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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:34 
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Pluie de roses sur toi, ô doux rôdeur imprudent !


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NAN, WAVE,
ce topic n'est pas là pour que vous partagiez ce que vous écrivez en cachette entre 3 et 5h du matin, l’œil embué de laisser enfin s'exprimer ce petit cœur qui bat, pour vite le dissimuler au lever du jour sous deux oreillers, honteux et méfiant envers ce monde sans pitié qui n'en ferait qu'une bouchée carnassière.

Non, ce topic existe simplement parce qu'un poème c'est court, que c'est parfaitement adapté aux proportions d'un topic, et que ce serait un peu con (chroniques de recueils mise à part) de polluer le topic "vos dernières lectures" avec ça. En plus la poésie française ça s'étale sur des siècles, c'est hyper riche, y a sûrement plein de trucs peu connus à découvrir (enfin je dis ça, pourquoi pas poésie étrangère aussi, mais je me demande ce qu'il en reste après traduction...)





Je lance ce topic parce que je viens de retomber sur Le verger, un poème érotique d'Anna de Noailles, une fille que je connais pas du tout, du début du siècle apparemment. Je l'avais entendu lire d'une voix suave et suggestive à la radio, c'était drôle et super beau :




Dans le jardin, sucré d’œillets et d’aromates,
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu,
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates,
Chancellent, de rosée et de sève pourvus,

Je viendrai, sous l’azur et la brume flottante,
Ivre du temps vivace et du jour retrouvé ;
Mon cœur se dressera comme le coq qui chante
Insatiablement vers le soleil levé.

L’air chaud sera laiteux sur toute la verdure,
Sur l’effort généreux et prudent des semis,
Sur la salade vive et le buis des bordures,
Sur la cosse qui gonfle et qui s’ouvre à demi ;

La terre labourée où mûrissent les graines
Ondulera, joyeuse et douce, à petits flots,
Heureuse de sentir dans sa chair souterraine
Le destin de la vigne et du froment enclos.

Des brugnons roussiront sur leurs feuilles, collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement ;
La lumière emplira les étroites allées
Sur qui l’ombre des fleurs est comme un vêtement.

Un goût d’éclosion et de choses juteuses
Montera de la courge humide et du melon,
Midi fera flamber l’herbe silencieuse,
Le jour sera tranquille, inépuisable et long.

Et la maison, avec sa toiture d’ardoises,
Laissant sa porte sombre et ses volets ouverts,
Respirera l’odeur des coings et des framboises
Éparse lourdement autour des buissons verts ;

Mon cœur indifférent et doux aura la pente
Du feuillage flexible et plat des haricots
Sur qui l’eau de la nuit se dépose et serpente
Et coule sans troubler son rêve et son repos.

Je serai libre enfin de crainte et d’amertume,
Lasse comme un jardin sur lequel il a plu,
Calme comme l’étang qui luit dans l’aube et fume,
Je ne souffrirai plus, je ne penserai plus,

Je ne saurai plus rien des choses de ce monde,
Des peines de ma vie et de ma nation,
J’écouterai chanter dans mon âme profonde
L’harmonieuse paix des germinations.

Je n’aurai pas d’orgueil, et je serai pareille,
Dans ma candeur nouvelle et ma simplicité,
À mon frère le pampre et ma sœur la groseille
Qui sont la jouissance aimable de l’été ;

Je serai si sensible et si jointe à la terre
Que je pourrai penser avoir connu la mort,
Et me mêler, vivante, au reposant mystère
Qui nourrit et fleurit les plantes par les corps.

Et ce sera très bon et très juste de croire
Que mes yeux ondoyants sont à ce lin pareils,
Et que mon cœur, ardent et lourd, est cette poire
Qui mûrit doucement sa pelure au soleil…



Anna de Noailles, Le cœur innombrable, 1901



Comme d'hab, je préviens : je suis une brêle en littérature, et en poésie plus encore, donc c'est peut-être très bâteau. Voilà, je laisse ouvert pour le reste, au risque du four !


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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:47 
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C'est quoi encore cette merde

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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:48 
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:D


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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:49 
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L'illustration en haut est TENDUE.


Sinon, j'y connais rien, j'en ai très peu lu, mais j'aime bien Abel et Caïn de Baudelaire :

I

Race d'Abel, dors, bois et mange;
Dieu te sourit complaisamment.
Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.
Race d'Abel, ton sacrifice
Flatte le nez du Séraphin!
Race de Caïn, ton supplice
Aura-t-il jamais une fin?
Race d'Abel, vois tes semailles
Et ton bétail venir à bien;
Race de Caïn, tes entrailles
Hurlent la faim comme un vieux chien.
Race d'Abel, chauffe ton ventre
À ton foyer patriarcal;
Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal!
Race d'Abel, aime et pullule!
Ton or fait aussi des petits.
Race de Caïn, coeur qui brûle,
Prends garde à ces grands appétits.
Race d'Abel, tu croîs et broutes
Comme les punaises des bois!
Race de Caïn, sur les routes
Traîne ta famille aux abois.


II

Ah! race d'Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant!
Race de Caïn, ta besogne
N'est pas faite suffisamment;
Race d'Abel, voici ta honte:
Le fer est vaincu par l'épieu!
Race de Caïn, au ciel monte,
Et sur la terre jette Dieu!

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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:51 
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Les matins à Paris, Michel Houellebecq

Citation:
Les matins à Paris, les pics de pollution
Et la guerre en Bosnie qui risque de reprendre
Mais tu trouves un taxi, c'est une satisfaction
Au milieu de la nuit un souffle d'air plus tendre

Te conduit vers le jour,
Le mois d'août se prolonge
Et tu diras bonjour
Dans ton bain, à l'éponge.

Tu as bien fait de prendre
Tes vacances en septembre
Si je n'avais pas d'enfants moi je ferais pareil,
On a parfois autant de journées de soleil.

Le samedi soir est terminé,
Il va falloir éliminer
La nuit tombe sur la résidence,
Il est plus tard que tu ne penses
Les lumières du bar tropical
S'éteignent. On va fermer la salle.

Tu déjeuneras seul
D'un panini saumon
Dans la rue de Choiseul
Et tu trouveras ça bon.


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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:54 
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Je préfère la version Teki Latex.

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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:55 
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Rhaaa, en fait vous en cachiez tous une dans un coin !
Un cœur qui bât, je l'savais !

Film Freak a écrit:
L'illustration en haut est TENDUE.

Et au Louvre s'il vous plaît ! C'est Noony qui avait reporté je crois la critique de Diderot : "C'est une belle et grande omelette d'enfants".

J'ai rien lu de Baudelaire, tiens, je me rends compte en lisant celui que tu as posté. Ça a l'air vénère, comme écriture.

Papadoc a écrit:
Citation:
Et tu trouveras ça bon.

lol, la violence...


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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:57 
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Tom a écrit:
Film Freak a écrit:
L'illustration en haut est TENDUE.

Et au Louvre s'il vous plaît ! C'est Noony qui avait reporté je crois la critique de Diderot : "C'est une belle et grande omelette d'enfants".

Sale. Mais vrai.

Citation:
J'ai rien lu de Baudelaire, tiens, je me rends compte en lisant celui que tu as posté. Ça a l'air vénère, comme écriture.

T'as kiffé c'te fin badass?

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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:59 
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"Fleurs oiseaux fruits,
Je les ai vus, conviés..."


Jacquotet.


Me souviens pas du reste.

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MessagePosté: 10 Avr 2014, 00:59 
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Ouaip ! Quoiqu'à la réflexion, avec ces "race" partout, on dirait du rap.

Citation:
Me souviens pas du reste.

T'es l'année qui l'a eu au bac ?


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MessagePosté: 10 Avr 2014, 01:02 
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Tom a écrit:
Ouaip ! Quoiqu'à la réflexion, avec ces "race" partout, on dirait du rap.

Citation:
Me souviens pas du reste.

T'es l'année qui l'a eu au bac ?

Lui c'est plutôt l'année qui a pas eu son bac.

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MessagePosté: 10 Avr 2014, 01:03 
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Tom a écrit:
T'es l'année qui l'a eu au bac ?

Bac blanc de français ouais.

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MessagePosté: 10 Avr 2014, 01:31 
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J'aime beaucoup ce poème de Goethe "Warum gabst du uns die tiefen Blicke"

Warum gabst du uns die tiefen Blicke,
Unsre Zukunft ahnungsvoll zu schaun,
Unsrer Liebe, unserm Erdenglücke
Wähnend selig nimmer hinzutraun ?
Warum gabst uns, Schicksal, die Gefühle,
Uns einander in das Herz zu sehn,
Um durch all die seltenen Gewühle
Unser wahr Verhältnis auszuspähn ?

Ach, so viele tausend Menschen kennen,
Dumpf sich treibend, kaum ihr eigen Herz,
Schweben zwecklos hin und her und rennen
Hoffnungslos in unversehnem Schmerz ;
Jauchzen wieder, wenn der schnellen Freuden
Unerwart’te Morgenröte tagt.
Nur uns armen liebevollen beiden
Ist das wechselseit’ge Glück versagt,
Uns zu lieben, ohn uns zu verstehen,
In dem andern sehn, was er nie war,
Immer frisch auf Traumglück auszugehen
Und zu schwanken auch in Traumgefahr.

Glücklich, den ein leerer Traum beschäftigt !
Glücklich, dem die Ahnung eitel wär !
Jede Gegenwart und jeder Blick bekräftigt
Traum und Ahndung leider uns noch mehr.
Sag’, was will das Schicksal uns bereiten ?
Sag’, wie band es uns so rein genau ?
Ach, du warst in abgelebten Zeiten
Meine Schwester oder meine Frau ;

Kanntest jeden Zug in meinem Wesen,
Spähtest, wie die reinste Nerve klingt,
Konntest mich mit einem Blicke lesen,
Den so schwer ein sterblich Aug durchdringt.
Tropftest Mäßigung dem heißen Blute,
Richtetest den wilden irren Lauf,
Und in deinen Engelsarmen ruhte
Die zerstörte Brust sich wieder auf ;

Hieltest zauberleicht ihn angebunden
Und vergaukeltest ihm manchen Tag.
Welche Seligkeit glich jenen Wonnestunden,
Da er dankbar dir zu Füßen lag,
Fühlt’ sein Herz an deinem Herzen schwellen,
Fühlte sich in deinem Auge gut,
Alle seine Sinnen sich erhellen
Und beruhigen sein brausend Blut.

Und von allem dem schwebt ein Erinnern
Nur noch um das ungewisse Herz,
Fühlt die alte Wahrheit ewig gleich im Innern,
Und der neue Zustand wird ihm Schmerz.
Und wir scheinen uns nur halb beseelet,
Dämmernd ist um uns der hellste Tag.
Glücklich, daß das Schicksal, das uns quälet,
Uns doch nicht verändern mag.


Poignant.

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"PACIFIC RIM" Massinfect


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MessagePosté: 10 Avr 2014, 01:33 
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Je ne lis pas énormément de Poésie, par flemme je crois, quelques recueils complets par ci par là, comme Les Fleurs du Mal de Baudelaire, Alcools d'Apollinaire, du Ronsard par ci par là, Verlaine, pareil, quelques poèmes en passant. Le reste, c'est en vrac.

Mais un recueil que j'ai découvert au bahut et qui m'a giflé comme jamais, c'est Les Contemplations de Victor Hugo.

En gros, c'est un recueil dédié à sa fille qui est morte noyée, il est divisé en plusieurs grosses parties. Les trois premiers "livres" sont les années précédent le drame, parlant d'Hugo, sa jeunesse, sa vie, ses combats etc., puis arrive le quatrième bouquin qui parle de ses ressentis, de son désespoir concernant la morte de sa fille. Le bouquin 5, chais plus trop ce qu'il dit, et dans le sixième, on a plein de poèmes en mode métaphysique, questionnements sur tout etc.

Ca parle souvent de Dieu, et bien que non croyant, la foi du type me touche, et son écriture est surpuissante.

Le poème que je vais vous mettre ici est un peu long, mais il en vaut la peine, et vous donnera peut être envie de lire le reste.

Ca s'appelle: TROIS ANS APRES

Citation:
Il est temps que je me repose ;
Je suis terrassé par le sort.
Ne me parlez pas d'autre chose
Que des ténèbres où l'on dort !

Que veut-on que je recommence ?
Je ne demande désormais
A la création immense
Qu'un peu de silence et de paix !

Pourquoi m'appelez-vous encore ?
J'ai fait ma tâche et mon devoir.
Qui travaillait avant l'aurore,
Peut s'en aller avant le soir.

A vingt ans, deuil et solitude !
Mes yeux, baissés vers le gazon,
Perdirent la douce habitude
De voir ma mère à la maison.

Elle nous quitta pour la tombe ;
Et vous savez bien qu'aujourd'hui
Je cherche, en cette nuit qui tombe,
Un autre ange qui s'est enfui !

Vous savez que je désespère,
Que ma force en vain se défend,
Et que je souffre comme père,
Moi qui souffris tant comme enfant !

Mon oeuvre n'est pas terminée,
Dites-vous. Comme Adam banni,
Je regarde ma destinée,
Et je vois bien que j'ai fini.

L'humble enfant que Dieu m'a ravie
Rien qu'en m'aimant savait m'aider ;
C'était le bonheur de ma vie
De voir ses yeux me regarder.

Si ce Dieu n'a pas voulu clore
L'oeuvre qu'il me fit commencer,
S'il veut que je travaille encore,
Il n'avait qu'à me la laisser !

Il n'avait qu'à me laisser vivre
Avec ma fille à mes côtés,
Dans cette extase où je m'enivre
De mystérieuses clartés !

Ces clartés, jour d'une autre sphère,
Ô Dieu jaloux, tu nous les vends !
Pourquoi m'as-tu pris la lumière
Que j'avais parmi les vivants ?

As-tu donc pensé, fatal maître,
Qu'à force de te contempler,
Je ne voyais plus ce doux être,
Et qu'il pouvait bien s'en aller ?

T'es-tu dit que l'homme, vaine ombre,
Hélas! perd son humanité
A trop voir cette splendeur sombre
Qu'on appelle la vérité ?

Qu'on peut le frapper sans qu'il souffre,
Que son coeur est mort dans l'ennui,
Et qu'à force de voir le gouffre,
Il n'a plus qu'un abîme en lui ?

Qu'il va, stoïque, où tu l'envoies,
Et que désormais, endurci,
N'ayant plus ici-bas de joies,
Il n'a plus de douleurs aussi ?

As-tu pensé qu'une âme tendre
S'ouvre à toi pour se mieux fermer,
Et que ceux qui veulent comprendre
Finissent par ne plus aimer ?

Ô Dieu ! vraiment, as-tu pu croire
Que je préférais, sous les cieux,
L'effrayant rayon de ta gloire
Aux douces lueurs de ses yeux ?

Si j'avais su tes lois moroses,
Et qu'au même esprit enchanté
Tu ne donnes point ces deux choses,
Le bonheur et la vérité,

Plutôt que de lever tes voiles,
Et de chercher, coeur triste et pur,
A te voir au fond des étoiles,
Ô Dieu sombre d'un monde obscur,

J'eusse aimé mieux, loin de ta face,
Suivre, heureux, un étroit chemin,
Et n'être qu'un homme qui passe
Tenant son enfant par la main !

Maintenant, je veux qu'on me laisse !
J'ai fini ! le sort est vainqueur.
Que vient-on rallumer sans cesse
Dans l'ombre qui m'emplit le coeur ?

Vous qui me parlez, vous me dites
Qu'il faut, rappelant ma raison,
Guider les foules décrépites
Vers les lueurs de l'horizon ;

Qu'à l'heure où les peuples se lèvent
Tout penseur suit un but profond ;
Qu'il se doit à tous ceux qui rêvent,
Qu'il se doit à tous ceux qui vont !

Qu'une âme, qu'un feu pur anime,
Doit hâter, avec sa clarté,
L'épanouissement sublime
De la future humanité ;

Qu'il faut prendre part, coeurs fidèles,
Sans redouter les océans,
Aux fêtes des choses nouvelles,
Aux combats des esprits géants !

Vous voyez des pleurs sur ma joue,
Et vous m'abordez mécontents,
Comme par le bras on secoue
Un homme qui dort trop longtemps.

Mais songez à ce que vous faites !
Hélas! cet ange au front si beau,
Quand vous m'appelez à vos fêtes,
Peut-être a froid dans son tombeau.

Peut-être, livide et pâlie,
Dit-elle dans son lit étroit :
«Est-ce que mon père m'oublie
Et n'est plus là, que j'ai si froid ?»

Quoi! lorsqu'à peine je résiste
Aux choses dont je me souviens,
Quand je suis brisé, las et triste,
Quand je l'entends qui me dit : «Viens !»

Quoi! vous voulez que je souhaite,
Moi, plié par un coup soudain,
La rumeur qui suit le poëte,
Le bruit que fait le paladin!

Vous voulez que j'aspire encore
Aux triomphes doux et dorés !
Que j'annonce aux dormeurs l'aurore !
Que je crie : «Allez ! espérez !»

Vous voulez que, dans la mêlée,
Je rentre ardent parmi les forts,
Les yeux à la voûte étoilée...
-- Oh ! l'herbe épaisse où sont les morts !

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Ah, et c'est pas de la poésie, mais ce même recueil comporte ce qui est pour moi un des trucs les mieux écrits au monde, la préface d'Hugo:

Citation:
Si un auteur pouvait avoir quelque droit d'influer sur la
disposition d'esprit des lecteurs qui ouvrent son livre, l'auteur des
Contemplations se bornerait à dire ceci: Ce livre doit être lu comme
on lirait le livre d'un mort.

Vingt-cinq années sont dans ces deux volumes. Grande mortalis oevi
spatium. L'auteur a laissé, pour ainsi dire, ce livre se faire en
lui. La vie, en filtrant goutte à goutte à travers les événements et
les souffrances, l'a déposé dans son coeur. Ceux qui s'y pencheront
retrouveront leur propre image dans cette eau profonde et triste, qui
s'est lentement amassée là, au fond d'une âme.

Qu'est-ce que les Contemplations? C'est ce qu'on pourrait appeler,
si le mot n'avait quelque prétention, les Mémoires d'une âme.

Ce sont, en effet, toutes les impressions, tous les souvenirs,
toutes les réalités, tous les fantômes vagues, riants ou funèbres, que
peut contenir une conscience, revenus et rappelés, rayon à rayon,
soupir à soupir, et mêlés dans la même nuée sombre. C'est l'existence
humaine sortant de l'énigme du berceau et aboutissant à l'énigme du
cercueil; c'est un esprit qui marche de lueur en lueur en laissant
derrière lui la jeunesse, l'amour, l'illusion, le combat, le
désespoir, et qui s'arrête éperdu -au bord de l'infini-. Cela commence
par un sourire, continue par un sanglot, et finit par un bruit du
clairon de l'abîme.

Une destinée est écrite là jour à jour.

Est-ce donc la vie d'un homme? Oui, et la vie des autres hommes
aussi. Nul de nous n'a l'honneur d'avoir une vie qui soir à lui. Ma
vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis;
la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se
plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous,
leur crie-t-on. Hélas! Quand je vous parle de moi, je vous parle de
vous. Comment ne le sentez-vous pas? Ah! Insensé, qui crois que je ne
suis pas toi!

Ce livre contient, nous le répétons, autant l'individualité du
lecteur que celle de l'auteur. Homo sum. Traverser le tumulte, la
rumeur, le rêve, la lutte, le plaisir, le travail, la douleur, le
silence; se reposer dans le sacrifice, et, là, contempler Dieu;
commencer à Foule et finir à Solitude, n'est-ce pas, les proportions
individuelles réservées, l'histoire de tous?

On ne s'étonnera donc pas de voir, nuance à nuance, ces deux volumes
s'assombrir pour arriver, cependant, à l'azur d'une vie meilleure. La
joie, cette fleur rapide de la jeunesse, s'effeuille page à page dans
le tome premier, qui est l'espérance, et disparaît dans le tome
second, qui est le deuil. Quel deuil? Le vrai, l'unique: la mort; la
perte des êtres chers.

Nous venons de le dire, c'est une âme qui se raconte dans ces deux
volumes: Autrefois, Aujourd'hui. Un abîme les sépare, le tombeau.

V. H.

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