Ambiance
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Emmanuel Macron a débuté sa tournée d'entre-deux-tours sur les terres du RN. Dans la ville populaire de Denain, des habitants furieux et inquiets l'ont interpellé sur la réforme des retraites et la vie chère.
A chaque déplacement de campagne, invariablement, la scène se répète. Une soignante suspendue de son emploi à l'hôpital faute d'avoir accepté de se faire vacciner interpelle Emmanuel Macron. A Denain (Nord), lundi, la jeune femme venue avec sa «rage» et sa mère a attendu son tour derrière les grilles de sécurité. Maintenant qu'elle le tient, elle ne compte plus lâcher le candidat. «Vous n'êtes pas le président du peuple, la colère qu'il y a dans la rue depuis trois ans, on n'a jamais vu ça», accuse-t-elle.
Et puis tout y passe, sous l'oeil des gardes du corps impassibles et des jeunes curieux qui filment la scène: la gestion de la crise sanitaire, les gilets jaunes pas écoutés, «les taxes, les taxes, les taxes». «Allez à la pompe à essence. Quand on fait les courses, il reste rien.» Macron rappelle le bouclier énergie mis en place à l'automne pour bloquer les prix. «Et il est où, le ruissellement ?» poursuit la jeune femme sans se démonter. «Je n'ai jamais utilisé ce mot», se défend-il, ajoutant qu'il a baissé les impôts. «Ah oui, l'ISF aussi!» Dans quinze jours, elle ne votera pas pour lui, «c'est certain», mais «glisser un bulletin Le Pen, c'est compliqué».
Engueulades
Sur les 50 mètres qui séparent sa berline de la mairie et les deux heures et demi d'échanges avec les habitants, Macron a pu mesurer le chemin qui reste à parcourir jusqu'au second tour du 24 avril. «Vive Marine!» crie une femme à son arrivée, avant que les «Macron démission!» se confondent aux «Macron président». En tête du premier tour mais en rade de réserves de voix, le chef de l'Etat compte mettre le turbo. Et va chercher son adversaire sur son terrain, en bordure du bassin minier, à Denain et à Carvin, dans les circonscriptions de Sébastien Chenu et de Marine Le Pen, où celle-ci l'a devancé de plus de vingt points dimanche. «Je vais au combat et j'y vais dans les terres les plus difficiles», se targue-t-il, accusant le parti d'extrême droite -qu'il continue de nommer «Front national»- de «se nourrir de la fatalité, des échecs passés, de la désindustrialisation». Fini la tournée des copains, chez Bayrou, Patriat ou Ferrand, le voici en terres hostiles. Après les bains de foule et les échanges sans risques, les face-à-face à portée d'engueulades.
Accompagné de son ministre Gérald Darmanin, élu du Nord, et de la maire (PS) de Denain, Anne-Lise Dufour-Tonini, Macron est servi. Regroupés dans un périmètre de sécurité, les habitants s'inquiètent de la réforme des retraites et de la vie chère, racontent la dèche et les petites pensions. On lui parle de l'allocation adulte handicapé conjugalisée et des jeunes sans perspective. «C'est la misère pour beaucoup de gens», «ici, les gens en bavent», «les gens galèrent ici. Ils voient les prix des fruits et légumes monter. Dans un an, ils finiront pas debout».
«On est en train de crever»
Le Président défend sa promesse de verser automatiquement les aides sociales ou d'indexer les pensions de retraite sur l'inflation dès l'été. Sans changer de cap sur sa réforme des retraites, même s'il insiste sur le minimum retraite à 1100 euros pour une carrière complète et la progressivité du report de l'âge de départ à 65 ans. Parti tard en campagne, il sait qu'un SAV de son projet n'est pas du luxe : «Ce sont les mesures les plus abrasives, caricaturées, qui sont sorties. Il faut expliquer.» Surtout, il laisse entrevoir la possibilité d'amender ses propositions, notamment sur l'écologie et le travail, pour montrer qu'il a reçu le message passé dimanche par les électeurs qui ne l'ont pas choisi: «Pour rassembler, je dois compléter le projet qui est le mien.» Avec les perdants du premier tour, Macron se fait tout miel, envisageant des «échanges» dans les jours à venir. Un jeune homme, au maillot de l'OM, sans être partisan de la candidate RN, lui fait remarquer qu'elle «a réussi à [l']avoir en allant sur ce terreau de pauvreté». «Elle profite de l'inefficacité du système mais je défends mon bilan», n'en démord pas le chef de l'Etat, assénant que Le Pen ne serait «pas la présidente de tous les Français». De l'autre côté de la rue, des habitants, tenus à distance, s'échauffent. «On est en train de crever», crie un homme «aux moutons de la République en marche». Un autre, gilet orange sur le dos, hurle «anti- Macron» avant d'être sévèrement refoulé par la sécurité. Un troisième, repoussé contre le rideau fermé d'un kebab parce qu'il brandissait une pancarte, fulmine : «C'est honteux de débarquer dans une ville aussi pauvre pour faire le show comme ça». «Si les Denaisiens n'avaient pas mis Marine à 41 %, ici, vous croyez qu'il serait là ?» opine Rafika venue avec sa soeur. Electrice de Mélenchon, elle votera Macron au second tour : «On fera barrage, pas le choix. Ils connaissent pas Le Pen, les gens qui disent qu'on pourrait essayer.» Sur le pas de sa boutique, une boulangère avait deux mots à dire au Président. Ou plutôt «deux claques», cingle-t-elle, furieuse «pour [son] pouvoir d'achat». Dimanche, elle a donné sa voix à Mélenchon car il veut augmenter le smic. Le 24 avril, elle votera blanc. Si elle vote. Non, une victoire de Le Pen n'effraie pas la trentenaire, qui trouve «Marine gentille et droite avec les citoyens».