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MessagePosté: 09 Juin 2013, 01:16 
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Un portrait de Paris et du cosmopolitisme de ses habitants, qui se transforme progressivement et de manière étonnante en oeuvre humaniste et universaliste. Les interviews systématiques de Parisiens de tous âges et couches sociales sont menés patiemment par les "enquêteurs", qui orientent intelligemment le discours des interrogés en s'adaptant à leur langage et en rebondissant sur ce qui est important à leurs yeux, sur ce qui varie d'un individu à l'autre mais qui a toujours un fond familier, une résonnance profondément humaine qui relie. La caméra, elle, resserre le cadre, tourne autour du personnage ainsi dépeint, le prend en contre-plongée, puis en plongée, en totale adaptation avec le sujet qui parle. Ce qui fait que du film semble jaillir en permanence la vie entre l'état brut et raffiné, dans le sens où tout paraît à la fois spontané et maîtrisé, comme s'il y avait un travail complice d'improvisateurs, d'équilibristes, entre les cinéastes et les interviewés.

A tout cela, le film donne une cohésion bien plus audacieuse que la simple captation de l'esprit d'une époque et d'une ville qui, déjà, aurait été admirable. Les questions - notamment celle, qui vire à l'obsession, de savoir si les personnes s'intéressent aux événements de l'actualité, à la politique -, les cadrages, le montage, s'attachent à relier les individus aux causes et aux organisations qui les pousse à s'extraire de leur individualité, et ultimement, à un but collectif, dont les avatars des années 1960, dépassables, sont le communisme, la religion ou le patriotisme. Dans la cité, les hommes ont le regard nécessairement porté vers un horizon collectif, qui agit comme une hantise morale empêchant chacun de se satisfaire complètement du monde présent et de ses injustices. Le film dépasse alors le simple frisson épicurien qui le parcourt pour entrer dans une dimension historique mariant le tragique et la joie. Toujours humblement.


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MessagePosté: 09 Juin 2013, 10:48 
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Inscription: 30 Avr 2013, 08:44
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Hé ho, y'a un fil pour les jpg de minous.

Sinon, ça fait très envie ce truc, merci.

_________________
-I failed.
-Good. Now go fail again.


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MessagePosté: 10 Juin 2013, 08:21 
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Je suis parfois partagé sur ce film qui est quand même un beau moment... D'un côté Marker et Lhomme sont de vrais virtuoses pour mettre en scène les différents aspects de Paris à cette époque, mettre sur pellicule ses transformations (Glacière, les tours qui montent) ou témoigner de ce qu'on nomme le pseudo "c'était le bon temps" dans des quartiers sinistrés d'Aubervilliers (où pullulent des familles nombreuses, les bidonvilles de harkis)...

La séquence avec De Gaulle et les flics sur les toits, et ces képis à capes qui marchent à pas forcés, sont aussi très fortes. Le duo parle souvent de Fantomas dans la seconde partie, le film finit par y ressembler dans la stylisation, jusqu'à un faux final presque clipesque pour l'époque. Reste que le montage est parfois un peu narquois dans ses contrastes, à sauter d'un univers à l'autre...

Car après avoir amusé un peu tout le monde avec quelques portraits hauts en couleurs où on se sent parfois un peu positionné dans le rire moqueur (le peintre, le danseur de twist...), le duo met ensuite surtout en exergue le pouvoir gaullien et son impact sur la parole publique, peu libre. Le procès des généraux d'Algers dont personne n'ose parler, voir penser, la mention des "faut voir avec les gens d'en haut", "ah monsieur si je disais ce que je pense"... Les "enquêteurs" comme mentionnés au générique ne cessent de mettre les interviewés dans leur derniers retranchements à ce niveau. D'un côté il existe une certaine insouciance authentique, comme ce jeune couple pour qui tout le monde finalement devrait se préoccuper de leur propre bonheur (on force la fille un peu à conceptualiser sa bulle), et cette couturière pour costumes de théâtre, qui a l'air dans son nuage... Reste que pour être probant à ce sujet, le film préfère se verrouiller avec la longue tirade finale (belle au demeurant), dite par Montand, qui étale quand même un peu le discours.

Les inserts sur les chats, ou cette scène où une femme tient longuement une chouette dans ses mains, créent aussi une certaine distanciation sur la condition humaine dans le film. A ce niveau, la scène la plus intéressante me semble finalement celle avec les deux ingénieurs : on a le sentiment que Marker et Lhomme y puisent une partie de leur discours (on a toutes les cartes en main pour faire des sociétés où nous sommes libres, mais nous ne le faisons pas), tout en accentuant le côté comique de ces professeurs tournesols, l'aspect verbeux, par les différentes coupes sur les chats, comme pour dire "ils sont dingues"... Cette scène est intéressante à revoir aujourd'hui dans la foi en la technologie, l'usage qu'on en fait...


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MessagePosté: 13 Juin 2013, 12:29 
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Inscription: 28 Déc 2006, 21:20
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Une très belle reprise en effet, entre sociologie et poésie, qu'il ne faudrait surtout pas manquer. Même si la hauteur de vue et la parfaite expression de ses intervenants placent le curseur cinquante ans avant, l'idéalisation du passé est évitée tant les français semblent déjà crouler sur leurs problèmes de fric et sous une certaine arrogance coloniale (la deuxième partie est consacrée entre autres à la guerre d'Algérie), un machisme complètement consenti. Puissament politique, le film n'oublie pas d'être drôle et insolite en calant des chats ou un hurluberlu qui veut battre le record du twist le plus long, et même s'il donne l'impression de se déliter dans sa dernière partie, il se rattrape avec une des plus belles fins vues depuis longtemps.
5/6


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MessagePosté: 14 Juin 2013, 22:32 
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Inscription: 13 Mai 2010, 11:50
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Le film est un peu tiraillé entre son approche sociologique d'une part, et la condition humaine universelle, de l'autre - même si c'est évidemment le projet du film de faire résonner toute l'humanité par l'exploration du quotidien le plus trivial. Dans ses moins bons moments un peu chiants, ça m'a un peu rappelé Chronique d'un été : souvent quand on se met à parler concrètement politique avec les gens d'ailleurs, quand on essaie de les faire discourir, de théoriser leur position quelle qu'elle soit. J'aurais bien repris 100 fois plus de moments libres comme celui de la chouette, et aurait d'avantage adhéré à une structure plus libre que l'enchaînement de témoignage bruts dont l'ensemble prend parfois l'allure. Il y a un travail de montage déjà admirable, où chaque scène en appelle une autre qui n'a rien à voir par un lien toujours un peu mystérieux, donnant l'impression d'un grand tissage à travers tout Paris. Mais si la (sublime) tirade finale semble un brin moralisatrice, c'est peut-être aussi parce que cette voix, ce point de vue, ce genre de percées, sont un peu trop rares dans l'ensemble du film, et que forcément ils finissent par faire évènement.

Après ça reste quand même ambitieux et ample. Je ne connais pas Pierre Lhomme, mais je reconnais en tout cas une espèce de charisme déjà présent dans d'autres films de Marker, une approche passionnée et intuitive qui ne passe pas son temps à théoriser, qui n'a pas peur de romancer. Ça a un côté généreux enthousiasmant (le coup de l'araignée, par exemple, qui me semble à mille lieux des chichis éthiques du cinéma direct). Et je me suis surpris à voir d'un nouvel œil, dans le final, des plans qu'on a déjà vu cent fois au cinéma depuis.

Il y avait un texte de l'époque dans les Cahiers qui descendait méchant le film, faudrait que je le retrouve tiens...


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MessagePosté: 14 Juin 2013, 23:29 
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C'était sur un autre film en fait, mais l'article ("Sur la fiction de gauche", de Jacques Rancière) incluait un peu Le Joli Mai :
Citation:
(...) Rappel d'une exaspération ancienne, celle qui m'avait saisi, au temps du Joli Mai, à voir Chris Marker, ancêtre du voyeurisme de gauche d'aujourd'hui, promener sa caméra dans les cours des quartiers populaires et féliciter gentiment une brave ménagère de ses plantations : "Les pensées hein ! disait-il à peu près, c'est difficile à faire venir ?". Par-delà mon ricanement à évoquer le gros pied de pensées qui poussait alors tout seul dans les pierres de mon seuil, il y avait autre chose : le sentiment que leur rapport aux fleurs avait quelque chose à nous révéler sur la démarche des amis/voyeurs du peuple.

Ce quelque chose, il faudrait l'histoire du gauchisme pour mieux le discerner : une certaine inquiétude derrière la visite au peuple, les offres d'amour à lui adressées, les demandes d'être par lui instruit ; quelque chose qu'en même temps on voulait et on ne voulait pas savoir de lui : une affaire de famille un peu différente de celle dont on nous rabat les oreilles et que la question-réponse de Chris Marker permettait d'entrevoir : non plus la question des enfants : d'où viennent les enfants ? mais la question des intellectuels qui savent tout ce qu'il faut savoir sur la naïveté des enfants : d'où viennent les choux ? (...)

Je suis grave d'accord avec ça de manière générale, mais pour le coup je le ressens pas des masses dans ce film-ci. A 2/3 passages près, les enquêteurs (et la manière dont le montage manie les témoignages) a un côté assez sévère avec les intervenants, voire moralisateur.


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MessagePosté: 15 Juin 2013, 02:06 
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Je n'ai ressenti ni le ton moralisateur, ni le complexe du gauchiste face au peuple. En fait, pris isolément, ce passage de Rancière est complètement ridicule. Mais bon, j'ai entendu du bien sur lui, donc j'imagine qu'il y a un peu plus derrière.


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MessagePosté: 15 Juin 2013, 09:20 
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C'est difficile de juger car le texte est vraiment consacré à une scène (de fleurs) dans un autre doc, et le Joli Mai sert que de transition vers cet autre de film. Ce qu'il décrit, j'ai l'impression de l'avoir beaucoup vu en documentaire, mais pas forcément des masses dans le Joli Mai, oui - même si ça reste un film d'intellectuels qui vont psychanalyser des prolos, et qu'il ne peut pas ne pas y avoir de tension là-dedans, quelque soit la forme qu'elle prenne.


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