El viaje en VO.
Un adolescent quitte la Terre de Feu, où il vit, pour partir à la recherche de son père, qui se trouve quelque part en Amérique Latine. Je ne connaissais ni le film, ni le réal, je ne sais toujours pas si c'est du ciné populaire ou pas du tout d'ailleurs. J'ai un peu l'impression d'être chez Lelouch : des couilles énormes, de l'ambition, une orgie d'idées, une énergie folle (quel tournage de malade ça a du être...) - mais une niaiserie, une lourdeur, et surtout un manque de tranchant dans le regard, qui empêchent d'entrer dans la danse. Les points enthousiasmants sont ici légions : un univers en continuelle hybridation avec un fantastique burlesque (contrées entièrement inondées, personnages impossibles retrouvés d'un bout à l'autre du monde...), et surtout un projet maousse de bilan de l'Amérique du sud en tant que continent, au moment de la sortie des dictatures. En s'appuyant sur une familiarité humaine évoquant le cinéma italien (la galerie de trognes absurdes de leurs comédies 70', les communautés baroques foisonnantes à la Fellini), Solanas dessine une odyssée indéniablement dense, notamment par sa variété de tableaux et son trajet quasi-fabulesque (de l'hiver perpétuel du sud hibernant à l'humidité dangereuse de la jungle).
Quel pénibilité alors de voir chaque petite originalité mise en spectacle (notamment par l'horrible musique), les velléités poétiques surlignées, chaque métaphore célébrée comme MESSAGE rutilant et clignotant - d'autant moins audible que la pensée du film tend autant vers le réquisitoire politique nécessaire, que vers une béatitude benneton à la
Into the wild. Un exemple de lourdeur : le voyage dans Buenos Aires inondé, que Solanas parvient contre toute attente à rendre crédible en trois plans. Le jeune héros se rend compte que ça pue : on devine soudain les égouts se vidant, la métropole tentaculaire qui continue à vivre dans ces conditions, le saumâtre de la ville accusé par les eaux stagnantes. Mais non : il faut rajouter à ça un officiel "ramasseur de merde" municipal qui vient pêcher avec une épuisette le caca que les gens balancent par leur balcon... Au-delà de la subtilité de l'idée (on pourrait à la limite accepter ça dans l'idée d'un cinéma se revendiquant "bête et méchant"), c'est surtout la mollesse d'un regard satisfait de sa propre trouvaille, de son symbole éclatant, se fermant à tout mystère sans aller chercher plus loin, qui fatigue et décourage.
Cette succession de tableaux prometteurs laisse donc un peu froid, à force de ne se refermer que sur son propre spectacle. Solanas réussit à nous sortir un peu de ce circuit fermé en finissant par faire de son personnage autre chose qu'un simple vecteur/spectateur du grand tableau allégorique, mettant petit à petit à nu le fil rouge qui trimballe l'adolescent à la sauce sadique (une envie d'embrassade avec le père toujours remise à plus tard, jusqu'à en arriver à un point de frustration presque douloureux). Le jeune acteur, pas particulièrement doué, mais indéniablement solaire et touchant (et beau comme un DIEU, putain, un vrai miracle), aide aussi à garder un œil sur ses préoccupations plutôt que sur la foire alentours quémandant l'attention, permettant tout de même de traverser ce cirque d'un lyrisme un brin crédible.
Accessoirement, malgré toutes ces réserves, si un cinéma populaire français se voulant politique pouvait avoir cette ambition de hauteur de vue, ce serait déjà bien.
Concernant la copie : je trouve des versions 1.37, j'ai perso vu une version large (1.85), la bonne selon imdb...