Bon j'ai hésité avec la section télé, mais comme "Masters of Horror" est foutu là...
Au vu de ses trois derniers films (« Le fantôme de l’Opéra », « Le Sang des innocents », « Card Player »), qu’on les défende, ou qu’on les exècre, il est apparu au sujet de Dario Argento un nouveau lieu commun : la proximité de plus en plus proche de sa forme avec celle de la télévision. On se souviendra que ce type de commentaires reviennent également très souvent concernant les deux derniers films d’Alfred Hitchcock (« Frenzy » et « Family Plot »), à la forme plus « ramassée ».
Qu’Argento ne s’y retrouve plus au niveau des moyens (mutation économique du cinéma italien) ni de la culture (marginalisation de plus en plus prégnante du cinéma de « salle » concernant la production de série B de « genre ») explique en partie cette relégation à un format de toute évidence plus fadasse, étroit. Un grand pas vient d’être franchis puisqu’ Argento se retrouve désormais officiellement pilote d’un téléfilm. Certes, le cinéaste a déjà officié dans le registre, dans les années 70/80, mais plus dans une optique à la « Alfred Hitchcock présente »… ici cette œuvre d’ailleurs ironiquement intitulée « Do you like Hitchcock » fait littéralement office de « nouveau film de Dario Argento », et sonne comme un constat pessimiste du coma profond de ce que le maître transalpin doit considérer comme nombre de valeurs du 7ème art.
Après une pathétique séquence « traumatique » qui flirt entre la série télé Highlander et le pire de Jean Rollin, débute un générique amplement significatif : des vues de Turin aux éclairages vifs et colorés mettent en valeur les sculpture et l’architecture, tandis que s’affiche tel un cliché le carton « A film by Dario Argento »… Par la suite y succède la photographie ultra connu de Norman Bates aux portes de son inquiétantes demeure : nous sommes dans la chambre d’un étudiant pleins de photographies et de posters, le même petit garçon que nous avons découvert dans les premières minutes et qui aujourd’hui a l’air de s’ennuyer ferme à taper sur word un mémoire sur l’expressionnisme. Un coup d’œil à la fenêtre, une femme essaye sa lingerie juste en face : presque automatiquement Pino Donnagio nous balance un remake façon superette de son thème magnifique de « Body Double ». Voilà, à peine entrée nous sommes dans un univers du voyeurisme outrageusement érigé système.
Argento n’est pas Brian De Palma… Et sans doute n’y a t-il pas mieux que cette petite chose labellisée « hommage » (quand même une idée d’une pauvreté assez renversante) pour s’en rendre compte. A vraie dire, ce qui fait ici la malédiction du héros, c’est sa fonction de mateur viscéral… A téléfilm système, mateur système, presque inné. Piqué d’une curiosité débordante, victime du « Syndrôme de psyché » si l’on peut dire, il n’observe pas pour combler un vide, mais parce qu’il a ça dans le sang, s’attarder sur la perversité du monde et son aspect caché. Ici, contrairement à « Fenêtre sur Cour », l’immobilisme n’est pas un déclencheur de la nature, mais une conséquence. Giulio est pourri gâté, sa maman débordante l’harcèle de coup de fil et sa copine est jolie comme un cœur… pourtant l’envie se situe à regarder en face sa voisine à l’allure plus Joe d’Amato qui soit. Si le héros regarde un grand cinéma classique et flamboyant, ce qu’il en retranscrit lui-même dans la réalité n’est qu’un vulgaire porno-soft au style aussi raffiné que celui de la séquence d’ouverture, indubitablement le « film de sa vie ». Et vis-à-vis de ça, pas de mauvais goût baroque ni de romantisme à la « Body Double », de vanne sur la masculinité et les images phalliques, ici Giullio dégage une petite médiocrité qui ne le rend pas aussi sympathique qu’un Jake Scully. On a parfois un peu pitié de lui et on s ‘y attache à ce niveau seulement. Cela faisait longtemps qu’un personnage masculin n’avait pas été aussi important chez Argento (hormis ceux ratés de « Non ho sonno »), et l’on retrouve le même aspect un peu narquois de « Ténèbres ». On pourrait même supposer Argento assez sadique a illustrer son impasse : contrairement à ses personnages féminins, pas d’espoir ni d’ouverture à la fin.
Il y a chez le héros argentien un côté narcissique et arrogant dans l’obsession de la vérité. Dans tout cela, Hitchcock et le cinéma sont loin d’être les refuges du voyeur, une compensation d’une insatisfaction sexuelle, mais les simples instruments du voyeurisme de proximité qui suffit amplement à ce niveau. La notion d’œuvres d’art n’existe plus : regarder les films en DVD est désespérément fonctionnel, froid, sans amour. La vie du coup elle-même ne se transforme pas en « art » sous son influence : le cinéma ne transforme plus rien, il est sans réel et puissance, plus que simple gadget. Ce que le héros aimerait sublimer ne s’achève alors plus que dans le minoré : nous sommes à la télévision.
La longue scène centrale qu’on dira du « scooter », outre l’illustration du sadisme évoqué plus haut, est surtout pleine d’ironie et d’absurde puisqu’elle rejoue le pré-générique dans une répétition grotesque auquel la stylisation outrée mise en place sonne paradoxalement comme un total aveu d’impuissance au cinéma. Le « suspens à la Hitchcock » n’y est plus qu’un hochet ridicule presque agité pour susciter la rigolade. Le cinéma dans « Do you like hitchcock », ce n’est plus la salle, c’est le vidéo-club. Encadrant l’ouverture du magasin, « Card Player » est affiché au coté de « Marnie » : deux œuvres sur la frigidité dans un téléfilm sur l’impuissance du cinéma. Petit lieu d’échanges de boîtiers amaray agissant comme pauvres fétiches de films-objets (le très gros plans sur la main rangeant le dvd de « strangers on a Train », et univers ou se tisse l’intrigue et les rebondissements, ou l’on crée un « petit cinéma ».
Ce téléfilm vis-à-vis de tout cela (et ça ne surprendra personne), est du coup l’œuvre la plus « carrée » et linéaire de Dario Argento depuis des lustres, puisqu’une soumission au système de la télévision. Pourtant on sourit souvent, car le cinéaste n’est pas dupe et s’amuse même si un peu cyniquement parfois à faire ce cinéma en miniature très désabusé. Hitchcock n’est plus qu’une référence lointaine, fantomatique à une banalisation esthétique. Il y a toutefois un vrai et beau morceau de cinéma Argentien qui vaut la chandelle, il est situé à la fin du téléfilm quand de manière surprenante le cinéaste choisis, l’espace de quelque minutes, de faire basculer de façon ambiguë et émouvante son intrigue sur roulette du coté du tueur observé… Pourquoi ne pas en avoir fait un film ?