Comment vous est venu le sujet de votre court-métrage Champagne ?
- On avait l’habitude d’aller chaque jour un peu à l’écart des élèves de l’ESRA. On prenait un café… et on discutait de tout et de rien.
- Surtout de rien.
- Et puis on s’est mis à réfléchir à une histoire, inspirés par les comédies de Klapisch et les films qu’on aimait. On voulait rester léger.
- En fait, on s’est dit « quitte à payer une fortune chaque jour pour cette école de m..., autant pondre une histoire et la tourner en fin d’année ».
- On a commencé par s’imposer des contraintes de lieu et de temps.
- Et comme si ça suffisait pas, on a accepté d'avoir une équipe de junkies.
- L’idée était de détourner l’intrigue de Reservoir Dogs, d’y adapter une mise en scène à la Scorsese, et d’y ajouter l’humour des films de Klapisch.
- Au résultat on a une intrigue à la Klapisch, des mouvements de caméra à la Rohmer, et un humour qui ne fait rire que Joannick, notre assistant plateau suicidaire.
Quel était votre plan de travail ? Vous aviez deux jours de tournage, c’est ça ?
- Deux jours de tournage, 24 plans à tourner, dont 16 le premier jour, sous les conseils avisés de notre assistant réalisateur Romuald. Même les pros ont du mal à le faire.
- Finalement ce sera 12 et 12.
Pourquoi ?
- Parce que rien ne se passe jamais comme prévu.
Vous avez eu des problèmes ?
- A peine levés, notre régisseur Erwan nous signale qu’il doit faire le pied de grue pendant une heure devant la FNAC qui est fermée.
- Il devait chercher un œilleton pour la caméra.
- Encore un truc dont on n’avait rien à foutre.
- Ensuite il nous a fallu 45 minutes pour faire 2 kilomètres avant d’arriver sur le lieu de tournage. En voiture je précise.
- La veille c’était torché en 15 minutes. Mais y avait un carambolage ce jour-là... Là-dessus notre directeur de prod, Emmanuel, appellé affectueusement « Manu Prod », nous prévient que le matos aura un retard non négligeable de 3 petites heures. Après tout, une journée ne fait que 24 heures, et il était déjà 9h30, ce qui nous laissait facile 12 heures pleines pour tourner 16 plans.
- Ah, on a eu un début d'incendie dans le garage aussi.
Les conditions de tournage ont été si difficiles que ça ?
- Comme n’importe quel tournage ESRA, je suppose.
- Si ce n’est que sur les autres tournages ESRA, ils n’avaient pas un chien qui s’appelait Harlem.
- Un gros chien. De quelle race déjà ?
- De la race de ceux qui nous cassent les couilles pendant deux jours de tournage. Une boule de poils de 70 kg qui pue à 200 mètres.
- C’était le chien de Romu, qui du reste a presque bouffé un caniche le deuxième jour. Divertissant.
Qui étaient les membres de l’équipe ?
- Il y avait Romu « two times »…
- Parce qu’il répétait chaque chose au moins deux fois.
- Manu Prod…
- Qui avait la varicelle. Comme des cons, on lui a tous fait la bise. Il a passé deux jours à dormir et à regarder des vidéos dans le grenier.
- Manu Chef Op, appellé aussi Manu Casquette…
- Ou encore Manu Casse Couilles. Un surnom qui lui allait comme un gant.
- Muriel la maquilleuse…
- Qui avait un bras cassé. Pratique pour une maquilleuse. Mais, pour des raisons obscures, elle arrivait quand même à exciter tout le monde : Jeff et Fred, les deux acteurs, Romuald, et toi.
- Meuh non, pas moi.
- Arrête...
- Pas du tout ! Elle m’intriguait.
- C'est ça... Enfin quand même, aujourd’hui vous êtes ensemble…
- Il y avait aussi Erwan le régisseur…
- Qui nous a pondu une bouffe du feu de Dieu, avec en extra une compote le deuxième jour, et une crème Mont Blanc dans les derniers plans. De quoi presque me faire oublier mon cancer de la gorge.
- Arnaud H, notre chef électro et story-boarder…
- Tu oublies Caro, notre assistante cadreur. On la surnommait Bob Marley. Elle avait aussi pondu un story-board, d'ailleurs.
- Je n’ai rien utilisé de ses planches. Vraiment inquiétant pour une adulte, ses dessins niveau maternelle. Vraiment bizarre.
- Tu oublies aussi Julien, notre ingé son. Un mec exceptionnel qui quand il parlait, imposait le respect plus que nous. Un vrai pilier. Le problème est qu’il était le seul pilier, et pour faire tenir une baraque sur un pilier…
- Fred le cadreur...
- Un type qui se réveillait vers 16 heures du matin pour s’assoupir dans la minute d’après. Tout le temps fourré avec Caro à 2 kilomètres de la maison pour rouler un pétard. On a passé deux jours à les chercher pour faire la mise au point, le poil… un calvaire.
- Anthony notre perchman…
- Qui était obligé de brandir un balai pour prendre le son, le matos de l’ESRA étant d’une précision diabolique.
- Karine à la déco…
- Qui a bien bossé, rien à dire. Ah si ! En plus elle, elle était sympa.
- Et bien sûr notre scripte, Charles…
- Qui a merveilleusement bossé ses raccords bières et télécommande. On sait maintenant que la préparation et la finition dans le détail, c’est pas son truc. Quelle riche idée ce fut de lui proposer scripte.
- Et puis les comédiens : Jeff dans le rôle de Jeff…
- Ce type là nous avait bluffé au casting et aux répétitions. Il jouait un type qui répond au téléphone comme le ferait De Niro au sommet de son art. Physiquement c’était Depardieu, bâti comme un frigo.
- Le truc c’est qu’après le premier plan de la journée, on a compris. Bouffé par le stress, il n’écoutait plus les indications, surjouait, faisait son petit rototo pendant les prises pour se détendre, avait un rire de phoque cadavérique qu’il arrivait à placer toutes les deux secondes, et la tare supplémentaire d’être un pote de Manu Casse Couilles. Il a aussi rendu sourd l’ingé son en gueulant comme un taré dans le micro à plusieurs reprises…
- Raconte-leur le coup de la porte…
Le coup de la porte ?
- Lors de la première scène, il devait ouvrir une porte, allumer la lumière et dire sa réplique. Simple. Limpide. Enfantin. Eh bien il a fallu 40 répétitions, une demi-douzaine de prises, 3 millions de soupirs désespérés, pour au final ne jamais y arriver. Je lui répétais « porte, bouton, réplique » avant chaque prise, mais rien à faire. Il n'arrivait pas à le faire dans le bon ordre. Problèmes psychomoteurs.
- De toute façon, le casting n’est pas le point fort du film.
Est-ce facile de réaliser à deux ?
- Pour ce qui est de la préparation, ce fut un vrai bonheur. Pendant le tournage, j’étais plus proche des acteurs, et lui plus proche de la technique. On se consultait rapidement de temps en temps, ça fonctionnait bien. A vrai dire j’avais beaucoup moins à faire que lui. Je me suis éclipsé le deuxième jour, vu le carnage, et comprenant qu'il avait la situation bien en main. S’il avait eu un problème, j’aurais été présent pour l’aider.
- Je me souviens que pour le plan dans l’entrée, on a fait le cadre ensemble. On a pris le temps, et ça c’est avéré plutôt génial.
- Je m’en souviens. Je me souviens aussi du moment où Fred m’a annoncé qu’il avait oublié le pantalon de son costume…
- T'étais au courant ?
- Je l’ai envoyé vers toi…
- J’adore ce mec ! Il se casse avec la maquilleuse et me laisse les problèmes à résoudre !
- Tu t’en es bien sorti.
- On a piqué un pantalon du père de Romu, mais il était un peu court. Quand Fred se posait sur le canapé, ça lui faisait un short... Mais bon, pour le coup du cintre, tu es pardonné.
Le coup du cintre ??
- Le deuxième jour au matin, Charles ferme sa voiture avec les clés à l’intérieur. Je vous présente Charles.
- 2 heures de route aller-retour pour aller chercher un double chez lui… Finalement, Pete a bluffé tout le monde en ouvrant la porte à l’aide d’un cintre.
Comment ?
- Je ne tiens pas à en parler.
Votre deuxième jour de tournage s’est-il mieux passé ?
- Globalement ? Non.
- Arnaud a poussé une gueulante, la fatigue a commencé a se faire sentir, personne n’écoutait Romu, et un connard de la municipalité de St-Germain-les-Corbeil a décidé de faire tondre les pelouses publiques ce jour-là.
- Ils font ça une fois par an, le 6 juin…
Le jour des rushes, étiez-vous satisfaits ?
- L’action était censée se dérouler vers 3h00 du matin, or sur l’écran il était midi en plein soleil. L’image était dégueulasse, j’étais sidéré.
- Au moins, la lumière était homogène sur tous les plans.
Le jury a-t-il apprécié le film ?
- Ils ont apprécié l’effort de scénario.
- Mais ils ont plié le reste. Et encore ils ont oublié des trucs.
- J’étais content, ils ont noté que la lumière était à chier.
Quelles sont les choses que vous avez apprises ?
- Que Manu Chef Op, Fred, Caro et Jeff sont des bras cassés. Qu’il faut davantage préparer le travail de lumière, le travail de déco, les costumes, la direction d’acteurs…
- Tout ce qui fait un film, quoi. En un mot, le cinéma.
- C’est con qu’on ait arrêté.