De retour de guerre, dans une petite ville cossue du Nord-est des États-Unis, un jeune homme appelé Vincent Bruce (Warren Beatty) se fait engager comme infirmier dans une clinique psychiatrique. On devine qu'il refoule lui-même des failles liées à son passé de vétéran et son histoire familiale. Il remarque vite Mademoiselle Arthur, une patiente érotomane ( Jean Seberg), à la forte personnalité, et douée d'un grand sens artistique, dont un autre patient, le timide, excentrique mais introverti Stephen Evshevsky (Peter Fonda), qui parce qu'il est fou précise comiquement que cela pourrait être un nom juif mais n'en est pas un, est fou amoureux.Je me souviens avoir lu il y a quelques années dans les Cahiers un texte de Jean Seberg, sur sa rencontre avec des malades pendant la préparation du film, qui m'avait beaucoup touché.
Pendant 45 minutes, le temps de l'exposition des personnages et du système-hôpital, le film est vraiment très bon, respectueux, crédible et juste, avec une dimension onirique et cruelle qui rappelle le Grand Maulne voire Blanche Neige de Walser.
Malheureusement, le fait de se placer apparemment du côté des malades contre l'ordre établi devient une forme de paresse d'écriture (la déstructuration du recit étant censée coller automatiquement, et donc hypocritement, à celle, cachée et omniprésente , des personnages - le truc assez bons c'est qu'ils ont l'air presque normal mais se savent malades) qui emmène brutalement le film dans le nawak total, et
in fine aboutit une vision convenue et racoleuse de la schizophrénie qui finit par contredire le propos initial du film. Certains aspects sont horriblement datés (Jean Seberg qui apparaît d'autant plus perverse qu'elle assume sa bisexualité sans honte, l'idée que la psychose se transmet par contact sanguin, créant finalement une atmosphère qui rappelle le regard sur la séropositivité). Les préjugés fonctionnent comme des rebondissements. Le film, pourtant tourné avec des malades, devient de plus en plus invraisemblable (l'infirmier vit pratiquement dans la chambre de sa maîtresse et provoque le suicide de son rival amoureux, stalke sa maîtresse quand elle devient lesbienne, et la medecin-chef lui paye une bière pour le séduire dans un bar à putes : la simple incompétence devient une figure dégradée du sacrifice christique et de l'idiotie dostoievskienne).
La Maison du Docteur Edwardes d'Hitchcock, quoique 20 antérieur, m'a semblé plus juste dans la description de cet univers, et même du transfert psychiatrique, et plus troublant.
Si bien qu'à la fin on se demande pourquoi Robert Rossen a voulu nous raconter cette histoire, qu'il fait dériver vers une parabole kafkaïenne lourde, diluant l'irréductibilité et la violence des situations ( que le malade a le courage de nommer seul, sur ce plan là le film est honnête) dans une sorte de théâtre vague de l'absurde existentiel.
Formellement il veut visiblement (comme Arthur Penn avec Mickey One, qui partage plusieurs points communs avec ce film, dont Beatty et Aram Avakian, ou Jules Dassin à la même époque, avec son film avec Duras et Romy Schneider en Espagne, bien meilleur) créer un pont esthétique voire idéologique entre la Nouvelle Vague et Hollywood. Il a le mérite d'essayer des trucs (comment appeler cela autrement ?) potentiellement intéressants dans le montage, des surimpressions, des freezes, mais cela ne prend pas car l'exécution est plus fade que l'intention. Le jeu de Warren Beatty, dans un numéro de mâle alpha torturé mais dès le début dans la séduction et la domination m'a un peu agacé et semble à contre-emploi (il sera meilleur dans Mickey One). Jean Seberg en revanche est bouleversante et défend son personnage à fond. Elle y met beaucoup d'elle-même, mais en même temps l'objectivise, par une forme de courage sexuel et moral qui touche encore. C'est elle qui a le point de vue fort du film sur le folie. Grande actrice.
Peter Fonda, inattendu en malade autiste, est aussi très bon, tout comme Kim Hunter (le nom ne vous dira rien, mais son visage vous le connaissez sûrement, c'est la maîtresse délaissée dans le Nageur de Frank Perry, autre film proche de celui-ci dans son inspiration), elle aussi très bonne actrice, dans un jeu presque durassien. On retrouve aussi Gene Hackman jeune (à vrai dire Jessica Walter qui joue sa femme et l'ex de Beatty est plus impressionnante).
Film insolite et fustrant, insatisfaisant et en même temps précurseur maladroit d'un changement profond dans le cinéma, mais où les personnages existent quand-même. La première partie vaut quand-même la vision. Robert Rossen (dont la carrière été gâchée par la Chasse aux Sorcières) était malade et allait mourir peu après le film, peut-être que ce début indique ce qu'il aurait pu tourner dans un meilleur contexte.
C'est aussi après le Panfilov un film qui se finit sur un freeze du personnage principal (c'était un des tops de Liam).