité 2 fois.

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MessagePosté: 19 Oct 2006, 12:16 
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Antichrist
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cest vachement bien Sissako en general,


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MessagePosté: 05 Déc 2014, 13:46 
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Inscription: 14 Oct 2007, 11:11
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J’ai aimé ce film principalement pour sa singularité, la forme qu’il propose, son ambition et pour les moments très forts et très réalistes qu’amène l’improvisation.

Je trouve en revanche que le film sur le papier est plus fort que le résultat qu’on a devant nos yeux. Comme je ne connaissais pas le principe, j’ai bien aimé me perdre au début entre ce qui nous semble apparaitre comme de la fiction pure (ce qui sera carrément confirmé via la mise en abyme du western à l’intérieur du film) et un aspect plus documentaire qui sera montré de façon ostentatoire avec les caméras et les micros qui débordent du cadre, ainsi qu’une réalisation qui se veut plus réaliste.

J’aime beaucoup l’idée de mélanger directement ces deux aspects du film, mais je trouve néanmoins que là où la partie « docu » sait se montrer passionnante et même très émouvante par séquences, la partie « fiction » peine à s’enclencher convenablement. Ça a le mérite de créer un contraste intéressant mais je trouve que ces deux faces ont tendance à se démarquer au fil du film, les limites deviennent trop voyantes alors que je préférais ce flou du début.

Cela dit, ce qui me questionne plus c’est le dispositif du film, ou plutôt sa légitimité, et sa construction autour de ce procès dont les véritables enjeux, pour quelqu’un comme moi qui lit rarement les synopsis, ne sont dévoilés clairement qu’au milieu du film ! J’avoue avoir un peu de mal à me positionner devant ça, même si je trouve finalement que c’est une belle façon qu’a Sissako d’aborder la question du point de vue au cinéma.

Car pour moi dans ce film, c’est comme si finalement le personnage du juge n’existait pas. Il pourrait ne pas exister ou en tout cas sa fonction se limite à un rôle de coordination, et il ne délivrera d’ailleurs pas de verdict à la fin du film. Pourtant le verdict existe : on ressent facilement à l’issue du film que les organisations internationales qui sont représentées sont fermement condamnées, que l’on doit les considérer coupable d’une partie des souffrances de l’Afrique, et qu’elles doivent rattraper leurs fautes. Pas besoin donc de voir un juge livrer une sentence, Sissako lui-même devient juge et annonce son verdict à travers le montage de son film, le choix des cadres, en laissant sa caméra se figer à tel ou tel moment etc.

C’est donc un peu trompeur, finalement, de concevoir son film sur un dispositif qui promet l’égalité et l’impartialité (le procès) alors que le parti-pris règne forcément à chaque image. Au final, ce qui sauve le film de frôler la malhonnêteté intellectuelle c’est cette séquence que j’ai beaucoup aimé du monologue de Rappaport pendant lequel il baisse à moitié les bras (même si c’est évidemment une manœuvre) en laissant échapper au juge que le procès en lui-même n’a pas énormément de sens compte tenu des sensibilités des personnes qui en déclareront le verdit, comme s’il s’adressait directement à Sissako en parlant de son film.

Cette problématique du point de vue on y est de toute façon confronté chaque fois qu’on regarde un reportage, un documentaire, un film ou les informations et ça concerne n’importe quel type de média en général. Du coup selon moi c’est une bonne chose que le cinéaste aborde le sujet frontalement, en admettant lui-même son parti-pris, mais ça en fait aussi la limite de son dispositif : là où on pouvait s’attendre à un échange équitable, le film apparait finalement comme un plaidoyer en faveur de l’opinion des experts africains et qui entrainera sans problème l’adhésion de son public alors qu’à titre personnel, j’aurais aimé voir plus de répondant des deux côtés. Là ça fait un peu « On fait le procès du G8 et du FMI en leur mettant la tête sous l’eau », que ces institutions le méritent ou non ou qu’on puisse juger qu’il s’agit là d’un juste retour des choses, c’est un autre débat.


Je pense en tout cas que c’est un film qui me restera en mémoire: 4-5/6


Dernière édition par Mickey Willis le 05 Déc 2014, 15:51, édité 2 fois.

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MessagePosté: 05 Déc 2014, 14:51 
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tape dans ses mains sur La Compagnie créole
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Très envie de le voir, celui-là.

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MessagePosté: 05 Déc 2014, 16:01 
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Inscription: 14 Oct 2007, 11:11
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Du coup j'ai lu tout le topic "cinéma africain" de Tom pour comprendre un peu mieux mon rejet relatif de la partie "fiction"... Belle démonstration de patience encore une fois :o


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MessagePosté: 05 Déc 2014, 22:06 
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Inscription: 13 Mai 2010, 11:50
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Ouais, bah en fait au final ça m'avait un peu dégoûté de continuer mon exploration...

J'ai quelques réserves en commun avec toi sur Bamako. Le prochain, bizarrement, me fait énormément envie, mais un peu peur que la BA ne montre tout le film.


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MessagePosté: 24 Aoû 2017, 09:18 
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tape dans ses mains sur La Compagnie créole
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Inscription: 28 Juil 2005, 10:08
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Localisation: 26, Rue du Labrador, Bruxelles
Pas le courage d'écrire dessus (pas simple!) mais j'ai beaucoup aimé. Je suis content de l'avoir rattrapé. Un film unique, qui ne ressemble à aucun autre, passionnant sur la forme, interpellant sur le fond..
Décidément c'est un cinéaste super intéressant.

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Ed Wood:"What do you know? Haven't you heard of suspension of disbelief?"


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