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 Sujet du message: Eureka (Lisandro Alonso, 2023)
MessagePosté: 03 Mar 2024, 11:15 
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Alaina est accablée par son travail d’officier de police dans la Réserve de Pine Ridge. Elle décide de ne plus répondre à sa radio.

Sa nièce, Sadie, attend son retour pendant une longue nuit, en vain. Sadie, triste, décide d’entamer son voyage avec l’aide de son grand-père. Elle s’envole dans le temps et l’espace vers l’Amérique du Sud. Elle ne regardera plus de western en noir et blanc, qui ne la représentent pas.

Tout lui semble différent quand elle commence à percevoir les rêves d’autres indiens qui habitent dans la forêt. Ses conclusions sont incertaines…

Les oiseaux ne parlent pas aux humains, mais si seulement nous pouvions les comprendre, ils auraient sans doute quelques vérités à nous transmettre.


Double acte manqué donc que d'avoir relégué dans la sélection Cannes Premières deux des films les plus stimulants de l'année dernière, Fermer les yeux d'Erice et Eureka de Lisandro Alonso, d'autant que l'Amérique du Sud (et la langue espagnole) était totalement absente de la sélection officielle.

Mon année 2023 avait été marquée par Trenque Lauquen, l'année 2024 la sera certainement par un nouveau film argentin, d'un auteur dont je n'ai pour l'instant vu que son précédent film mais dont il me tarde dorénavant de découvrir le reste de sa filmographie. Et force est de constater que rien ne ressemble plus à un film sud américain qu'un autre film sud américain (quand bien même j'ai vu, avec raison, des ponts être fait avec Weerasethakul). Personnellement j'ai beaucoup pensé au dernier Lucrecia Martel (Zama), ou encore aux films de Ciro Guerra, qui convoque une même suspension d'incrédulité. Mais le fait est également que tout ce à quoi ce film peut-être comparé semble timide et sage en comparaison.

Pourtant le film débute plutôt mollement, en mode production A24 avec son format 4/3 et son noir et blanc léché. Viggo Mortensen semble tout droit issu de Jauja (sauf que de la Patagonie il s'est propulsé dans l'Ouest américain), le ton est goguenard, et on se demande ce que Chiara Mastroianni fout là. Jusqu'à ce qu'intervienne une première rupture radicale, et le film de commencer à se déplier. Et c'est là que l'on peut apprécier toute l'ambition et la radicalité d'Eureka, Alonso ne transigeant sur rien, durée de certaines scènes dilatée au-delà de la raison, écheveau scénaristique extrêmement lâche (rien ne semble relier les différentes parties entre elles, au-delà de quelques détails récurrents, le caméo de Mastroianni dans la seconde, la redondance du nombre 974 ou de l’appellation El Coronel). La seconde partie est probablement celle qui pousse l'expérience le plus loin, vécue au rythme d'une nuit de vadrouille passablement ennuyeuse dans une réserve indienne, rythmée par les appels aux standards de la police.

Et si l'on reste un temps dubitatif devant ce qui nous est montré, on finit par progressivement recoller les morceaux de ce puzzle américain. Parce que l'ambition d'Alonso n'est pas moins que, au travers de quelques faits saillants, de synthétiser l'histoire du continent américain, ou au moins celle de ses populations originelles, invisibilisées, éradiquées, parquées. De l'Ouest américain au XIXème siècle au Brésil des années 70, la répétition d'un même schéma, d'une même violence, d'une même domination des peuples autochtones. Et pour mieux la représenter Alonso d'user d'une même élusion, de soustraire à notre vue leur éradication (idée absolument splendide que ce plan du standardiste de dos dans la seconde partie, dont les appels restent désespérément sans réponses). Il ne reste alors à ses peuples qu'à se retourner vers leur propre croyance, un monde onirique dans lequel seul ils ont l'espoir de perdurer. Halluciné et hallucinant.


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MessagePosté: 03 Mar 2024, 12:06 
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Antichrist
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Lohmann a tout dit. Le personnage de la fillette de la seconde partie m'a serré le coeur comme rarement, je pense encore à sa solitude parfois.

Sinon c'est le chef op d'Apichatpong.


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MessagePosté: 03 Mar 2024, 12:07 
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Karloff a écrit:
Le personnage de la fillette de la seconde partie m'a serré le coeur comme rarement, je pense encore à sa solide parfois.

Sadie Lapointe. Elle est absolument extraordinaire.


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MessagePosté: 06 Mar 2024, 15:44 
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Grand film sans cesse passionnant que ce soit dans son propos évident sur les oubliés de l'Amérique ou que ce soit dans son projet esthétique de "slow cinema" très maîtrisé. La première partie surprend pas mal en rejouant un Jauja presque parodique même si plutôt splendide et dont la décadence de la ville est impressionnante (et m'a rappelé ma lecture récente de Méridien de sang de Cormac McCarthy). Dans cette partie (qui débute avec le chant d'un amérindien au désert), les ivrognes dépravés sont les blancs, qui seront remplacés dans la seconde partie par les indiens Oglala de la réserve de Pine Ridge. Comme un passage de relai qui déjà explique beaucoup de choses sur la contamination non seulement d'un espace esthétique mais bien plus profondément et tragiquement d'une culture (l'argent, l'alcool, la drogue) sur une autre. Tout le film fonctionne de cette contamination d'ailleurs dans un transvasement spatio/temporel qui revient peu à peu aux origines.

J'ai été d'abord surpris par cette première partie, étonnement narrative et rythmée (et que je trouve vraiment réussie dans sa violente noirceur), mais le second mouvement retrouve ces atours de slow cinema aussi précieux qu'exigeant. Le film s'enfonce alors dans cette langueur ouateuse d'une nuit sans fin où se répète inlassablement les mêmes injonctions par radio interposée et où se joue une espèce d'étalage du désespoir d'un peuple qui semble n'avoir plus rien à quoi se raccrocher à part la boisson et la violence, dans un espace vide et visuellement très noir d'une nuit glaciale qui semble ne jamais vouloir finir. Là se jouera pour la première fois, le motif du film qui sera également sa conclusion, la disparition. Le personnage féminin de la policière, accablée semble-t-il par la répétitivité de son travail et la misère de sa communauté disparaît purement et simplement. C'est aussi ce qui donne au film ce côté "ensommeillé" comme un film pas vraiment vécu mais plus simplement rêvé (toutes la troisième partie qui nous montre une tribu où le rêve est une espèce de ciment social), toujours très flottant (j'adore dans la troisième partie cette poursuite dans la jungle où l'on pense que deux hommes poursuivent le personnage principal mais qu'en fait non, ils le dépassent et, eux aussi, disparaissent).

La scène pivot, cette visite chez le grand-père et ce plan très long sur la prise de la potion est absolument bouleversante. L'actrice porte sur son visage toute l'affliction de son peuple et cette transformation en pélican (je crois) est superbe en ce qu'elle libère d'un coup son espace vitale en lui autorisant enfin à sortir de la réserve.

La dernière partie, visuellement très forte et qui revient non seulement à l'origine presque ontologique (la tribu coupée du monde qui vit en pleine forêt) mais également à l'origine du cinéma de Lisandro Alonso lui-même rejouant Los Muertos son second film qui plongeait un personnage de plus en plus profondément dans la jungle (pas vu son premier film La libertad, j'aimerais beaucoup). Là le film se fait très lent (cet incroyable plan sur le train qui passe, incroyable symbole rectiligne de la frontière entre les blancs et les autres, où je me suis brièvement endormi et au réveil le plan n'était toujours pas terminé) et toute la fin très Weerasethakul nous montre un personnage s'enfoncer dans un sommeil de plus en plus profond jusqu'à là encore mystérieusement disparaître. Toute la clef du film semble être dans la parole du grand-père "le temps n'existe pas, c'est une fiction inventée par les blancs".

Un film sur lequel on a envie de revenir, qui au sein d'un système narratif finalement assez simple fourmille de détails obscurs et de signes (la répétition de certains chiffres par exemple). Du grand cinéma aussi sensoriel que signifiant qui ne cesse de résonner et d'interroger.

5/6

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MessagePosté: 06 Mar 2024, 15:54 
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Et bien voilà, ça valait le coup d'attendre. :D

Très bonne remarque sur cette espèce de contamination du mal blanc vers les peuples autochtones. Par contre je ne pense pas qu'il s'agisse d'un pélican, les pattes sont beaucoup trop longues (j'ai pensé à un héron, mais je pense surtout que c'est un animal mythologique). Pour la disparition, elle se joue déjà à la fin du premier segment
On ne voit pas la suite du film, qui s'arrête lorsque Mortensen et sa fille se mettent en jouent, et ils semblent inéluctable qu'ils se tuent tous les deux, mais Alonso ne nous le montrera pas.


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MessagePosté: 06 Mar 2024, 16:16 
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Il men tente pas mal celui-là. Pas sûr que ça sorte en Belgique, par contre. :|

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MessagePosté: 06 Mar 2024, 16:21 
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Lohmann a écrit:
Et bien voilà, ça valait le coup d'attendre. :D


Merci mais j'ai franchement l'impression d'à peine gratter la surface.

Lohmann a écrit:
Par contre je ne pense pas qu'il s'agisse d'un pélican, les pattes sont beaucoup trop longues (j'ai pensé à un héron, mais je pense surtout que c'est un animal mythologique).


C'est vrai il marche à la fin. Curieux si c'est un animal en CGI j'ai vraiment eu l'impression que c'était un vrai oiseau.

Lohmann a écrit:
Pour la disparition, elle se joue déjà à la fin du premier segment
On ne voit pas la suite du film, qui s'arrête lorsque Mortensen et sa fille se mettent en jouent, et ils semblent inéluctable qu'ils se tuent tous les deux, mais Alonso ne nous le montrera pas.


Oui très vrai.

Sinon je crois avoir préféré Jauja que j'adore vraiment. J'aimerais revoir Los Muertos qui m'avait fait forte impression et j'avais beaucoup aimé Liverpool malgré un aspect vraiment exigeant dans la lenteur. Par contre souvenir d'un pote qui avait vu Fantasma à Cannes et qui me l'avait décrit comme le pire film vu de sa vie :mrgreen: (c'est l'errance d'un mec dans un cinéma pendant 1h30 je crois).

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Dernière édition par Art Core le 06 Mar 2024, 16:23, édité 1 fois.

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MessagePosté: 06 Mar 2024, 16:23 
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Art Core a écrit:
C'est vrai il marche à la fin. Curieux si c'est un animal en CGI j'ai vraiment eu l'impression que c'était un vrai oiseau.

Je l'ai trouvé bluffant de réalisme, mais je suis à peu près sûr que ce sont des CGI.


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MessagePosté: 06 Mar 2024, 16:23 
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Arnotte a écrit:
Il men tente pas mal celui-là. Pas sûr que ça sorte en Belgique, par contre. :|

Fait le chemin inverse de Bob et viens le voir à Paris :D


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MessagePosté: 06 Mar 2024, 16:25 
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Déjà à Paris il est que dans deux salles ça m'a surpris je m'attendais à un peu plus quand même.

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MessagePosté: 06 Mar 2024, 16:26 
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Art Core a écrit:
Par contre souvenir d'un pote qui avait vu Fantasma à Cannes et qui me l'avait décrit comme le pire film vu de sa vie :mrgreen: (c'est l'errance d'un mec dans un cinéma pendant 1h30 je crois).

Mon film préféré de l'an passé c'est 3 heures sur la banquette arrière d'une Hyundai, je suis bon pour à peu près tout. J'ai nettement préféré celui-ci à Jauja, mais c'était le premier film que je voyais de lui aussi. En tout cas je veux rattraper tous les précédents.


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MessagePosté: 06 Mar 2024, 16:26 
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Art Core a écrit:
Déjà à Paris il est que dans deux salles ça m'a surpris je m'attendais à un peu plus quand même.

Clairement, mais j'imagine que son nom n'est pas encore assez porteur (espérons qu'il le soit plus par la suite).


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MessagePosté: 06 Mar 2024, 19:08 
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D'où l'importance d'une place en compétition à Cannes pour ce type de film. Beau texte Art Core, tu m'as permis de mieux comprendre cette première partie (que j'ai vu deux fois consécutivement, car j'ai vu le film chez le distrib et deux gars sont arrivés alors que j'étais à la fin du premier segment...). Je vais essayer de voir O'Fantasma, le seul que je n'ai pas vu. Los Muertos reste sans doute mon préféré, alors que Liverpool j'avais subi (souvenir que je n'avais pas mangé de la journée à Cannes et d'une séance à 17h, au balcon)...


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MessagePosté: 06 Mar 2024, 19:12 
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En tout cas, ce forum est le seul endroit où l'on parle d'un des films les plus importants de ce début d'année.


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MessagePosté: 06 Mar 2024, 19:15 
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Le seul peut être pas, mais je ne vois pas grand chose passer dans mon fil Twitter (excepté Marin Gérard qui a rappelé que c’est son film préféré de Cannes 2023).


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