En 1616, la domination espagnole s'exerce moins sévèrement en Flandres. Alors qu'ils préparent leur kermesse, les habitants apprennent la venue d'une délégation menée par le duc Olivares. Le bourgmestre, traumatisé par les pillages et violences subies sous l'occupation, se fait passer pour mort. Son épouse, révoltée par sa couardise, rassemble les femmes sur la place du bourg... La vision du film aujourd'hui est assez troublante, quand on sait qu'on est à moins de cinq ans de la collaboration - même si, apparemment, c'est surtout le portrait métaphorique des pays flamands, "trop facilement" occupés par l'Allemagne lors de la première guerre mondiale, qui fâcha à l'époque. On peut y rajouter les origines belges de Feyder, les filiations picturales flamandes évidentes dans la représentation du peuple... Quand bien même, celui-ci reste dépeint de façon méchamment gauloise. Une réplique, lâchée par une femme délaissée et en pleurs, dans la dernière partie du film, en résume bien l'idée :
"Les Espagnols n'ont pas fait ce qu'ils ont dit ! Ils devaient tout saccager, s'attaquer aux femmes, et j'ai attendu toute la journée !". C'est que l'envahisseur, résumé dans un premier flash-foward fantasmé où la faim, la mort et la torture le disputent déjà au viol, est l'occasion d'une purge sociale : comme un carnaval, l'évènement chamboule la hiérarchie et les frontières, notamment homme-femmes, et ouvre la porte à une grand défoulement grivois. Le chaos est désiré.
Pour incarner cette fièvre, Feyder fait le choix peu heureux du vaudeville : plus que la pulsion défoulée, c'est la farce qui l'intéresse, c'est à dire les conventions sociales qu'on continue à jouer en riant par-dessus, pour la forme, sans même songer à tromper qui que ce soit. Au-delà de donner à son film entier l'allure d'une pièce de boulevard (d'ailleurs pas très drôle, parfois même ennuyeuse), tout y devient du coup un peu trop vite trivial, factice, théâtre entendu : ce ne sont plus seulement les conventions qui sont parodiées, les enjeux eux-même paraissent n'être plus qu'une blague (l'histoire d'amour des jeunes, par exemple, regardée avec une distance amusée qui ridiculise et relativise leur passion, quand bien même on l'approuve sur le papier). Ce n'est certes pas un parti-pris incohérent : c'est tout une imagerie des fêtes médiévales qu'on déroule, celle d'un peuple ivre et grivois qui va avec, sa satire des religieux et des puissants comprise... Il semble logique de trouver une forme populaire comme le vaudeville au bout de la route, qui moque jusqu'aux souffrances de la guerre. Mais le film ne remue du coup que très moyennement son spectateur, rien n'y étant réellement pris au sérieux, et la belle amertume qui vient en quelques touches discrètes tempérer le final (celle de la ville retournant à son morne quotidien et à son ordre, celle de la blessure terrible qu'on devine soudain chez cette femme) n'approfondit que trop tardivement cette farandole légère.
Le film n'a pas une allure anecdotique pour autant : si le ton est celui du théâtre de boulevard, le film n'en a pas les habits. Feyder bâtit une cité à la topographie motivante, idéalisant une communauté gueulante et brouillonne, mais soudée. Ville grouillante, vivante, mais surtout sans cesse reconfigurée (la vie qui échange et bouge sur le marché, la place qui se vide des hommes, se remplit des femmes...) : le terrain de jeu est passionnant, et il l'investit bien. Mais comme pour
Visages d'enfants, si je continue à trouver Feyder plutôt doué, son film ne m'atteint pas des masses.
Concernant le DVD (Les films de collectionneurs) : pas mal, le grain est un peu lourd et ça manque de piqué, mais ça passe.