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MessagePosté: 25 Mai 2013, 10:17 
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Aka Cinq jours à Milan, La Cinque Giornate

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Ce film très méconnu est la seule incursion de Dario Argento en dehors du "cinéma de genre", et son échec cinglant a coupé toute velléité de la part du réalisateur de retenter ce saut.
Il mêle comédie et film historique dans un mélange pas forcément facile pour l'exportation, que ce soit le ton de l'humour que le contexte : quand on est très ignorant des "Cinq jours de Milan" et même de l'histoire italienne de l'époque comme je l'étais avant le film, je dirais que ça peut-être assez difficile à suivre dans les différents camps et retournements... Même si l'ensemble en lui même cherche à être vu comme un joyeux bordel anarchiste. Argento y suit un voleur du bas peuple qui parait d'abord un peu débile, déambulant au milieu des différents camps tous plus ou moins ridiculisés, se faisant au passage un compagnon d'infortune pas forcément plus futé.

Très difficile de définir le film qui m'a beaucoup plus parce que ça ne ressemble vraiment à rien d'autre : c'est pas concret dans le propos sur le pouvoir comme du Sollima ou du Petri, on reste aussi toujours dans une certaine forme de cinéma populaire qui ne prétend pas finalement à taquiner Fellini ou Visconti, tout en expérimentant beaucoup. Mais en tout cas tout le monde semble en prendre pour son grade au niveau politique, le film semblant moquer à la fois la démocratie et les pouvoirs autoritaires, et quelques scènes annonçant franchement les berlusconneries. Même si le propos nihiliste et désabusé en est parfois proche, et que ça peut se rapproche peut-être pas mal de ses 30 premières minutes, le film ne prend pas du tout une tournure de grand spectacle comme La Révolution de Léone.

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Ici on ne sait jamais sur quoi va déboucher la prochaine scène, que l'on traverse des barricades dans des rues désertes pour passer à un univers de baronnie d'opérette chatoyant mais décadent, où que l'on pénètre dans des palais abandonnés, et leurs recoins cachés... A de grandes scènes de foule, on peut dans la foulée tout aussi bien finir par se retrouver pendant prés d'un quart d'heure à suivre un accouchement improvisé sous des combles, ou dans une longue beuverie chez une veuve au fort appetit sexuel.

Une série de tableaux presque aléatoires, un véritable chaos où Argento n'abandonne pourtant pas sa maestria formelle, loin de là, avec quelques beaux mouvements circulaires comme celui de la scène d'ouverture, et toujours ces points de vue à la première personne très opératiques. Le passage où le héros se retrouve sous une table, assistant à une véritable danse de chaussures représentant les autres personnages, est même franchement génial. La scène de la mort d'un leader politique, où personne autour de lui n'a entendu la même chose de ses dernières paroles, renvoie également un peu sur un plan plus didactique et bouffon, à la figure récurrente de ces crimes de Giallo où le héros n'a jamais bien "vu" la scène de meurtre...

Les morceaux classiques remixés par Gioigio Gaslini ont l'air de sortir d'une borne d'arcade, très surprenant pour l'époque... C'est un film à la construction vraiment libre, épuisant même sur la fin, où l'on passe du haut en couleur au déprimant assez rapidement (toutefois je dirais que le DVD italien n'a peut-être pas un montage complet car il y a au moins deux ellipses vraiment trops abruptes...). Par contre Carrière et Forman ont du voir ce film avant leur Fantômes de Goya...


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MessagePosté: 25 Mai 2013, 22:12 
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Mr Chow a écrit:
Le passage où le héros se retrouve sous une table, assistant à une véritable danse de chaussures représentant les autres personnages, est même franchement génial.


ça annonce la scène des pieds et du tapis dans "le sang des innocents"?

Mr Chow a écrit:
Par contre Carrière et Forman ont du voir ce film avant leur Fantômes de Goya...


tu crois? ça serait intéressant de poser la question à Forman.
Sinon il faudrait que je le revoie, j'avais plutôt apprécié mais ça fait anomalie dans sa carrière quand même...je me souviens de quelques passages, ceux que tu cites et aussi une exécution sur une place, avec un enfant en larmes...le mot de la fin aussi.

Mr Chow a écrit:
Même si l'ensemble en lui même cherche à être vu comme un joyeux bordel anarchiste. Argento y suit un voleur du bas peuple qui parait d'abord un peu débile, déambulant au milieu des différents camps tous plus ou moins ridiculisés,
Mais en tout cas tout le monde semble en prendre pour son grade au niveau politique, le film semblant moquer à la fois la démocratie et les pouvoirs autoritaires. Même si le propos nihiliste et désabusé en est parfois proche


c'est un peu l'ancêtre européen de "Los Angeles 2013"...il faudra poser la question à Carpenter. :mrgreen:

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MessagePosté: 26 Mai 2013, 00:19 
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mannhunter a écrit:
Mr Chow a écrit:
Le passage où le héros se retrouve sous une table, assistant à une véritable danse de chaussures représentant les autres personnages, est même franchement génial.


ça annonce la scène des pieds et du tapis dans "le sang des innocents"?


J'ai plus pensé à l'ouverture de Profondo Rosso en fait

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mannhunter a écrit:
tu crois? ça serait intéressant de poser la question à Forman. [...] Sinon il faudrait que je le revoie, j'avais plutôt apprécié mais ça fait anomalie dans sa carrière quand même...je me souviens de quelques passages, ceux que tu cites et aussi une exécution sur une place, avec un enfant en larmes...le mot de la fin aussi.


Peut-être plus à Carrière... Le côté bouffon et cynique sur l'Histoire, les régimes qui tombent successivement... au niveau du ton ça m'a fait parfois penser (ou des trucs comme Portman à qui il arrive à peu près tout d'une scène à l'autre)

"Anomalie" je ne trouve pas, je trouve ça très "Argento" en fait, ces inscriptions de villes italiennes comme des logos devant des rideaux en guise d'interlude, ou le passage du "gang bang" où là encore on suit la baronne en traversant quelques rideaux... Au-delà des effets de style, la construction m'apparait très liée au cinéaste. Et on repense à des trucs comme le fait qu'il ait revendiqué l'écriture de l'ouverture d'"Il était une fois dans l'Ouest" :)


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MessagePosté: 30 Sep 2021, 19:06 
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Tiens cela a l'air intéressant et inattendu en effet oui, apparemment proche du climat politique du début de la Chartreuse de Parme d'ailleurs , et même de certaines situations du livre d'après le résumé de Mr Chow

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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MessagePosté: 01 Oct 2021, 07:48 
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Tu viens de m'ôter toute envie de voir le film (trois Stendhal lus, aucun terminé... Je n'ai jamais su à quoi était dû ce rejet de ma part, il faudrait que je retente quand même).

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Que lire cet hiver ?
Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander)
La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)


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MessagePosté: 01 Oct 2021, 08:24 
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Oui la Chartreuse je cale un peu sur la prison, même s'il y a des choses singulières (la communication par code où la langue devient quasiment un corps de substitution, le passage bref avec le révolutionnaire). Cela a plus vieilli que Balzac, qui crée un univers plus ample et dont le style est plus direct. D'une part Stendhal est très fin pour expliquer le climat politique de l'époque, d'autre part il est complètement irréaliste et se rattache au roman gothique voir à Sade (complots, prisons, beaucoup de blessures de sang et de personnages délaissés dès qu'ils meurent, l'importance aussi de la jouissance et du pouvoir qui deviennent la seule identité des personnages, mais sont aussi une seule illusion, personnages féminins dédoublés et ainsi rendus de plus en plus fuyants et évanescents). La description de Milan coincé entre réaction et aspiration politique à la démocratie, et comment Napoléon devient de façon forcée un symbole de la deuxième (mais qui en fait
une réalité perdue que l'on veut recréer, sans l'avoir recherchée la première fois) au début du livre est très bonne.
Le film est peut-être différent (mais ce n'est peut-être pas pour rien qu'Argento a fait le Syndrome de Stendhal, qui est aussi un peu en marge de son cinéma. Il y a aussi une forme de fétichisme sexuel diffus chez Stendhal, avec une opposition particulièrement forte entre vivre les situations et les regarder, finalement une forme de passivité des valeurs, qui peut se rattacher à Argento)

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MessagePosté: 02 Oct 2021, 13:40 
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C'est en effet déroutant et inégal mais intéressant. Un mélange entre des situations politiques assez sophistiquées et bien pensées et un comique un peu poussif et daté, mais qui se rattache au slapstick et possède un certain charme. L'éclairage et la lumière ont un grain télévisuel, mais les mouvements de caméras amples à la grue sont très singuliers et immersifs, c'est un peu la dynamique du Syndrome de Stedhal, entrer dans le cadre et le vivre, l'épuiser, que na farce réussit mieux que le film qui la traite de façon plus conceptuelle. Il y a surtout une manière franche de dégrader et neutraliser la sanguinolence du giallo en humour scatologique (finalement il subit la même logique d'identification historique et de dévaluation dans le présent sue la révolution elle-même). L'accouchement est filmé comme un crime inversé, comique et traumatisant pour le mâle (la repugnance sur les ciseaux qui doivent couper le cordon est à la fois complètement hypocrite au plan esthétique et très franche comme explication psychologique), le hors champ final est quand-même une forme d'autodérison. Et la comtesse nympho (mais non dénuée de courage politique) évoque bien la Sanseverina de Stendhal.


Le film est assez sinueux car il fait un détours par le XIXème siècle pour inclure le moment gauchiste de l'époque dans un regard qui est plutôt celui des comédies sur la collaboration pendant le fascisme (comme la Grande Pagaille, ou La Marche sur Rome). C'est intelligent, les personnages existent malgré la fable, mais l'écart entre la truculence et l'aspect picaresque des situations et le nihilisme politique annule un peu le film (on peut penser au Grand Embouteillage de Comencini, avec deux scenes de viol proches et ayant la même signification politique, cest d'ailleurs le film d'Argento qui est antérieure). On a l'impression que la mélancolie du regard précède la déception politique, et que c'est elle qui devient alors la condition d'existence du collectif politique dans la fiction, que cette déception est en fait la visible politique lui-même, que personne

n'assume.

Apparemment le film aurait bien marché en Italie. Adriano Celentano (chanteur très connu, dont il est difficile de trouver l'équivalent français) est l'un des deux acteurs principaux. Pas mauvais, il a une présence physique qui rappelle un peu celle de Ninetto Davoli dans les Contes de Canterbury (film à la suite duquel semble s'inscrire Argento, mais qui est quand-même plus singulier. On est proche de Dino Risi mais certains plans d'intérieurs, notamment la prison au début, font penser aux Quatre Nuits du Rêveur de Visconti, mais cet univers que Visconti présente comme neuf pour l'individu est présenté comme inhabitable au plan collectif - j'aime bien le rôle centrale du canon, et de sa bouche, identifiée au nom d'Argento au générique : l'idée un peu liée au structuralisme que nommer c'est déjà détruire se rattache ici à une forme de populisme et d'à quoi-bonnisme politique).

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