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 Sujet du message: Lilith (Robert Rossen, 1964)
MessagePosté: 03 Sep 2019, 22:35 
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De retour de guerre, dans une petite ville cossue du Nord-est des États-Unis, un jeune homme appelé Vincent Bruce (Warren Beatty) se fait engager comme infirmier dans une clinique psychiatrique. On devine qu'il refoule lui-même des failles liées à son passé de vétéran et son histoire familiale. Il remarque vite Mademoiselle Arthur, une patiente érotomane ( Jean Seberg), à la forte personnalité, et douée d'un grand sens artistique, dont un autre patient, le timide, excentrique mais introverti Stephen Evshevsky (Peter Fonda), qui parce qu'il est fou précise comiquement que cela pourrait être un nom juif mais n'en est pas un, est fou amoureux.

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Je me souviens avoir lu il y a quelques années dans les Cahiers un texte de Jean Seberg, sur sa rencontre avec des malades pendant la préparation du film, qui m'avait beaucoup touché.
Pendant 45 minutes, le temps de l'exposition des personnages et du système-hôpital, le film est vraiment très bon, respectueux, crédible et juste, avec une dimension onirique et cruelle qui rappelle le Grand Maulne voire Blanche Neige de Walser.

Malheureusement, le fait de se placer apparemment du côté des malades contre l'ordre établi devient une forme de paresse d'écriture (la déstructuration du recit étant censée coller automatiquement, et donc hypocritement, à celle, cachée et omniprésente , des personnages - le truc assez bons c'est qu'ils ont l'air presque normal mais se savent malades) qui emmène brutalement le film dans le nawak total, et in fine aboutit une vision convenue et racoleuse de la schizophrénie qui finit par contredire le propos initial du film. Certains aspects sont horriblement datés (Jean Seberg qui apparaît d'autant plus perverse qu'elle assume sa bisexualité sans honte, l'idée que la psychose se transmet par contact sanguin, créant finalement une atmosphère qui rappelle le regard sur la séropositivité). Les préjugés fonctionnent comme des rebondissements. Le film, pourtant tourné avec des malades, devient de plus en plus invraisemblable (l'infirmier vit pratiquement dans la chambre de sa maîtresse et provoque le suicide de son rival amoureux, stalke sa maîtresse quand elle devient lesbienne, et la medecin-chef lui paye une bière pour le séduire dans un bar à putes : la simple incompétence devient une figure dégradée du sacrifice christique et de l'idiotie dostoievskienne).
La Maison du Docteur Edwardes d'Hitchcock, quoique 20 antérieur, m'a semblé plus juste dans la description de cet univers, et même du transfert psychiatrique, et plus troublant.
Si bien qu'à la fin on se demande pourquoi Robert Rossen a voulu nous raconter cette histoire, qu'il fait dériver vers une parabole kafkaïenne lourde, diluant l'irréductibilité et la violence des situations ( que le malade a le courage de nommer seul, sur ce plan là le film est honnête) dans une sorte de théâtre vague de l'absurde existentiel.





Formellement il veut visiblement (comme Arthur Penn avec Mickey One, qui partage plusieurs points communs avec ce film, dont Beatty et Aram Avakian, ou Jules Dassin à la même époque, avec son film avec Duras et Romy Schneider en Espagne, bien meilleur) créer un pont esthétique voire idéologique entre la Nouvelle Vague et Hollywood. Il a le mérite d'essayer des trucs (comment appeler cela autrement ?) potentiellement intéressants dans le montage, des surimpressions, des freezes, mais cela ne prend pas car l'exécution est plus fade que l'intention. Le jeu de Warren Beatty, dans un numéro de mâle alpha torturé mais dès le début dans la séduction et la domination m'a un peu agacé et semble à contre-emploi (il sera meilleur dans Mickey One). Jean Seberg en revanche est bouleversante et défend son personnage à fond. Elle y met beaucoup d'elle-même, mais en même temps l'objectivise, par une forme de courage sexuel et moral qui touche encore. C'est elle qui a le point de vue fort du film sur le folie. Grande actrice.
Peter Fonda, inattendu en malade autiste, est aussi très bon, tout comme Kim Hunter (le nom ne vous dira rien, mais son visage vous le connaissez sûrement, c'est la maîtresse délaissée dans le Nageur de Frank Perry, autre film proche de celui-ci dans son inspiration), elle aussi très bonne actrice, dans un jeu presque durassien. On retrouve aussi Gene Hackman jeune (à vrai dire Jessica Walter qui joue sa femme et l'ex de Beatty est plus impressionnante).
Film insolite et fustrant, insatisfaisant et en même temps précurseur maladroit d'un changement profond dans le cinéma, mais où les personnages existent quand-même. La première partie vaut quand-même la vision. Robert Rossen (dont la carrière été gâchée par la Chasse aux Sorcières) était malade et allait mourir peu après le film, peut-être que ce début indique ce qu'il aurait pu tourner dans un meilleur contexte.


C'est aussi après le Panfilov un film qui se finit sur un freeze du personnage principal (c'était un des tops de Liam).

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


Jean-Paul Sartre


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MessagePosté: 05 Sep 2019, 15:38 
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Rossen était très ouvert aux suggestions, aux apports personnels de chacun, si cela était susceptible de servir le film. Il n'hésitait pas à supprimer, par exemple, une phrase de dialogue, ou à la modifier, si elle gênait un acteur. Ainsi, lorsque dans l'avant dernière scène du film, je devais dire à Vincent (Warren Beatty) : « Vous savez ce qui ne va pas avec Lilith ? Je veux posséder tous les hommes du monde. » Nous nous rendons compte, Warren et moi, que quelque chose sonnait faux dans cette réplique. Nous l'avons répétée plusieurs fois, et cela n'allait toujours pas. Alors Warren a eu l'idée de me faire dire : "Vous savez ce qui ne va pas avec Lilith ? Elle veut posséder tous les hommes du monde", et cette manière de parler de moi à la troisième personne, qui allait d'ailleurs dans le sens du personnage, rendit la scène bien meilleure.

Une chose à laquelle Rossen a fait très attention, c'est au respect envers les malades mentaux. Il était littéralement ahuri par la fausseté et la duperie des films pseudo-psychiatriques ou pseudo-psychanalytiques qu'on tourne en Amérique.
Avant le film nous avons donc été plusieurs fois, Rossen, Warren et moi, dans un somptueux établissement pour malades riches aux alentours de Washington, dans un de ces établissements où l’on trouve, ce qui est atroce à dire, « l’élite de la folie ». Nous assistions aux psychodrames, et Rossen me demanda de visiter certaines malades particulières qu'il avait eu l'occasion d'observer.
Au début, les malades se méfiaient un peu de nous, car ils avaient vu « David et Lisa », qu'ils trouvaient un grand mensonge, et ils avaient peur que nous fassions la même chose. ll y avait une femme de quarante ans environ, totalement schizophrène, qui se faisait appeler Rita-Sylvia : si on lui disait « bonjour, Rita » , elle répliquait « je suis Sylvia » et le contraire. En plus de ce dédoublement, elle se prenait aussi pour Dieu ; et elle se plaignait sans cesse du travail que cela lui causait. Mais elle ne savait rien faire que tricoter, et comme elle était Dieu, elle tricotait des coeurs, des poumons, des ovaires, des organes humains. Cette chose merveilleuse, aucun romancier ou cinéaste, je crois, ne pourrait l'inventer.

Rossen m'avait demandé aussi de voir une jeune femme, qui avait été reine de beauté dans son école, et qui marchait parait-il comme un fauve, Elle m'a reçue dans sa chambre, entièrement dissimulée sous ses draps — on voyait qu'elle était nue — y compris le visage. On ne voyait rien d'elle. Visiblement, elle se masturbait. Elle me dit bonjour. Je lui rendis son bonjour, et ajoutais que j'allais partir. Elle me demanda pourquoi. Je lui répondis qu'il m'était impossible et, de parler avec quelqu'un dont je ne pouvais pas voir les yeux. Elle me demanda de rester, puis de revenir la voir. Au moment de partir, elle me fit part de son intention de se lever pour me dire au revoir : et elle se leva , enroulée dans ses draps, la tête cache comme un enfant qui joue, puis elle me tourna le dos et me tendit la main par derrière. Ensuite, elle se recoucha. Je n'ai donc jamais pu voir le façon dont elle marchait.
Lorsqu'à la fin du film Vincent vient m'avouer qu'il est responsable de la mort de Stephen (Peter Fonda) et que je lui dis ne rien cormprendre à ce qu'il raconte, la scène provient directement de l'attitude de cette jeune femme. Je voulais même la tourner: entièrement enfouie sous les draps. Mais Rossen me dit que cela semblerait exagéré.: nous avons trouvé un compromis, et gardé l'idée de la masturbation (clairement indiquée; bien qu'il soit impossible, de faire aux Etats-Unis ce que fait Bergman dans « Le Silence » ). Rossen a vraiment approché ce film d'un point de vue pur, ce qui, dans les conditions américaines est une chose immense.

A la fin du tournage, il était dans un complet état d'épuisement, dans l'état de quelqu'un qui a donné tout ce qu'il pouvait. Et l'affrontement permanent -qui l'opposait à Warren n'a pas arrangé les choses : il voulait même lui faire un procès, et autres: enfantillages... On lui avait souvent reproché: d'être lourd; d'être l'éléphant dans la boutique de porcelaines. « Lilith » au contraire, est un magnifique cristal, si clair et si pur qu'il ne peut que se briser. La folie est souvent sordide, il a su, dans son dernier film, aller au-delà des apparences, vers quelque-chose de très beau, où tous ses malheurs personnels étaient enfouis

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