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MessagePosté: 05 Juin 2017, 22:53 
Constance Petersen (Ingrid Bergman) est une jeune et prometteuse psychiatre et psychanalyste, employée dans la clinique cossue de Green Manor, du Docteur Murchison. Ce dernier est sur le point de prendre sa retraite et est remplacé par le Docteur Edwardes (Gregory Peck), dont elle tombe amoureuse. Celui-ci est cependant impulsif et troublé, et perd ses moyens quand son regard rencontre des tissus ayant un motif de chevron. A vrai dire, il ressemble à un patient plutôt qu'à un thérapeute, ce qui intrigue ses collègues. Constance va essayer d'enquêter sur lui, tout en le protégeant.


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Beau film malade, que j'ai bien aimé, alors que j'ai souvent des problèmes avec Hitchcock. Moins brillant que Notorious (qu'il préfigure), il souffre un peu d'être écartelé entre plusieurs tons : le thriller, le drame romantique (on sent Bergman déjà prête à se donner à fond) et la comédie : le personnage du maître de Bergman, le Dr Brulov, joué par Michael Tchekhov, clône de Freud (et neveu de Tchékov), est absolument hilarant, et ses dialogues brillants. Le film est aussi un avatar indirect et posthume du screwball.
Le coup du bromure et du fondu au blanc sur le verre de lait, de la mort du frère ou du suicide en vue subjective, sont des plans anthologiques, créant quelque chose de spécifique à Hitchcock, impossibles à rattacher à un courant et impossibles à refaire.
Ce qui est frappant, c'est que le film refoule complètement (quoiqu'elle soit perceptible dans une bannière pour des emprunts qui domine la gare de Grand Central, et que ce refoulement soit aussi celui du personnage de Peck) la seconde guerre mondiale alors en cours, alors que cela sera central dans Notorious (où la relation amoureuse entre Bergman avec Grant est très proche de celle qui la lie avec Peck) , comme si Hitchcock avait voulu faire deux fois le même film, filmer le même sentiment, d'abord sur un volet anthropologique, individuel et freudien (beaucoup de dialogues commentent de manière pédagogique la psychanalyse : le faux coupable est bien sûr le vrai névrosé - et la domination patriarcale est la méconnaissance de ce qu'est un cas borderline) puis sur un angle politique, collectif et structuraliste (dans Notorious il ne s'agîra pas de reconstruire une histoire cachée comme ici, mais de trouver les signes qui détonnent dans une série: les bouteilles avec une mauvaise étiquette, les tasse de café sur lesquelles le regard s'appensantit trop lentement, les invités qui tranchent la la roideur du cénacle d'ancien nazi, la différence entre la l'ennui et la mort dans le regard de Bergman, et de les rapporter non pas à un sujet, comme ici, mais à une institution et un groupe).

Bien aimé la scène du rêve conçue avec Dali. Elle est à la fois spectaculaire et décevante (racontée en flashback, quand le personnage de Peck a déjà commencé à sortir de son hallucination, elle n'a pas beaucoup d'enjeu dramatique), mais cela correspond bien au propos du film (filmer l'anamnèse, et à travers la psychanalyse une situation où l'imaginaire devient paradoxalement moins chargé de sens et de passion que la réalité).
Des petites incohérences quand-même dans la manière dont le vrai coupable est démasqué (ou pas, car il se troue tout seul, indépendamment du récit, navré et ennuyé que l'on ne reconnaisse pas sa manipulation, car il l'a trop réussie, comme les vrais méchants).

Très belle B.O. de Miklós Rózs

Les fétichistes de l'oeil comme des gares sont servis.


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MessagePosté: 10 Juin 2017, 23:28 
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Inscription: 30 Déc 2015, 16:00
Messages: 8292
Film que j'avais redécouvert l'an dernier, je ne me souvenais quasiment de rien hormis (partiellement) la séquence onirique de Dali. J'ai plutôt bien apprécié aussi, ça n'est pas le meilleur Hitchcock, loin s'en faut, le film ayant deux problèmes majeurs. D'une, un acteur principal (Peck) qui n'est franchement pas terrible, d'autre part, comme beaucoup de film de cette époque, la psychanalyse était un sujet à la mode mais traité de manière beaucoup trop simpliste et caricaturale (surtout dans le jeu de l'acteur refoulant un quelconque passé traumatique) pour que les ressorts dramatiques marchent vraiment. Ça va du pire avec Hantise de Cukor (bien que certains adorent ce film, j'y trouve Jourdan et Bergman atroces) au meilleur, qui serait pour moi Le Secret derrière la porte de Lang.


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MessagePosté: 11 Juin 2017, 09:49 
Peck est en effet timoré , mais l'abbatage de Bergman compense. Cette fadeur est aussi liée à son personnage, le film refusant d'en faire le psychopathe qu'il croit lui-même être.
Je ne suis pas sûr que le film soit si naïf que cela vis à vis de la psychanalyse. Il y a peut être même un côté Deleuze-Guattari et une méfiance de l'écart entre la psychanalyse comme théorie potentiellement émancipatrice et son application qui renforce l'ordre établi, voire la conscience d'une certaine hypocrisie liée au statut social moyen des patients car après tout
les psys institutionnels de la clinique sont les meurtriers d'un medecin apparemment plus hérétique m,
qui part en vacances de ski avec ses patients, (personne ne le defend, même mort, sa mort est presqu'un soulagement pour tous) , démasqués indirectement par le psychanalyste de contrôle de Bergman qui sort des trucs comme "les maris de Constance sont un peu mes maris". La description des patients de la clinique est aussi bien gratinée. Mais surtout, on sent que Bergman souffre de l'attitude patriarcale de ses pairs mais n'a pas les outils théoriques pour le penser ou plutôt le communiquer. Le film est l'histoire de sa fuite puis de son retour professionnel finalement. Elle ne pense pas la domination qu'elle subit encore, une fois qu'elle a pu maîtriser sa sexualité et sa carrière , et c'est cet impensé dont le film raconte l'histoire. Finalement tragique car elle a besoin d'une situation à la fois caricaturalement romanesque et inexplicable, mais dont le décodage doit conforter son intuition immediate, pour aimer sans crainte. Le film enonce aussi que la reconnaissance de la personne souffrante doit en fait précéder l'intérêt de celui qui l'aime pour que 'cela marche'. Alors que cette reconnaissance est plutôt un produit de la cure dans la vision freudienne. Le film est finalement plus fin et décapant sur la psychanalyse que le Cronenberg récent sur Spielrein.


Dernière édition par Gontrand le 11 Juin 2017, 10:30, édité 12 fois.

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MessagePosté: 11 Juin 2017, 09:54 
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Inscription: 07 Oct 2005, 10:23
Messages: 8088
Gontrand a écrit:

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Je n'aime pas beaucoup ce film, mais ce trauma...


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MessagePosté: 11 Juin 2017, 10:13 
Oui c'est plus subtil qu'un simple refoulement à lever qui expliquerait tout,
le personnage de Peck a deux traumas, l'un cachant l'autre, et le plus grave étant liquidé en une seconde, de manière subreptice.


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MessagePosté: 11 Juin 2017, 10:33 
Mr Chow a écrit:
Gontrand a écrit:

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Je n'aime pas beaucoup ce film, mais ce trauma...


L'ombre de la boîte aux lettres est une main pointant un revolver sur la tempe du frère...celle à gauche de la pente n'est pas mal non plus (et les objets de la rue n'ont mystérieusement plus d'ombre).


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MessagePosté: 11 Juin 2017, 11:02 
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Inscription: 01 Sep 2013, 17:45
Messages: 533
Je serais assez d'accord pour considérer que le film appartient à cette vague hollywoodienne sur la psychanalyse, et que le discours en est en quelque sorte caricatural, dans son rapport à la clinique psychanalytique. Après en effet rien n'empêche de trouver de la richesse dans le traitement des interactions au sein de cette clinique, dans le jeu (plus retenu que dans Notorious(Les enchainés)) d'Ingrid Bergman, etc. Et Hitchcock comme souvent donne de quoi imaginer.

L'exemple du Secret derrière la porte de Lang est bon, dans cette vague sur la psychanalyse réduite à une note d'intention grossière, pas du tout le meilleur film de sa période hollywoodienne, ni de ses films noirs, je lui préfère par exemple House by the river, le suivant.

Juste pour noter comment les films d'Hitchcock peuvent être pris par paire, en effet, via le couplage Spellbound / Notorious, paire matricielle, paire par actrice. Je ferai un seul rapprochement où l'ordre chronologique est inversé, avec Joan Fontaine, entre le grand succès et film magnifique Rebecca, et le film "malade" Suspicion(Soupçons). Règle de trois de l'empoisonnement imaginaire ou réel entre Suspicion et Notorious, règle de trois de la figure tutélaire à remplacer, à occuper alors qu'elle est morte, et trompeuse, du psychanalyste dans Spellbound, de Rebecca, étouffants.


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