Au début des années 50, dans le Piémont, au cours d'un baptême, Carlo Rivelli, le fils d'une riche famille d'industriels actifs dans la laine et l'habillement, reçoit un télégramme l'avertissant que son ex-maîtresse se meurt dans un sanatorium alpin. Il se précipite à son chevet. Il se souvient de leur relation, quelques années plus tôt, à Milan, lors de ses années apprentissage. Il était tombé fou amoureux de Rita, en dépit (ou peut-être en partie à cause...) du fait qu'elle ne cachait pas qu'elle venait du demi-monde. La vision de ce film après celle de
Femmes Libres qui le suit de deux ans confirme autant l'intérêt que les limites du cinéma de Vittorio Cottafavi. La mise en scène et le montage sont étonnamment libres et vifs pour l'époque, mais l'intrigue a un aspect systématique, abstrait et trop épuré qui empêche d'adhérer complètement au film. Ainsi la structure en flash-back et le rythme d'ensemble sont très proches de ceux de Femmes Libres, donnant l'impression de la déclinaison d'une même formule. Le film pâtit également du fait que l'acteur qui joue l'homme, Armando Francioli, est quand-même assez terne, et ne laisse pas croire à la passion amoureuse, quand en revanche Barbara Laage apporte au film une vraie densité romanesque, mais qui se révèle brusquement, dans la seconde moitié. Le féminisme du réalisateur est manifeste et méritoire, mais introduit peut-être une forme de sous-écriture à l'égard des rôles secondaires.
Mais comme dit plus haut, après 45 minutes le film devient très prenant, et assume une hybridation surprenante mais bien pensée, entre un mélo féministe, et quelque-chose qui tire plus sur le thriller voire le film de mafieux, liant exploitation sentimentale des femmes et exploitation économique tout court, l'une fonctionnant comme le façade de la seconde, plus cachée et plus inavouable mais structurelle. C'est d'autant plus fort que l'intrigue concerne le nord de l'Italie et Milan, une région qui se pense plus respectable, puissante économiquement et moins exposée à l'illégalisme que le Midi. C'est un aspect qui rend le film de Cottafavi moderne, et encore très incisif. La force du film est sa grande sensibilité au changement d'époque en train de se produire, le basculemelent à la fois conscient et subi entre la vieille t Europe qui pouvait être décrite par un style naturaliste, et le côté plus abstrait, à la fois épuré et violent, de la ville moderne, qui épuise ce naturalisme, et exige paradoxalement un retour vers quelque chose de plus expressioniste et lyrique pour sauver la véracité du psychologisme (même si la force de la mise en scène et des situations est en retrait sur le cinéma d'Antonioni, moins psychologique, plus forte). Ainsi le film montre une sorte de chantage financier, qui détruit tout un univers moral et économique (mais dégage d'autres lieux , d'autres espaces, plus abstrait, comme la rigueur épurée de la chambre funèbre de la fin, qui annule presque la distinctions de classe en la rendant silencieuse mais encore visible : l'injustice sociale est cernée par une imagerie qui est celle du souvenir onirique. La même logique est à l'oeuvre dans la très belle scène, longue et quasi muette, du train Milan-Paris où Barbara Laage s'échappe de son souteneur , en occupant un wagon occupé par des passagers figurant le peuple, qui annule non pas le drame, mais sa désignation) tout en insistant sur la pusilanilité des hommes qui mettent en oeuvre ce chantage . La fadeur de la violence apparaît comme la caractéristique inédite de l'époque filmée, un appauvrissement subi, mais atteignant spontanément la totalité dès lors qu'il se sait être un pouvoir, qui ne peut être pensé qu'au point où fiction et témoignage se confondent devant la caméra.