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MessagePosté: 10 Déc 2017, 14:03 
Prague, de nos jours, Eugène, un homme en milieu de cinquantaine, mal marié, boulot terne de comptable, fait un rêve récurrent où il erre dans Prague en pyjama, gagne au lotto et rencontre une jeune femme qui le confond avec un certain Milan, et avec laquelle finit par avoir une liaison. Certains éléments du rêve (la présence d'un enfant qui assiste aux ébats) et l'envie d'y replonger à sa guise l'incitent à consulter une psychanalyste (assez bizarre car fonctionnant alternativement en mode freudien et jungien)...

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C'est le premier film de Svankmajer que je vois. Je ne sais pas dans quelle mesure il est représentatif de son oeuvre. C'est ici une oeuvre avec des acteurs, en prise de vue réelles (on pourrait presque parler de "prise de vie") dans les gros plans et stop motions dans les plans larges, et des animations qui évoquent techniquement beaucoup Terry Gillian à l'époque des Monty Python.
J'ai trouvé cela extrêmement intéressant, cela m'a beaucoup parlé, bref j'ai aimé. Le regard sur la psychanalyse au cinéma a rarement été aussi fin - et en même temps acerbe et irrévérencieux. C'est là qu'on voit que c'est une discipline venue d'Europe centrale plutôt que de New York ou Paris, elle ici filmée comme une technique raccordée directement au désir, non un mythe sociologique.
Cela installe une sorte de croisement déroutant (et en même temps évident vu le sujet, sur l'inconscient comme interprête du réel, qui est d'autant plus codé qu'il est efficace) entre "l'Antre de la Folie" de Carpenter et les meilleurs Woody Allen. A vrai dire si la première heure du film est excellente, visuellement captivante, dans le déploiement d'un cauchemard lent, la suite est plus confuse, introspective et "molle", même si cela n'est pas gratuit : le film montre un processus foncièrement déceptif, la réduction du fantasme sexuel qui devient la traduction d'un affect aussi traumatisant que banal. L'idée force du film est que c'est la banalité traumatise, qui est horrible. Il parvient finalement autant à séduire par son humour noir grinçant qu'à émouvoir d'une façon imprévue, qui cueille le spectateur à froid
Eugène a été confronté et a refoulé le suicide de sa mère, qui est la femme du rêve qui lui demande de coucher avec lui : c'est lui-même un faux suicidaire, inauthentique, car son envie d'un finir est la reproduction au fanstame d'une autre. Avoir un rapport à la mort est pour lui la même chose qu'avoir un rapport à l'altérité : la mort n'est pas son horizon, mais par essence celui de l'autre.
.

En tout cas le film invite à découvrir d'autres longs de Svankmajer (qui comme de Oliveira, avec lequel il partage une certaine inspiration, même si le traitement est très différent, s'est visiblement épanoui sur le tard).


Dernière édition par Gontrand le 12 Déc 2017, 22:33, édité 1 fois.

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MessagePosté: 10 Déc 2017, 18:47 
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Inscription: 01 Sep 2013, 17:45
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De Švankmajer j'ai d'abord découvert les courts en stop motion et en pâte à modeler, qui m'ont toujours fasciné. Je les ai d'abord vu à la télévision, probablement sur Arte.

Dans ses longs, pas si nombreux, son Alice est une pure merveille, j'en ai un souvenir très marquant.

J'ai le DVD de ce film quelque part, ce Survivre à sa vie, avec un livret, que je n'ai en fait jamais regardé, tu m'incites à le retrouver.

Toute l'animation des pays de l'est est passionnante, Švankmajer est parmi les plus fascinants chez les tchèques, mais il y a toute une scène des années 60 à 80, affichistes, animateurs, etc. Jan Lenica pour ses courts, chez les polonais, pour n'en citer qu'un. J'ai un souvenir impérissable de son Labyrinthe (Labirynt).


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MessagePosté: 10 Déc 2017, 22:44 
Le livret est intéressant, il contient un court mais très beau texte de Švankmajer, ainsi que d'autres citations de Jung et Breton où il essaye de relier le film à une filiation surréaliste, moins intéressantes, car elles tendent à justifier et conformer son imaginaire par rapport à une orthodoxie.

La peur de la vie est une émotion humaine fondamentale. La religion, la créativité, l'amour, le sexe, le cumul d'objets (que l'on élève au rang de "collections" ou abaisse à celui de "réserves"), la quête de célébrité, argent, pouvoir- tels sont les substituts au moyen desquels nous tentons d'étouffer cette peur mortelle. La peur de la vie est bien plus forte que celle de la mort. Voyez la fréquence des meurtres et des suicides - non seulement ceux de la vraie vie, mais aussi ceux que l'on voit tous les jours au cinéma. La peur est le fleuve sombre et souterrain qui coule au plus profond de nous, qui influe sur chaque instant de notre vie, que nous soyons éveillés ou endormis. Si, comme Freud le prétend, la fonction des rêves est de réaliser nous désirs enfouis ou avoués, alors quelque part dans notre être profond le désir humain le plus fondamental doit être constamment réalisé : survivre à sa propre vie.

Je n'ai qu'une connaissance indirecte de l'animation tchèque. Quand j'étais gamin, dans les années 80, la télé belge passait des productions tchèques pour les enfants ("la Petite Taupe" bien-sûr, mais aussi des choses qui me semblaient inspirées de Grimm). La "Planète Interdite" de René Laloux est aussi partiellement liée à l'animation tchèque.

En fait, je me suis intéressé à ce film après avoir vu récemment deux films de Chitilova ("les Petites Marguerites" et "les Fruits du Paradis") en me demandant s'il y avait une filiation, car Chitolova s'apparente aussi (mais de manière latérale) à l'animation, et au surréalisme . Il y a bien une parenté technique (Chitilova est parfois proche du stop motion, de par son montage serré sur des inserts), mais les deux personnalités sont très différentes. Chitilova est à la fois plus poétique et directement politique, car elle donne une représentation de l'utopie (d'une rationnalité propre à la collectivité), échouée et déçue, plus gênante pour le régime (et qui prolonge le point de vue féministe vers un universel). Le film que j'ai vu de Švankmajer (certes beaucoup plus récent) me semble au contraire, radicalement a-utopique, à la fois plus "individualiste" et plus centré sur la sexualité, comme discours à symboliser, anthropologique dans son origine et son contenu mais irréductiblement personnel dans sa signification.

J'avais lu récemment que l'animation gênait moins le régime de Husák que les films en prises de vue réelles.
Je ne connais pas trop l'animation polonaise, mais j'ai vu sur un bonus du DVD d'"Eroica" un court-métrage d'Andrzej Munk en technicolor pêtant (de 1958) sur une petite fille qui erre dans Varsovie, encore en ruine, à la sorte d'un cours de musique . Le film est muet mais bruité *, très différent de ses films, retors dans le contenu, pas si loin du mélange de crudité, de noirceur morose (mais ce désespoir est un processus de rationnalisation et de communication) et d'insubordination vitale du film de Švankmajer.

*Cela me fait penser que "Survivre à sa vie" utilise de manière impressionante une valse de Glazounov comme trame sonore.


Dernière édition par Gontrand le 12 Déc 2017, 22:05, édité 2 fois.

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MessagePosté: 11 Déc 2017, 13:28 
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Inscription: 01 Sep 2013, 17:45
Messages: 533
Il y avait une école tchèque de l'animation, avec ses particularismes techniques, que je rattache à gros traits saillants à l'école polonaise, et hongroise, car ce sont des foyers de productions d'animations merveilleuses jusque dans les années 90, qui se distinguent notamment de l'animation russe.

Oui La planète sauvage de Laloux et Topor a été réalisée en Tchécoslovaquie et porte les marques de ces particularismes techniques d'animation.
(c'est d'autant plus flagrant voyant aussi les courts de Laloux et Topor, Les escargots, Les temps morts)

Quant à Švankmajer et le surréalisme le problème est qu'il fait partie du groupe surréaliste de Prague depuis les années 70, donc on ne peut pas vraiment dénier ce rapport au surréalisme, mais en effet son travail déborde heureusement cette étiquette. Son Alice de 1987 mélange déjà film avec acteurs et animation en stop motion.

Je n'ai encore rien vu de Chytilová donc je ne saurais dire exactement ce qui les distinguerait.


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