Documentaire qui suit le journaliste Michael Goldsmith sur les traces de Jean-Bédel Bokassa, Empereur de la République Centre-Africaine de 1966 à 1979.
Troisième approche d'Herzog "documentariste" pour moi avec cet essai au premier abord plus politique que les deux autres films du (vaste) genre que j'ai déjà chroniqué ici il y a quelques temps.
Il s'agit donc de la caméra d'Herzog qui suit une sorte de pèlerinage sur les traces de Bokassa en compagnie d'une victime de l'Empereur, un journaliste resté emprisonné un mois (sans lunettes) comme espion. On passe donc d'une cour pavée d'un tribunal en compagnie d'un des anciens avocats de Bokassa à la piscine privée de David Dacko, cousin de Bokassa et président déchu qui passa plus de 3 ans, nu, enchaîné et forcé au silence, en passant par une fête foraine éteinte qui voit un dialogue avec une Martine d'origine vietnamienne, mariée de force à l'époque à un futur condamné à mort pour tentative de putsch contre la personne de Bokassa.
Dans une énième approche de la mégalomanie, Herzog a encore le chic, même au sein d'un format calibré, pour faire rencontrer le spectateur avec, sinon l'inattendu, du moins le décalé. Sa galerie de personnages (plus que de personnes) expose ainsi : un avocat trapu sur de lui transpirant l'objectivisme qui se confronte à son double archivé de l'époque et sa diatribe subjective défendant Bokassa contre une condamnation pour cannibalisme (qui s'avère très certainement juste); Dacko, qui a connu un enfer pendant plus de 4 ans, et qui a toujours le sourire quand il expose l'horreur de sa situation de prisonnier autour d'une piscine privée ou encore ce paysan qui offre une cigarette à un chimpanzé dans l'ancien zoo désaffecté où tourne en rond dans sa cage un vieux lion.
La figure du cercle (ou du retour sur ses pas) se retrouve presque partout avec, d'une part, des allers-retour physiques des personnages qui marchent en parlant et de la narration qui va-et-vient entre début et fin de règne de Bokassa et, d'autre part, avec la caméra d'Herzog, qui nappe quasiment sans arrêt les personnes parlant à l'écran, jusqu'à tomber nez-à-nez face à eux, alors même qu'ils n'ont plus rien à dire. Allié à un montage fictionnalisant chaque partie du film (que ce soit les rencontres ou les archives), la force de cette mise en scène (ou situation) d'Herzog, si elle est ici plus discrète ou tamisée que dans ses autres films, est d'osciller en permanence entre narration fictionnelle ostensible (jump cuts au dialogue continu pour l'exemple le plus simple) et humanisme de l'approche des corps (caméra tremblotante, presque hasardeuse et toujours à l'affut d'un mouvement, même complètement déconnecté de la parole). Cela donne un excellent condensé d'une sincérité dans le développement documentaire qui passe évidemment par de la subjectivité et des contradictions, mais qui laisse au fond libre court à l'esprit du spectateur pour travailler sa propre réflexion. Pour peu, bien sûr, que l'on s'accroche autant à la forme qu'au fond.
Je ne trouve cependant pas que ce soit ce qui est le plus fascinant et réussi dans le film, en fait assez simpliste dans cette approche, mais il me semble correct de le souligner car cela participe à un travail de longue haleine et que c'est rafraichissant de voir une mise en scène intelligente dans sa déjà réflexion autour d'une réflexion qui prend le réel en grippe.
En ce sens, Herzog est un formidable documentariste qui comprend que la position face à la réalité (des événements, des images et des personnes) quand on tient une caméra est avant tout une position définie, qui n'a qu'à être bousculée et sensibiliser le spectateur plutôt que de le conforter dans sa paresse d'observateur est une mission essentielle pour un cinéaste.
Le film ne dévoile pas une progression chronologique, ne dévoile finalement aucun enjeu politique ou même ne prend pas partie pour l'oppresseur ou les oppressés. Non, c'est vraiment un parcours, un chemin chaotique pour arriver non pas à l'exhaustivité historique, mais plutôt à des multiples états de l'être humain, ici discutés autour de Bokassa (et de la réalisation bien sûr).
Et Herzog de nous le rappeler avec ce plan de fin que j'ai mentionné plus haut, où Goldsmith demande à la caméra de conclure le film sur cette image qui l'insupporte. Ce à quoi Herzog répond : "oui, je le promets". Il conclue ainsi la réalité du temps tourné avec la réalité d'après, la factice, celle du montage, avec cette image :
On lui fera dire ce qu'on veut, ce qui importe c'est que le spectateur est amené à ressentir l'exact sentiment du journaliste au bout du rouleau après tant de sentiments ressurgis. Au même moment. C'est à la fois une contrainte fictionnelle, mécanique, et une pure sincérité de l'âme, humaine. Bah c'est bôôô.
Bref, 4/6 et, bordel, ce qu'il m'a fait réfléchir alors même que j'ai pas pris un énorme pied. Herzog est un Dieu putain.